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ANALYSE D'ARTICLE

Connaissances relatives à l’exposition et perception des risques des radiofréquences

Un abaissement du niveau d’exposition de la population aux champs de radiofréquence émis par les systèmes de communication sans fil améliorera-t-il leur acceptabilité ? La réponse à cette question n’est pas simple comme l’indique ce travail.

Will lowering the level of exposure to the radiofrequency electromagnetic fields emitted by wireless communication systems make them more acceptable to the population? This article shows that the answer to this question is not that simple.

L’étude a été conduite dans le cadre du projet européen LEXNET (Low EMF exposure future networks) qui explore les solutions techniques pour une réduction de l’exposition aux champs électromagnétiques de radiofréquence (CEM-RF). Cette réduction vise, d’une part, à satisfaire le principe de précaution (prévention d’éventuels effets sanitaires liés à l’exposition), et, d’autre part, à améliorer l’acceptation, par la population, du développement du réseau de télécommunication sans fil. Toutefois, il n’est pas garanti que l’exposition soit jugée plus acceptable par le public parce qu’on l’aura informé qu’elle a diminué. Tout dépend de la perception du risque de l’exposition aux CEM-RF : est-elle fondée sur la connaissance de l’exposition ? (auquel cas la perception de l’exposition et celle du risque évoluent dans le même sens) ou est-elle totalement subjective et indépendante de la connaissance de l’exposition ? (dans ce cas, même une très faible exposition peut être perçue comme faisant courir un risque substantiel).

La relation entre la connaissance de l’exposition et la perception du risque a été explorée dans cette enquête réalisée entre avril et septembre 2013 auprès de citoyens de huit pays (Allemagne, France, Espagne, Portugal, Roumanie, Serbie, Monténégro et Belgique). S’agissant d’une enquête en ligne, seuls des sujets ayant un accès Internet y ont participé. L’échantillon analysé (n = 3 097) n’est donc pas représentatif de la population générale (ce qui empêche de généraliser les résultats de l’enquête) : il se caractérise par un âge moyen jeune (33,7 ans), une surreprésentation masculine (60 %) et un niveau d’études élevé (durée moyenne de la scolarité : 16,7 ans). La majorité des répondants étaient en activité professionnelle (56,9 %) ou étudiants (28,9 %). Cet échantillon représente un segment de la société intéressé par les

nouvelles technologies et utilisateur de moyens de communication sans fil, qui joue un rôle important dans le débat public sur les dangers des CEM-RF.

 

Perception du risque de différentes sources

Des images illustrant neuf situations générant une exposition à des radiofréquences étaient présentées : présence d’un mât d’antennes relais sur le toit d’une école, voisin utilisant son téléphone portable, présence d’un routeur WiFi à proximité ou à distance, communication téléphonique, utilisation du téléphone pour naviguer sur Internet, utilisation d’un ordinateur portable posé sur les genoux, connexion d’un ordinateur à Internet via un smartphone, et visionnage d’une émission télévisée. Le sujet devait indiquer le niveau de risque perçu pour la santé, sur une échelle de 1 (pas dangereux) à 5 (très dangereux).

La présence d’antennes relais sur le toit d’une école est considérée comme la source d’émission de CEM-RF la plus dangereuse, avec un score moyen de 3,34 et un classement en tête dans tous les pays. Les deux autres situations obtenant des scores élevés sont la communication téléphonique avec un portable (en moyenne 2,93) et l’utilisation d’un ordinateur portable sur les genoux (2,82). Le niveau de risque associé aux autres situations est moindre, avec des scores allant de 2,57 (pour la connection d’un ordinateur à Internet via un smartphone) à 2,24 (pour la présence éloignée d’un routeur WiFi).

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Commentaires

L’étude qui nous est présentée traite de perception des risques en ce qui concerne les champs électromagnétiques. Dans la mesure où les travaux scientifiques qui ont recherché des effets de ces expositions sur la santé n’ont jusqu’ici pas apporté de certitude quant à une possible augmentation du risque de certaines pathologies, il importe plus que jamais de s’intéresser à la perception du risque et d’explorer différents critères. Tout ce qui concerne « les ondes » a en effet tendance à glisser vers des débats très émotionnels, déjà évoqués dans Environnement, Risques et Santé par Yannick Barthe dans son article de 2013 intitulé L’expertise scientifique : un retour d’expérience – Le cas du « GT radiofréquences » (2008-2009). Une autre expérience plus récente est celle du magazine Que Choisir de janvier 2015, qui a publié un article intitulé Ondes électromagnétiques – Le jeu trouble des associations.

