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ANALYSE D'ARTICLE

Expositions chimiques et anomalies congénitales : analyse de la littérature

Les études épidémiologiques sur la relation entre l’exposition à des contaminants chimiques et le risque de malformation congénitale dans la descendance ont été passées en revue. En regard des fortes associations souvent rapportées pour des expositions professionnelles, les résultats sont très hétérogènes pour la population générale. Dans son ensemble, la littérature souffre d’importantes faiblesses méthodologiques qui empêchent d’en tirer des conclusions définitives.

This review of epidemiological studies on the relation between exposure to chemical contaminants and the risk of congenital anomalies in descendants shows that strong associations are often reported for occupational exposures, but results vary widely for the general population. Overall, the literature has severe methodological flaws that prevent the drawing of any firm conclusions.

Les anomalies congénitales sont une cause importante de mortalité infantile et de handicap à vie. Au Canada où les auteurs de cet article exercent, environ 370 000 enfants naissent chaque année, dont 15 500 présentent une malformation grave (4,1 % des naissances). Dans de nombreux cas, il n’existe ni histoire familiale d’anomalie congénitale, ni facteur de risque connu.

La responsabilité d’expositions à des agents chimiques en début de grossesse nécessite d’être déterminée. Si la littérature sur ce sujet est pléthorique, les études épidémiologiques menées dans le but d’élucider la relation entre un type d’exposition spécifique et un type d’anomalie donné sont relativement rares. Sur 3 057 articles issus d’une recherche effectuée en février et mars 2014 via PubMed, 97 publiés entre 2003 et 2014 ont été jugés pertinents pour cette analyse.

Aperçu général

La littérature rassemblée, dominée par les études cas-témoins et transversales, ne couvre que très partiellement les besoins de connaissances. Elle concerne essentiellement des composés organochlorés (pesticides, polychlorobiphényles, dioxines notamment), des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des polluants atmosphériques, ainsi que des phtalates et le bisphénol A (BPA) au rang des perturbateurs endocriniens, des sous-produits de désinfection de l’eau et des solvants. Les anomalies de l’appareil génito-urinaire masculin (incluant hypospadias, cryptorchidie et diminution de la distance ano-génitale [DAG]) ont été de loin les plus étudiées, l’attention s’étant surtout portée sur leur relation avec l’exposition aux phtalates. Les données sont nettement plus limitées pour les défauts de fermeture du tube neural ou de la paroi abdominale, ainsi que pour les fentes palatines et les cardiopathies congénitales, diversement regroupées d’une étude à l’autre. Le rôle d’expositions chimiques dans la survenue d’anomalies des membres ou des reins n’a pratiquement pas été étudié.

Examen critique

Les études ont été réparties en trois catégories : celles qui ont examiné le risque d’anomalies congénitales en relation entre l’exposition professionnelle des parents, celles qui ont inclus des groupes de populations résidant à proximité de sites industriels, de déchets dangereux ou dans des zones d’applications de pesticides agricoles, et les études en population générale moins fortement exposée.

Les études des deux premiers groupes sont les moins nombreuses (respectivement 13 et 11 ont été analysées), mais leurs résultats sont plus clairement indicatifs d’un effet des agents chimiques sur le risque d’anomalies congénitales que ceux des travaux en population générale. Les études dans des populations professionnellement exposées (en particulier coiffeurs, ouvriers agricoles, techniciens de laboratoire et personnel militaire) rapportent généralement de fortes associations avec les anomalies considérées (hypospadias et cryptorchidie principalement), mais une seule (montrant une relation entre l’exposition maternelle au BPA et la DAG) a mesuré l’exposition individuelle (échantillonneur d’air et concentrations urinaires), les autres ayant utilisé des questionnaires, des matrices emploi-exposition ou des codes de classification des professions et industries pour estimer l’exposition parentale. Les études dans des populations résidant dans une zone contaminée, dont les résultats sont moins cohérents que celle des études en milieu professionnel, reposent également sur des méthodes d’évaluation indirecte de l’exposition individuelle (questionnaires, modélisations des concentrations de polluants), or celle-ci peut largement varier en fonction du temps passé à l’extérieur, des caractéristiques du logement, de sa ventilation, etc. Les populations incluses sont généralement faibles, et le niveau socio-économique (qui peut à la fois influencer le risque d’anomalies congénitales et le lieu d’habitation) a été plus ou moins bien pris en compte. Les faiblesses méthodologiques de ces deux groupes d’études chez des sujets exposés à des concentrations ambiantes de polluants potentiellement nettement plus élevées que les niveaux de fond rendent l’interprétation de leurs résultats délicate. Leur principal intérêt est l’identification de groupes de populations nécessitant une surveillance particulière.

Les études en population générale souffrent également de limites concernant l’évaluation de l’exposition et leurs résultats sont disparates. Elles fournissent en particulier de faibles indications d’une influence de la pollution atmosphérique sur le risque d’anomalies telles que fentes labio-palatines, défauts de fermeture du tube neural ou cardiopathies congénitales, mais seuls les effets des polluants gazeux classiques (monoxyde de carbone, dioxyde d’azote, de soufre et ozone), ainsi que des concentrations massiques des particules ont été examinés. La relation avec d’autres polluants tels que les aérosols acides ou les substances chimiques adsorbées sur les particules n’a pas été explorée. La problématique des comparaisons multiples (nombreuses analyses statistiques augmentant la probabilité de résultats positifs dus au hasard) touche particulièrement les études sur les pesticides. L’interprétation des associations mises en évidence dans certaines études (entre l’exposition à des composés organochlorés et la DAG, par exemple), est autrement limitée par le manque d’arguments soutenant leur plausibilité biologique.

La genèse des anomalies congénitales est encore imparfaitement comprise, comme le sont les mécanismes de toxicité pour de nombreux agents chimiques. Du fait de ces zones d’ignorance, la force d’une association ne peut être évaluée à la lumière de sa plausibilité biologique. De plus, un contrôle adéquat des facteurs de confusion potentiels ne peut être assuré. Les auteurs notent à ce propos qu’une seule étude présente les résultats d’analyses stratifiées en fonction de l’âge maternel, dont l’influence sur le risque d’anomalies chromosomiques et congénitales est pourtant généralement reconnue. Dans cette étude cas-témoins, la résidence à proximité d’incinérateurs de déchets dangereux est associée à une augmentation significative du risque de fente labio-palatine quand l’âge maternel est ≥ 35 ans uniquement. Par ailleurs, si l’importance des interactions gène-environnement nécessite d’être examinée, seuls deux travaux ont considéré l’influence du polymorphisme génétique sur le lien entre l’exposition maternelle professionnelle à des solvants et le risque d’anomalies congénitales majeures dans la première, et entre l’exposition professionnelle à des phtalates et composés alkyphénolés et le risque d’anomalies cardiaques dans la seconde.

En l’état actuel des données disponibles, les auteurs concluent à l’impossibilité d’affirmer comme d’écarter un rôle de l’exposition à des contaminants environnementaux sur le risque de malformations congénitales dans la population générale.


Publication analysée :

* Foster WG1, Evans JA, Little J, et al. Human exposure to environmental contaminants and congenital anomalies: a critical review. Crit Rev Toxicol 2017; 47: 59-84. doi: 10.1080/10408444.2016.1211090

1 Department of Obstetrics & Gynecology, McMaster University, Hamilton, Ontario, Canada.