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ANALYSE D'ARTICLE

Évaluation de l’exposition domestique à l’amiante liée au traitement des vêtements de travail

Les connaissances relatives aux risques de l’exposition paraprofessionnelle à l’amiante reposent sur des études anciennes, et les données permettant de caractériser cette exposition manquent. D’où l’intérêt de cette première étude expérimentale qui simule l’exposition liée à la manipulation de vêtements de travail contaminés par de la chrysotile en vue de leur lavage.

Knowledge of the risk of take-home exposure to asbestos is based on old studies that do not provide sufficient data to characterize this exposure. This first experimental study simulating exposure during handling of chrysotile-contaminated work clothing prior to laundering is thus valuable.

Cest au début des années 1960 que les premiers cas de mésothéliome chez des personnes vivant sous le même toit que des travailleurs professionnellement exposés à l’amiante ont été rapportés à l’introduction de vêtements de travail contaminés dans le foyer. Des études ont par la suite estimé le risque de maladie lié à cette exposition qualifiée de « domestique », « indirecte » ou « paraprofessionnelle » (take-home exposure). Elles ont pour la plupart été réalisées au cours des années 1970 et 1980 et se sont limitées à montrer un excès d’incidence du mésothéliome chez les proches de travailleurs exposés entre 1930 et 1960, principalement à des fibres de la famille des amphiboles dont on sait aujourd’hui qu’elles sont plus cancérogènes que les serpentines (chrysotile). La méthode utilisée pour le comptage des fibres dans les filtres à air reposait à l’époque sur la microscope optique à contraste de phase (MOCP), qui permet de déterminer le niveau d’empoussièrement, mais pas d’identifier la composition chimique des fibres ni d’accéder à leurs caractéristiques granulométriques, ce qu’a permis par la suite la microscopie électronique à transmission (MET).

Les progrès dans les techniques d’échantillonnage, d’analyse, et la meilleure connaissance de la dangerosité des fibres en fonction de leur nature et de leurs dimensions, engagent à réexaminer le risque lié à l’exposition paraprofessionnelle à l’amiante et à mieux caractériser cette exposition. Cette première étude expérimentale s’est focalisée sur la chrysotile, qui a continué d’être utilisée dans les années 1980 pour la fabrication de matériaux de garniture, de dalles de sol, de freins et d’isolants de toitures, alors que l’usage commercial des amphiboles déclinait. Son objectif était de décrire la relation entre l’exposition sur le lieu de travail (facteur supposé déterminer l’importance de la contamination des vêtements rapportés à la maison) et l’exposition de la personne qui s’occupe des vêtements à nettoyer.

 

Description de l’étude

L’expérimentation a été réalisée dans une chambre étanche sous des conditions d’humidité et de température contrôlées. Un système de ventilation équipé d’un filtre à particules à haute performance fonctionnait à bas débit pendant les séances d’exposition et à haut débit au décours des séances, afin de décontaminer rapidement la pièce avant de la préparer pour la suite de la procédure.

Pour simuler l’exposition dans l’environnement de travail, six mannequins portant des vêtements étaient placés en rond autour d’un générateur d’air chargé en chrysotile à un niveau de concentration déterminé. Deux séances d’imprégnation des vêtements d’une durée de 31 à 43 minutes ont été effectuées pour chacun des trois niveaux de concentration : faible (0 à 0,1 fi bre par cm3), modéré (1 à 2 f/cm3) et élevé (2 à 4 f/cm3). Des échantillonnages d’air étaient réalisés en divers endroits : dans la zone de respiration des mannequins, entre eux, au centre de la pièce, et aux quatre coins. Les concentrations de chrysotile (déterminées par MET

selon la méthode recommandée par l’U.S. Occupational Safety and Health Administration [OSHA]) étaient relativement uniformes et en moyenne égales à 0,01 f/cm3 (exposition faible), 1,65 f/cm3 (exposition modérée) et 2,84 f/cm3 (exposition importante).