Le courrier des lecteurs qui a suivi reflète remarquablement la controverse, avec la satisfaction exprimée par les scientifiques s’opposant à la colère des associations. Le débat reprend avec vigueur depuis quelques semaines, parce que si les craintes exprimées jusqu’ici ont concerné surtout l’utilisation de téléphones mobiles et la proximité d’antennes-relais dans la vie personnelle, le développement d’expériences telles que les espaces dynamiques de travail ou le travail à distance suscite des questions liées à l’augmentation des expositions dans le cadre professionnel. Le travail de Freudenstein et al. mentionne la notion de « Savoir subjectif ». Ce concept est utilisé en marketing pour désigner ce que le consommateur croit savoir. Dans ce contexte, associer les mots « Savoir » et « subjectif » nous semble un oxymore. Le savoir subjectif sur les champs électromagnétiques n’est pas expliqué, mais plus troublant encore est que les auteurs différencient celui qui est « approprié » de celui qui ne l’est pas. S’agissant de lien potentiel entre CEM et risque sanitaire, dans la mesure où aucun effet n’est reconnu à ce jour par les scientifiques, comment différencier le savoir « adéquat » du savoir « inadéquat »? La seule interprétation que nous avons pu en faire est que les personnes interrogées ont classé comme importants les paramètres testés dans les études épidémiologiques à visée étiologique : proximité de la source, intensité du champ, fréquence de l’exposition, nombre de sources.

Elisabeth Gnansia

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Connaissance des facteurs influençant l’exposition

La seconde partie de l’enquête visait à évaluer la connaissance des facteurs influençant l’exposition sur le risque. La question posée était la suivante : « De quoi dépend le risque potentiel pour la santé des champs électromagnétiques émis par un téléphone portable, une station de base ou une autre source ? ». Sept facteurs étaient proposés : la durée de l’exposition, la proximité de la source, la fréquence de l’exposition, la puissance du champ, le nombre de sources environnantes, le moment de l’exposition, et la taille de la source. Les sujets devaient indiquer leur niveau d’accord avec la proposition sur une échelle de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord).

L’ordre des sept facteurs est identique dans tous les pays : la durée de l’exposition et l’intensité du champ arrivent en tête avec des scores moyens de 4,47, devant la distance (4,37), la fréquence de l’exposition (4,28) et le nombre de sources (4,05). La taille de l’émetteur et le moment de l’exposition obtiennent des scores faibles (respectivement 2,65 et 1,93 en moyenne).

 

Impact des connaissances sur la perception du risque

Une analyse de régression montre que tous les facteurs hormis la distance sont prédictifs de la perception du risque lié aux CEM-RF. Néanmoins, ces facteurs n’expliquent qu’environ 10 % de la variance de la perception du risque. Les auteurs ont réalisé une analyse plus fi ne, séparant quatre situations (station de base, communication téléphonique, routeur WiFi à proximité et routeur WiFi éloigné) et considérant deux groupes de répondants. Un premier groupe, dont les connaissances ont été jugées adéquates, était constitué des 708 sujets ayant attribué des scores élevés (4 ou 5) aux facteurs « durée de l’exposition, puissance du champ, distance de la source, fréquence de l’exposition, nombre de sources », et des scores faibles (1 ou 2) aux facteurs « taille de la source » et « moment de l’exposition ». Le second groupe (connaissances inadéquates) réunissait les 89 répondants ayant attribué des scores faibles (1 à 3) aux cinq premiers facteurs et élevés (3 à 5) aux deux derniers. Quelle que soit la situation, le niveau de risque perçu est plus élevé dans le groupe des sujets ayant des connaissances adéquates. La différence entre les deux groupes n’est toutefois significative que pour la communication téléphonique (scores moyens de 2,98 dans le groupe « connaissances adéquates » et 2,61 dans le groupe « connaissances inadéquates », p = 0,003) et les différences de connaissances n’expliquent que 3 % de la variance.

L’influence d’autres facteurs a été recherchée : l’âge, le sexe, l’ouverture aux nouvelles technologies (évaluée en demandant au sujet de se comparer à deux personnages prompts à essayer toute innovation technologique à la maison, au travail et pendant leur temps libre), l’orientation politique et la position dans l’échelle sociale. L’attrait pour les nouvelles technologies est constamment associé à une moindre perception du risque (sans différence significative, toutefois, pour la station de base), tandis que l’orientation politique est sans influence et que les autres facteurs ont une influence variable en fonction des sources. Ces facteurs réunis n’expliquent que 6 % de la variance de la perception du risque, ce qui incite à poursuivre la recherche de ses déterminants.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Freudenstein F1, Wiedemann P, Varsier N. Exposure knowledge and risk perception of RF EMF. Frontiers in Public Health / Radiation and Health 2015; 2: 289.

doi: 10.3389/fpubh.2014.00289

 

1Karlsruhe Institute of Technology, Karlsruhe, Allemagne