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ANALYSE D'ARTICLE

Influence de l’exposition in utero aux organochlorés et perfluorés sur le risque de petit poids de naissance : analyse poolée de sept cohortes européennes

Les données de sept cohortes de naissances européennes ont été rassemblées pour accroître la puissance de cette étude du lien entre l’exposition prénatale à des perturbateurs endocriniens et la petitesse pour l’âge gestationnel. Elle met en évidence des effets modificateurs du sexe du fœtus et du tabagisme maternel, les mécanismes biologiques sous-jacents restant à établir.

Dépendant d’un équilibre hormonal subtil, le développement du fœtus est susceptible d’être perturbé par la charge corporelle maternelle en polluants organiques persistants à activité endocrinienne. Cinq ont été considérés dans cette étude : le PCB 153 (congénère des polychlorobiphényles [PCB] le plus abondant dans l’organisme humain, bien corrélé aux autres et pris pour marqueur de l’exposition totale à cette classe) ; le p-p’-dichlorodiphényldichloroéthylène (p-p’-DDE), métabolite principal et le plus persistant de l’insecticide DDT ; l’hexachlorobenzène (HCB), autre pesticide organochloré largement utilisé par le passé (en tant que fongicide) ; et les deux substances perfluoroalkylées les plus prévalentes que sont le sulfonate de perfluorooctane (PFOS) et l’acide perfluorooctanoïque (PFOA).

Les trois composés organochlorés non dioxin-like avaient été mesurés dans sept cohortes mère-enfant européennes (naissances entre 1997 et 2012) : PELAGIE (France), FLEHS I et II (Belgique), la cohorte PCB de Slovaquie, LINC (Pays-Bas), HUMIS (Norvège), et INMA (Espagne). Dans les quatre premières cohortes, les concentrations avaient été déterminées dans des échantillons de sang du cordon. Ce matériel ou du lait maternel avait été utilisé dans LINC, HUMIS rapportait des mesures dans du lait, et deux populations pouvaient être distinguées selon la matrice employée (sang du cordon ou maternel) au sein de la cohorte INMA. Au total, les données étaient disponibles pour 5 446 paires mère-enfant (naissance unique). Quatre cohortes fournissaient également des mesures des PFOS et PFOA (n = 693) : FLESH II (sang du cordon), LINC (sang du cordon ou lait) HUMIS et la cohorte slovaque (lait). Les auteurs ont appliqué des facteurs de conversion précédemment établis pour traduire en concentrations sériques du cordon (considérées comme le meilleur indicateur de l’exposition prénatale) les niveaux mesurés dans les milieux (sang ou lait) maternels.

Étendue de l’étude

Le critère clinique choisi était la petitesse pour l’âge gestationnel (PAG), définie comme un poids inférieur au 10e percentile sur une courbe âge et sexe spécifique, propre à chaque pays. Par rapport à des paramètres anthropométriques plus souvent utilisés dans ce champ de recherche, comme le poids de naissance, la taille ou le périmètre crânien, la PAG présente l’intérêt d’être un facteur pronostique de certaines complications néonatales, puis de troubles neurocomportementaux dans l’enfance et d’anomalies métaboliques (résistance à l’insuline, adiposité centrale) favorisant la survenue de maladies cardiovasculaires.

En rassemblant les données des sept cohortes, les auteurs disposaient d’un échantillon de taille suffisante pour explorer les effets modificateurs du sexe et du tabagisme maternel sur la relation entre l’exposition prénatale à des perturbateurs endocriniens et la croissance fœtale, suggérés par les résultats de quelques études individuelles.

Les effets de l’augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) des concentrations de chaque substance ont d’abord été estimés dans des modèles ajustés sur un jeu de facteurs de confusion potentiels et déterminants connus du poids de naissance : le sexe de l’enfant, l’indice de masse corporelle de pré-grossesse de la mère, sa taille, son âge, son niveau d’études, le tabagisme pendant la grossesse (oui/non, autodéclaré) et la parité. Les influences du sexe et du tabagisme ont ensuite été examinées par l’introduction de termes d’interaction. Trois analyses de sensibilité ont été réalisées : en excluant les données de la cohorte slovaque concernant des Roms (21 % des participantes), en prenant en compte (pour les organochlorés lipophiles seulement) la prise de poids durant la grossesse, et en restreignant les données (pour ces mêmes organochlorés) aux seules mesures dans le sang du cordon. Les effets de chaque organochloré ont enfin été ré-examinés dans la population totale en utilisant un modèle multipolluant incluant l’exposition aux deux autres.

Résultats notables

L’exposition au PCB 153 est associée au risque de PAG, l’effet étant modeste (odds ratio [OR] pour une augmentation d’un IIQ = 1,05 [IC95 : 1,04-1,07]) et plus marqué pour un nouveau-né de sexe féminin (OR = 1,09 [1,04-1,14]) que masculin (OR = 1,03 [1,03-1,04] ; p [interaction] = 0,025). L’effet modificateur du sexe est encore plus apparent pour l’association HCB-PAG (p = 0,0003) qui est positive pour les filles (OR = 1,04 [1,01-1,07]) et inverse chez les garçons (OR = 0,90 [0,85-0,95]). L’analyse de l’influence du tabagisme maternel dévoile une interaction entre les trois variables (HCB, sexe et tabac) : l’exposition au HCB n’augmente le risque de PAG que pour les filles dont la mère a fumé pendant la grossesse : OR = 1,18 (1,11-1,25) versus 0,99 (0,94-1,05) pour les filles de mères non fumeuses. Aucune association n’est mise en évidence avec le p-p’-DDE. Les résultats sont proches avec le modèle multipolluant.

Les effets de l’exposition aux perfluorés n’apparaissent pas dépendre du sexe, mais un effet modificateur du tabagisme est mis en évidence. Il n’est pas significatif pour l’association PFOA-PAG (p = 0,33), bien que l’effet estimé de l’exposition soit plus prononcé quand la mère a fumé pendant la grossesse (OR = 2,18 [1,02-4,64]) versus 1,51 [0,87-2,63]). Le tabagisme maternel modifie en revanche franchement l’association PFOS-PAG (p = 0,0004) qui est positive chez les nouveau-nés de mères fumeuses (OR = 1,63 [1,02-2,59]), et de sens inverse quand la mère n’a pas fumé durant sa grossesse (OR = 0,66 [0,61-0,72]).

Ces résultats peuvent être interprétés comme doublement indicatifs : d’une part, de la relative faiblesse de l’effet de l’exposition à des perturbateurs endocriniens par rapport à celle du tabagisme maternel, facteur de risque avéré de petit poids de naissance ; d’autre part, de la diversité des mécanismes d’action des perturbateurs endocriniens et des voies biologiques sur lesquelles ces actions s’exercent.

 


Publication analysée :

* Govarts E1, Iszatt N, Trnovec T, et al. Prenatal exposure to endocrine disrupting chemicals and risk of being born small for gestational age: pooled analysis of seven European birth cohorts. Environ Int 2018 ; 115 : 267-78. doi : 10.1016/j.envint.2018.03.0117

1 Unit Environmental Risk and Health, Flemish Institute for Technological Research (VITO), Mol, Belgique.