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ANALYSE D'ARTICLE

Exposome et AOP : deux concepts à conjuguer pour mieux comprendre les effets de l’environnement chimique

L’intégration du concept d’adverse outcome pathways (AOP) à celui de l’exposome peut faire progresser la compréhension des liens mécanistiques entre expositions chimiques et maladies selon les auteurs de cet article, qui énoncent les opportunités et difficultés de leur rapprochement.

Durant la dernière décennie, l’approche « exposome » a surtout été considérée pour ce qu’elle pouvait apporter à l’épidémiologie et à l’étude des effets d’expositions cumulées, tandis que le concept d’AOP émergeait en toxicologie, répondant aux besoins d’organiser les données générées sur une substance par différentes méthodes (in vitro, in silico et in vivo) et d’identifier celles, potentiellement les plus dangereuses, à évaluer prioritairement. Après une phase initiale d’évolution dans des champs séparés, l’exposome et l’AOP – tous deux largement acceptés, abondamment discutés mais peu traduits en termes d’applications pratiques – gagneraient à se rejoindre pour la suite de leurs développements.

Que peut apporter l’AOP à l’exposome ?

L’exposome inclut l’ensemble des expositions « vie entière » à des substances exogènes (polluants environnementaux) et endogènes (résultant de processus métaboliques, inflammatoires, oxydants, infectieux, etc.). L’environnement chimique interne variant constamment sous l’effet de la pression externe, des réponses biologiques, de l’activité du microbiote, de l’avancée en âge, des événements pathologiques, etc., il est impossible de le capturer. Mais il peut être ponctuellement caractérisé par la mesure à un moment donné des substances présentes dans un milieu biologique.

Du point de vue de la recherche étiologique, trois questions se posent : quoi mesurer ? Où ? Quand ?

Les deux dernières semblent relativement simples à résoudre par rapport à la première. Le sang dans lequel circule un grand nombre de substances exogènes et endogènes paraît plus informatif que l’urine ou des compartiments tissulaires. Des échantillons de sang sont collectés dans la plupart des études de cohortes et une très petite quantité suffit pour la biosurveillance. Une séquence temporelle de « photographies » de l’exposome bien avant la survenue d’une maladie peut être obtenue en effectuant des analyses à des moments critiques du développement (dès la naissance à partir de sang du cordon, puis durant l’enfance et la puberté). L’exposome sanguin peut par ailleurs contenir des traces d’expositions passées difficiles à reconstituer autrement. Cependant, bien que d’importantes avancées aient déjà été réalisées en termes de méthodes analytiques, seule une fraction minime des milliers de composés chimiques présents peut être identifiée. L’exploration de l’exposome est appelée à progresser avec le développement des méthodes « omiques » (transcriptomique, protéomique, métabolomique, adductomique, épigénomique), mais à quoi s’intéresser ? Comment distinguer le biomarqueur d’un dommage cellulaire annonciateur d’une maladie d’un signal témoignant d’un épiphénomène sans conséquence ou d’une réponse adaptative ? Les études d’association pan-exposome (exposome-wide association studies – EWAS) peuvent relier un profil à un état pathologique, mais leur nature non ciblée limite la possibilité de distinguer les principaux acteurs de l’association au sein du mélange de stresseurs (chimiques mais aussi psychosociaux et liés au mode de vie) qui agissent conjointement pour produire un effet.

L’AOP peut permettre d’aller plus loin dans la compréhension des mécanismes en œuvre. Son objet est la séquence d’événements biologiques déclenchée par l’interaction d’une substance avec sa cible moléculaire, des événements initiaux (molecular initiating events [MIE]) aux effets néfastes (adverse outcomes [AO]) en passant par des événements intermédiaires clés (key events [KE]) moléculaires, cellulaires et tissulaires. En considérant les données de l’analyse de l’environnement chimique interne sous l’angle de MIE (par exemple adduits à l’ADN) ou de KE (par exemple espèces réactives de l’oxygène) et en les plaçant suivant le schéma de l’AOP, des voies de toxicité peuvent émerger de la multitude des voies potentielles couverte par l’exposome.

Défis à relever

Conçu pour structurer les informations toxicologiques en une chaîne de cause à effet, l’AOP offre une représentation linéaire d’une voie de toxicité pour un agent donné. L’adaptation au champ de l’exposome suppose le passage d’une approche « mono-substance » à une approche « mélange ». La complexité peut être réduite en considérant que dans un réseau de voies de toxicité, différents MIE peuvent converger au niveau de KE sur lesquels il convient de se focaliser.

L’élaboration d’AOP quantitatifs constitue un autre défi majeur, la majorité des AOP existants étant des descriptions qualitatives des liens entre événements biologiques. La prise en compte de l’importance de l’exposition, des niveaux de concentration dans le milieu intérieur et des seuils d’effets biologiques, nécessite d’intégrer des facteurs toxicocinétiques et toxicodynamiques complexes, surtout pour les mélanges pour lesquels les modèles mathématiques restent à développer.

La dimension temporelle de l’exposome est fondamentale. Sur l’horizon d’une vie, la durée d’une exposition et le délai de latence entre le début de l’exposition et la survenue d’une maladie sont des éléments clés pour l’étude du lien de cause à effet. Ce qui appelle la mise au point d’AOP pour la toxicité chronique.

L’intégration de l’AOP à l’exposome nécessite de dépasser de grosses difficultés. C’est aussi l’opportunité d’intensifier la recherche sur cet outil et d’en accélérer le développement dans plusieurs directions.

Commentaires

Voici un bel exemple de ces articles de prospective qui mettent ensemble deux concepts pour élaborer des scénarios de science-fiction propres à alimenter le moulin de financeurs de la recherche en mal d’idées. Nous sommes bien loin de résultats et avancées scientifiques réels. On pense à une nouvelle déclaration de guerre contre le cancer. Aucune réflexion critique n’est offerte sur les idées invoquées (par exemple sur les questions de confidentialité de données personnelles exhaustives, ou sur la mise en pratique ce qui n’est qu’une vague idée...). On vole vers la victoire en chantant, sans nous dire que la route va être longue et que l’on arrivera peut-être jamais. Mais les soldats de la science ont-ils besoin de savoir cela ? En bref, le fait est que les différents pays d’Europe ont mis en place de vastes campagnes de collectes de données d’expositions et autres biomarqueurs. On dit ensuite à la population qu’elle devrait être contente, puisqu’elle est « surveillée » (doit-elle s’en réjouir tant que cela ?). Que faire de ces données ? On n’en sait trop rien, en fait. Mais voilà que des États-Unis nous sont venus deux petits mots magiques : exposome et AOP. Que serait actuellement l’épidémiologie sans l’exposome ? Que serait la toxicologie sans les AOP ? Et si on les mettait ensemble ! Ah, le doux chant du progrès... Au moins cette revue aura-t-elle été publiée à temps pour que la Commission européenne et le Père Noël aient le temps de préparer les cadeaux...

Frédéric Bois


Publication analysée :

* Escher BI1, Hackermüller J, Polte T, et al. From the exposome to mechanistic understanding of chemical-induced adverse effects. Environ Int 2017; 99: 97-106. doi: 10.1016/j.envint.2016.11.029

1 Helmholtz Centre for Environmental Research, Leipzig, Allemagne.