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L'Information Psychiatrique

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The actions of the World Health Organization Collaborating Center for Research and Training in Mental Health (WHOCC) encouraging user and carer participation in the development of the ICD-11 Volume 98, issue 6, Juin-Juillet 2022

 

Parmi les responsabilités constitutionnelles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) figurent l’élaboration et la révision des nomenclatures internationales des maladies, des causes de décès et des pratiques de santé publique, et la standardisation des procédures diagnostiques [1]. Dans ce cadre, les traités internationaux exigent des 194 pays membres de l’OMS qu’ils recueillent des statistiques de santé et les transmettent à l’OMS en utilisant la Classification internationale des maladies (CIM).

L’OMS a présenté la révision de la CIM comme l’occasion d’en améliorer l’utilité clinique [2]. Le Centre collaborateur de l’OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS) y a contribué en se centrant sur deux des critères participant à l’utilité clinique d’un diagnostic :

  • 1.la pertinence des « caractéristiques essentielles » qui définissent le diagnostic,
  • 2.la qualité de la communication entre les professionnels de santé, et avec les usagers et aidants, à travers différents contextes culturels et linguistiques.

De plus, le CCOMS a fait sienne la volonté de l’OMS d’inscrire tous les acteurs concernés dans le processus de révision, c’est-à-dire aussi bien les représentants des États membres de l’OMS et les professionnels de différentes disciplines, que les usagers et les aidants. La participation des usagers et des aidants au processus de révision de la CIM, en favorisant la coexistence de différentes expertises, permet la création d’un véritable espace de dialogue et de rencontre autour de la question du diagnostic psychiatrique. Ce dialogue devrait permettre de parvenir à une classification pour les personnes vivant avec une maladie et non seulement pour les maladies [3]. L’intégration d’une diversité de perspectives favoriserait également un langage compréhensible par tous, moins stigmatisant et ainsi favorable à l’établissement d’une alliance thérapeutique [4]. En effet, la qualité de l’information en santé et son accessibilité sont reconnues depuis plusieurs années comme un outil thérapeutique incontournable [5], mais également sur un plan éthique, comme une condition du consentement de l’usager, du respect de sa dignité et de son autonomie [6]. La relation thérapeutique asymétrique, et souvent paternaliste, cède ainsi la place à une relation de partenariat entre les professionnels de santé, les patients et leur entourage, devenus des « usagers/aidants-citoyens » [7]. Or ce partenariat, pour s’inscrire dans un système démocratique, implique une montée en expertise des usagers [8] favorisant leur participation à tout processus de décision les concernant [3, 8].

Une révision participative

Le processus participatif de révision de la CIM proposé par l’OMS s’inscrit ainsi dans une vision citoyenne et démocratique de la santé mentale [9]. Une concertation des usagers et des aidants s’appuie non seulement sur la mise à disposition d’informations pertinentes les concernant, mais également sur le recueil de leur avis et de leur expertise.

L’implication des professionnels de santé mentale et primaire

L’implication des praticiens a été rendue possible par la mise en place du Réseau global de pratique clinique (RGPC), qui a centralisé l’inscription des professionnels au processus de révision de la CIM. Il s’agit d’un réseau international et multilingue rassemblant des professionnels de santé mentale et santé primaire intéressés par la révision de la CIM-10. Une plateforme permet ainsi de recueillir l’avis des praticiens sur la CIM-11 et la prise en compte de leur expertise clinique. Des enquêtes ont également été menées pour évaluer la justesse des critères, la faisabilité et l’utilité clinique de la nouvelle classification [3]. Historiquement, le CCOMS de Lille a d’abord constitué une « task force » avec les CCOMS de Casablanca, de Montréal et de Genève, l’hôpital Razzi de Tunis et l’université américaine de Beyrouth pour créer un groupe francophone. Le but était de permettre la traduction de vignettes cliniques en français et leur diffusion dans le domaine francophone par le réseau global Internet de recherche clinique de l’OMS. Le CCOMS de Lille a soutenu l’OMS dans le développement de la nouvelle classification des troubles mentaux et du comportement en langue française, parallèlement à d’autres langues (anglais, espagnol, russe, chinois, japonais). La classification se devait d’être transculturelle, et devait être utile pour tous les professionnels de santé au-delà des spécialistes. Il s’agissait aussi de garantir une participation aussi large que possible de la communauté francophone, et particulièrement des usagers et aidants, ainsi que la participation des pays à faibles et moyens revenus par l’accès au matériel en langue française.

