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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition aux pyréthrinoïdes et TDAH : analyse transversale dans une population d’enfants de 8 à 15 ans

Cette étude dans un échantillon représentatif de la population états-unienne soutient l’hypothèse d’une relation entre l’exposition aux pesticides de la classe des pyréthrinoïdes, dont l’utilisation va croissant, et le trouble comportemental de l’enfant le plus fréquent : le trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH).

This study of a representative sample of the US population supports the hypothesis of a relation between exposure to the increasingly-used pyrethroid pesticides and the most frequent child behavioral disorder, attention deficit/hyperactivity disorder (ADHD).

La recherche de facteurs étiologiques du TDAH ayant conduit à suspecter un rôle de l’exposition aux organophosphorés, les deux principaux pesticides à usage domestique de cette classe ont été interdits aux États-Unis en 2000-2001. L’ascension consécutive de la consommation de pyréthrinoïdes les place aujourd’hui au premier rang des insecticides et antiparasitaires utilisés par le grand public, comme des produits employés pour les campagnes de désinsectisation et de lutte antivectorielle. De plus, leurs utilisations agricoles augmentent. La toxicité aiguë des pyréthrinoïdes étant moindre que celle des organosphorés, ils sont habituellement considérés comme moins dangereux. Les études expérimentales incitent néanmoins à la prudence. En particulier, la deltaméthrine et la perméthrine stimulent chez la souris l’expression des protéines membranaires du bouton présynaptique qui assurent la recapture de la dopamine, réduisant sa concentration dans la fente synaptique. La densité de ces transporteurs de la dopamine est également augmentée chez certains sujets présentant un TDAH, et le défi cit dopaminergique semble jouer un rôle central dans la symptomatologie. Par ailleurs, les souris adultes exposées en période néonatale à des pyréthrinoïdes ont une activité locomotrice augmentée, et les mâles semblent plus sensibles aux effets de l’exposition que les femelles.

Ces données incitent à examiner l’hypothèse d’une relation entre l’exposition aux pyréthrinoïdes et le TDAH chez l’enfant.

 

Population étudiée

Les auteurs ont utilisé les données de 687 enfants âgés de 8 à 15 ans ayant participé à la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) 2001-2002, seul cycle ayant comporté à la fois la recherche d’un TDAH et la mesure de biomarqueurs urinaires de l’exposition aux pyréthrinoïdes dans une fraction (34 %) de la population incluse, sélectionnée par randomisation.

La recherche d’un TDAH reposait sur l’administration d’un questionnaire parental (Diagnostic Interview Schedule for Children [DISC]) conçu par le National Institute of Mental Health pour les études épidémiologiques et cliniques. Le diagnostic de TDAH avait été établi chez 55 enfants en référence aux critères de la version en vigueur du Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders (DSM-IV). Les symptômes de TDAH s’atténuant fréquemment avec l’âge, les auteurs ont considéré que certains adolescents qui avaient été diagnostiqués dans l’enfance pouvaient ne plus remplir ces critères actuellement. Ils ont donc élargi la population

des cas sur la base de la question d’orientation préalable à l’administration du DISC : « un médecin ou un professionnel de la santé vous a-t-il déjà dit que votre enfant avait un TDAH ? », à laquelle les parents de 66 enfants avaient répondu oui. Au total, 93 enfants ont été classés comme des cas sur la base du DISC et/ou de la question préalable. Les auteurs ont tenu compte de la possibilité d’erreurs de classement, le professionnel de la santé ayant établi le diagnostic de TDAH par le passé ayant pu se baser sur des critères moins stricts que ceux du DSM-IV. Des analyses secondaires ont donc été réalisées dans les deux sous-populations.

L’exposition aux pyréthrinoïdes a été estimée selon le niveau de concentration urinaire de l’acide 3-phénoxybenzoïque (3-PBA), métabolite commun à plusieurs pesticides de cette classe, qui était détecté dans 78,9 % des échantillons. La concentration moyenne était égale à 1,14 μg/L et les valeurs aux 10e, 50e et 90e percentiles étaient respectivement de 0,07, 0,29 et 1,94 μg/L.

 

Analyses et résultats

Le niveau du 3-PBA urinaire a été considéré comme une variable catégorielle (inférieur ou supérieur à la limite de détection) et l’odds ratio (OR) de TDAH a été déterminé après ajustement sur la créatininurie et plusieurs facteurs de confusion potentiels donnés par la littérature (sexe, âge, origine ethnique, exposition prénatale au tabac, plombémie, concentration urinaire des métabolites de pesticides organophosphorés, niveau de revenus du foyer, couverture santé). Le risque de TDAH apparaît plus que doublé quand le 3-PBA urinaire est détectable : OR = 2,42 (IC95 = 1,06-5,57). L’estimation est voisine dans chacune des deux sous-populations, mais moins précise étant donné les faibles effectifs : OR = 2,37 (IC95 = 0,72-7,84) et OR = 2,10 (IC95 = 0,79-5,61) quand le TDAH est défi ni, respectivement, sur la base du DISC et de la déclaration des parents. Une tendance dose-réponse est mise en évidence quand le niveau du 3-PBA urinaire est traité comme une variable continue : une multiplication par 10 de la concentration (correspondant approximativement à un passage du 20° au 80° percentile) est ainsi associée à une augmentation de 57 % de la prévalence du TDAH (OR = 1,57 [0,88-2,78]).

Des analyses stratifiées selon le sexe montrent que l’association avec un niveau de 3-PBA détectable n’est significative que chez les garçons : OR = 2,95 (1,07-8,08) vs 1,54 (0,32-7,33) chez les filles. La relation dose-réponse n’existe pas chez les filles (OR pour une multiplication par 10 du taux urinaire = 0,91), alors qu’elle est significative chez les garçons (OR = 1,43 [1,05-1,94]). Ces résultats s‘accordent avec les travaux expérimentaux qui suggèrent une plus grande susceptibilité des rongeurs mâles.

Les données de l’évaluation objective ont permis d’approfondir l’analyse en examinant les effets de l’exposition aux pyréthrinoïdes sur chacune des deux composantes du trouble : le déficit d’attention d’une part, et l’hyperactivité/impulsivité d’autre part. L’association apparaît plus forte avec le score d’hyperactivité/impulsivité qu’avec le score d’inattention dans les deux sexes, mais elle n’est pas significative chez les filles.

Les résultats de cette étude nécessitent d’être répliqués avec des améliorations méthodologiques. En particulier, les facteurs génétiques prédisposant au TDAH et d’autres facteurs potentiellement importants comme la qualité de l’alimentation et celle de l’environnement familial et social nécessiteraient d’être pris en compte. La mesure des métabolites urinaires des pyréthrinoïdes devrait être répétée dans le temps pour évaluer l’exposition chronique. Des fenêtres de susceptibilité méritent d’être recherchées en étudiant les effets d’une exposition prénatale ou à d’autres moments critiques du développement cérébral. Seules des études longitudinales permettraient d’établir un lien de causalité, ce qui pourrait avoir un impact important pour la santé publique.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Wagner-Schuman M1, Richardson J, Auinger P, et al. Association of pyrethroid pesticide exposure with attention-deficit/hyperactivity disorder in a nationally representative sample of U.S. children. Environmental Health 2015; 14: 44.

doi: 10.1186/s12940-015-0030-y

 

1 Cincinnati Children’s Hospital Medical Center, Cincinnati, États-Unis.