À la fin des séances d’exposition, les vêtements étaient soit enlevés et placés dans une boîte étanche, soit laissés sur le mannequin (une procédure de chaque par niveau d’exposition) avant de faire l’objet d’une manipulation active pendant 15 minutes au cours desquelles ils étaient préparés à être lavés : secoués, brossés de la main, frottés, retournés, placés sur une pile de linge ou dans un panier, etc. Les opérateurs restaient ensuite 15 minutes de plus dans la pièce mais sans toucher le vêtement, pour simuler le temps qui peut être consacré à d’autres activités dans une lingerie (étendre le linge, le repasser, etc.). Les concentrations de chrysotile dans l’air de la pièce ont été déterminées à partir de l’analyse d’échantillonneurs personnels portés par les opérateurs à hauteur de la zone respiratoire et d’échantillonnages réalisés à des distances comprises entre 1,80 m et 3,60 m de l’opérateur, qui pourraient être celles auxquelles se trouveraient d’autres personnes présentes dans la pièce.

Les résultats confirment que l’exposition paraprofessionnelle due au traitement domestique des vêtements de travail dépend de l’importance de l’exposition professionnelle. Ainsi, après une faible exposition, le nombre de fibres de chrysotile dans l’air de la « lingerie » n’est que de 0,014 par cm3 en moyenne pendant les 15 minutes de manipulation active, contre 0,068 à 0,097 f/cm3 après une exposition modérée à importante. Pour l’ensemble des 30 minutes de présence dans la « lingerie », les concentrations sont comprises entre 0,006 et 0,063 f/cm3, représentant 0,3 à 2,4 % de celles régnant sur le « lieu de travail ».

Après avoir calculé l’exposition moyenne pondérée sur une période de 8 heures et de 40 heures (correspondant respectivement à une journée et une semaine de travail), les auteurs ont estimé l’exposition de la personne qui s’occupe de l’entretien des vêtements en termes de pourcentage de l’exposition du travailleur, dans l’hypothèse d’un lavage quotidien des vêtements (en référence à l’exposition moyenne pondérée sur une période de 8 heures) ou d’un lavage hebdomadaire (en référence à l’exposition sur 40 heures). Dans le premier cas, l’exposition de la personne qui s’occupe des vêtements représente entre 0,2 et 1,4 % de l’exposition du travailleur. Dans le second, elle est comprise entre 0,03 et 0,27 % de l’exposition du travailleur. Les estimations sont inférieures pour les autres personnes qui se trouveraient dans la « lingerie ». Dans le scénario de cette étude, et tenant compte de la nature des fibres d’amiante utilisées, l’exposition paraprofessionnelle ne majore probablement pas le risque lié à l’exposition environnementale de fond.

 

Limites des conditions expérimentales

Les auteurs identifient plusieurs aspects de leur protocole dont les futurs investigateurs devraient tenir compte. L’immobilité des mannequins a pu favoriser la rétention de fibres de chrysotile sur les vêtements, alors qu’en situation réelle, la personne qui les porte bouge au cours de sa journée de travail. Le taux de ventilation de la pièce était probablement supérieur à celui rencontré dans de nombreux environnements domestiques, ce qui a pu réduire l’exposition des occupants de la « lingerie ». L’influence de la durée des différents gestes exécutés par la personne qui s’occupe du linge mériterait d’être considérée, de même que l’effet d’un nettoyage préalable du vêtement (le secouer ou le brosser) à l’extérieur. Enfin, si dans cette étude, le relargage des fibres était proportionnel au niveau de charge du vêtement, il existe sans doute une limite au-delà de laquelle une charge additionnelle est sans effet.

 

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Sahmel J1, Barlow CA, Simmons B, et al. Evaluation of take-home exposure and risk associated with the handling of clothing contaminated with chrysotile asbestos. Risk Analysis 2014; 34: 1448-68.

doi: 10.1111/risa.12174

 

1 Cardno ChemRisk, Boulder, États-Unis.