L’implication des usagers et des aidants

Aujourd’hui, en France et à l’international, la reconnaissance de l’expertise des usagers et des aidants constitue un axe central des politiques de santé mentale. En 2011, lors d’une réunion de travail de l’OMS Europe sur l’empowerment des usagers et aidants en Europe, l’OMS attestait que les usagers et les aidants seraient concertés pour la révision de la CIM-10 et la rédaction de la future CIM-11. Sur la base de cet engagement, le CCOMS, particulièrement concerné par la santé mentale dans la communauté et par la participation des usagers et des aidants aux décisions les concernant s’est fortement investi dans le processus de révision. Il établit que les diagnostics doivent faire partie d’une connaissance partagée entre les professionnels et la population. Cette révision portait enfin l’espoir en psychiatrie d’une convergence des intérêts des psychiatres, des chercheurs, des usagers eux-mêmes et des aidants dans la définition et l’appellation des troubles psychiques.

Un combat abouti : la dépsychiatrisation de la transidentité

Un colloque organisé à la Sorbonne en 2011 par le CCOMS, en partenariat avec le CNRS et la Fédération Française de Psychiatrie (FPP) et des personnes transgenres, consacré à la classification de la transidentité [10] fait apparaître des désaccords entre psychiatres et personnes transgenres. S’y ajoutaient des dissensions entre les différentes parties représentées, la forte demande de dépsychiatrisation de la transidentité portée par les personnes directement concernées s’opposant à celle de certains professionnels impliqués dans l’accompagnement et le suivi psychiatrique des personnes s’orientant vers une chirurgie de réassignation. Les personnes transgenres souhaitaient néanmoins que leur parcours médical reste inscrit dans la CIM, mais hors de la catégorie des troubles mentaux, leur permettant ainsi de continuer à avoir accès à des consultations de suivi, des traitements hormonaux et chirurgicaux. Cette demande concernait principalement les personnes n’ayant pas les moyens financiers de se rendre dans des pays étrangers où un avis d’un psychiatrique n’était pas demandé

Un projet de recherche international coordonné par le Mexique, avec l’aide et l’appui de la DGS et du collectif Trans-59, a impliqué la France et s’est ainsi mis en place à la maison dispersée de santé (Lille). Ce centre de soins est une structure de médecine générale qui est devenue point focal pour les personnes en transition, avec un psychiatre qui n’intervient qu’à la demande des personnes concernées. Le but de l’étude était d’interroger la nécessité et la suffisance de la « détresse psychologique » et du « handicap fonctionnel », tel que considérés comme caractéristiques essentielles du diagnostic tant dans la CIM que dans le DSM. Les résultats, obtenus en France [11] et dans quatre autres pays, convergent vers une même conclusion. La détresse et le handicap ne sont pas rapportés par tous et résultent parfois de facteurs tels que le rejet et la violence. Enfin, des travaux récents confirment que la validité externe de la nouvelle version de la CIM est supérieure à celle du DSM-5 [12].

L’ensemble a contribué à la décision de l’OMS de transférer la transidentité vers une nouvelle catégorie « santé sexuelle », permettant ainsi de maintenir un accès aux soins tout en réduisant la stigmatisation. Ce transfert fut accompagné d’un changement de nom au sein des pays Francophones qui, malgré un manque de consensus, adoptèrent l’expression « incongruence de genre ».

Ce changement a eu pour conséquence une modification très profonde des relations avec la psychiatrie. Le modèle lillois s’appuyant sur les soins de première ligne dont la médecine générale est une expérience qui mériterait d’être diffusée en France.

Un combat à poursuivre : vers la déconstruction du diagnostic de schizophrénie

Aujourd’hui, tant la dernière version révisée du DSM (DSM-5-TR) actualisée en mars 2022, que la CIM-11 maintiennent les troubles schizophréniques dans leurs classifications. Pourtant en France et à l’international, les débats relatifs à la déconstruction du diagnostic, au changement de nom et de concept de la schizophrénie ne sont pas clos.

À l’issue d’une journée d’étude organisée à l’EPSM Lille-Métropole, un plaidoyer a soutenu la demande d’un changement de nom et de conception de la « schizophrénie » permettant de faire face à l’incertitude diagnostique, la non-validité scientifique et la charge stigmatisante délétère de ce concept flou [13].

