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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition au bruit environnemental et infertilité masculine dans une cohorte sud-coréenne

Cette étude en population générale suggère que l’exposition chronique à un niveau élevé de bruit résidentiel contribue à l’infertilité masculine. L’association, plausible au vu des données expérimentales, est observée dans un échantillon de population particulièrement vaste, mais l’évaluation de l’exposition est déficiente.

Le bruit – le son non souhaité – est un stresseur environnemental dont les effets sur le bien-être et la santé vont de la gêne (difficultés à suivre une conversation, à se concentrer sur sa tâche, à trouver le sommeil) à des pathologies auditives, cardiovasculaires et mentales. Un faisceau de données expérimentales indique également un retentissement sur la santé reproductive. Plusieurs études chez le rat mâle ont ainsi rapporté des effets de l’exposition au bruit sur les taux circulants d’hormones périphériques et de gonadotrophines (des axes hypothalamo-hypophyso-gonadique et surrénalien) et sur l’aspect histologique des gonades. Dans l’une d’elles, des altérations du sperme (concentration spermatique et mobilité) ont été constatées après exposition quotidienne (pendant six heures par jour) à un niveau sonore de 100 dB, sur une durée de 30 jours. La capacité reproductrice des rats stressés par le bruit était réduite par rapport à celle de rats témoins après accouplement avec des femelles non stressées.

Les données chez l’homme sont quasiment inexistantes. L’article cite une étude iranienne récente qui rapporte des perturbations hormonales (incluant des taux plasmatiques élevés de cortisol et bas de testostérone et d’hormones thyroïdiennes), ainsi que des altérations du spermogramme (numération des spermatozoïdes et mobilité) chez des travailleurs (n = 27) constamment exposés à un environnement bruyant (niveau sonore moyen : 119 dB), comparativement à un groupe de même nombre travaillant et résidant dans un environnement calme.

Cette étude est la première à explorer les effets de l’exposition chronique au bruit résidentiel sur le risque d’infertilité masculine dans la population générale.

Population incluse et données utilisées

L’étude a été conduite en Corée du Sud, dans un échantillon de 206 492 hommes âgés de 20 à 59 ans à l’inclusion (en 2006), extrait de la cohorte du National Health Insurance Service (NHIS), qui rassemble environ 2,2 % de la population inscrite au système de couverture santé national et a été constituée en 2002 par randomisation stratifiée. Outre l’âge, les critères d’inclusion étaient, d’une part, l’absence de malformation congénitale des organes génitaux, d’infertilité diagnostiquée (code N46 de la Classification internationale des maladies [CIM-10]) et d’antécédent de traumatisme de l’appareil uro-génital ou de cancer du testicule, d’autre part, la disponibilité des informations personnelles et médicales nécessaires aux analyses statistiques (dont les covariables d’ajustement : âge, niveau de revenu, zone résidentielle [urbaine ou rurale], activité physique, consommation d’alcool et de tabac, indice de masse corporelle [IMC], glycémie et antécédents de maladies pouvant affecter la fertilité [oreillons, gonococcie, syphilis, hydrocèle, varicocèle, cryptorchidie, pathologie thyroïdienne]).

Au cours du suivi de huit ans (juqu’en 2013), 3 293 hommes (1,6 % de la population) avaient été diagnostiqués infertiles sur la base des paramètres du spermogramme (normes 1999 de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]). Le risque d’infertilité a été examiné en relation avec l’exposition résidentielle au bruit sur la période 2002-2005.

Pour l’estimer, les auteurs ont utilisé les données du National Noise Information System fondées sur des mesures automatiques ou manuelles des niveaux sonores ambiants en différents sites urbains choisis pour leur représentativité des conditions de vie des populations (ainsi, les zones résidentielles et commerciales avec une vaste population résidente et passante ou les zones résidentielles « vertes » proches du centre ville sont privilégiées, tandis que des sites où prédominent des sources de bruit importantes [usine, aérodrome, voie ferrée, etc.] sont évités). Les mesures du bruit environnemental sont standardisées (effectuées en semaine, au moins quatre fois par jour [période 7h-19h] et deux fois par nuit [23h-7h] à intervalles d’au moins deux heures) et elles couvrent toutes les périodes de l’année, mais pas l’ensemble du territoire. Pour la période d’observation 2002-2005, les données de mesure provenaient de 1 286 à 1 372 sites échantillonnés manuellement et d’une soixantaine de sites faisant l’objet de mesures automatiques. Une méthode d’interpolation spatiale (krigeage) a été appliquée pour calculer les niveaux sonores moyens en périodes diurne et nocturne dans les régions non couvertes par les mesures.

Association avec l’infertilité

L’étude ne montre pas de relation linéaire entre le niveau du bruit traité comme une variable continue (incrément d’1 dB) et le risque d’infertilité après ajustement sur l’ensemble des covariables individuelles considérées, plus une estimation de l’exposition à la pollution atmosphérique (concentrations des PM10). En revanche, après répartition de la population par quartile du niveau d’exposition, un excès de risque d’infertilité est observé dès le deuxième quartile pour le bruit diurne (odds ratio [OR] égal à 1,30 [IC95 : 1,16-1,46]) comme nocturne (OR = 1,26 [1,13-1,40]).

En séparant la population aux seuils de 55 dB pour le bruit nocturne (sur la base des recommandations de l’OMS pour l’Europe) et de 60 dB pour le bruit diurne (niveau sans effet observable [NOAEL] sur le risque d’infarctus du myocarde dans la littérature épidémiologique), le risque d’infertilité apparaît significativement accru par l’exposition à un niveau de bruit nocturne dépassant 55 dB (OR = 1,14 [1,05-1,23]), catégorie rassemblant environ 68 % de la population. L’association avec l’exposition à un niveau sonore diurne supérieur à 60 dB n’est pas statistiquement significative (OR = 1,05 [0,88-1,25]).

La faiblesse de l’estimation de l’exposition individuelle au bruit environnemental est une limite majeure de cette étude. Elle a pu conduire à surestimer l’exposition et par conséquent le risque. Les auteurs reconnaissent également n’avoir pas pu contrôler tous les facteurs de confusion potentiels par manque d’information concernant, par exemple, l’exposition professionnelle au bruit et aux agents chimiques. Enfin, des erreurs de classement quant au diagnostic d’infertilité sont possibles dans la base de données du NHIS.

Cette étude ouvre néanmoins la voie à d’autres travaux visant à évaluer l’effet de l’exposition à long terme au bruit résidentiel sur la fertilité masculine.

 


Publication analysée :

*Min KB1, Min JY. Exposure to environmental noise and risk for male infertility: a population-based cohort study. Environ Pollut 2017 ; 226 : 118-24. doi : 10.1016/j.envpol.2017.03.069

1 Department of Preventive Medicine, College of Medicine, Seoul National University, République de Corée.