Ces travaux se sont poursuivis lors du colloque international « Empowerment des usagers et des aidants en santé mentale », organisé à Lille en 2014 par le CCOMS, en collaboration avec l’OMS Europe et l’OMS Genève. Un atelier sur la thématique du changement de nom de la schizophrénie a mis en place les bases d’une recherche internationale pour recueillir l’avis des usagers et des aidants sur les caractéristiques essentielles de l’épisode dépressif et de la schizophrénie. Des experts d’expérience ont été sollicités ainsi que plus de 150 usagers et aidants présents venus de nombreux pays. La majeure partie des participants appelaient à une modification radicale de concept, une autre prônait un changement de nom, personne n’optant pour le statut quo excepté le représentant de l’OMS [14].

Quelques années plus tard, il fut accepté par l’OMS que le CCOMS de Lille développerait un protocole de recherche fondé sur la contribution des usagers et aidants à la révision de la classification des troubles mentaux et comportementaux. La thématique de la schizophrénie a été choisie, du fait déjà de la demande d’abandon de ce diagnostic par l’ensemble des parties prenantes dont les participants à ce colloque.

Depuis, la position de l’OMS a évolué, ses représentants reconnaissant l’insatisfaction notoire du diagnostic pour l’ensemble des personnes concernées (professionnels, usagers et aidants). Il en va de même sur la position à adopter : s’agit-il de changer l’étiquette diagnostique, comme cela a déjà été fait ou pensé dans de nombreux pays dans le but de réduire la stigmatisation et augmenter le recours aux soins ? s’agit-il de faire imploser le diagnostic et reclasser les symptômes dans les troubles psychotiques et le stress post-traumatique, voire les troubles dissociatifs ou anxieux ?

La participation des usagers et des aidants à la relecture de la CIM : des controverses autour de la procédure

Aussi, dans les suites du Colloque international suscité, les CCOMS de Lille et de Montréal se sont mobilisés pour réfléchir conjointement à la façon d’impliquer les usagers et les aidants dans la révision de la CIM-10. Des groupes de travail constitués de professionnels, usagers et aidants se sont ainsi réunis en 2014 et 2015 à Montréal et à Lille. À Lille, une première rencontre entre les professionnels du CCOMS et six usagers et aidants a été organisée fin 2015 afin de présenter l’OMS, la CIM, le processus de révision, les acteurs impliqués et les enjeux du projet.

Le premier protocole de recherche international intégrant l’organisation de focus groupes auprès d’usagers experts a été refusé par l’OMS, qui s’inquiétait de la façon dont les patients allaient être définis comme experts et dont leur représentativité allait être définie. Le protocole a ainsi dû être amendé en faisant appel à des usagers tout-venant des services de psychiatrie. Même si certains questionnements de l’OMS étaient recevables, nous ne pouvons que regretter cette position, qui dénote, selon nous, une certaine réserve quant à la promotion de l’expertise des usagers. En effet, la réécriture du protocole a fait perdre une occasion de travailler avec des personnes concernées et formées à ce sujet. Il est par ailleurs à noter que le recrutement des usagers au fur et à mesure de leurs consultations, avec comme critère d’inclusion la connaissance de leur diagnostic, n’assurait pas plus leur représentativité.

Afin de lever cette contrainte, le recrutement des usagers et des aidants a été proposé au sein et par le biais des services de santé mentale d’une part, et le protocole a été étendu à deux diagnostics d’autre part : l’épisode dépressif et la schizophrénie. L’idée était de ne pas focaliser le projet uniquement sur la schizophrénie, diagnostic particulièrement contesté et stigmatisant.

La procédure, lancée en 2016 et appliquée dans 13 pays différents, n’avait jamais été mise en œuvre auparavant1. Son aspect novateur consistait à interroger des usagers et des aidants sur des diagnostics les concernant directement et les caractéristiques essentielles les définissant. Les questions concernaient la compréhension (ou les sources d’incompréhension) des mots ou expressions utilisés dans le projet de la CIM-11, les associations positives ou négatives activées, le désir de les renommer et, si oui, comment, et le recours à ces termes pour communiquer autour de leur état de santé.

Les résultats ont été officiellement présentés en 2018 au directeur du bureau « Santé mentale » de l’OMS en marge des rencontres internationales du CCOMS « Empowerment et citoyenneté des usagers et aidants en Europe » et ont fait l’objet de publications internationales.

Résultats

Une première série de résultats concerne les diagnostics eux- mêmes [15]. La plupart des participants rapportent les comprendre mais les associent à des sentiments négatifs. Alors que la négativité de l’« épisode dépressif » vient principalement du concept lui-même, celle de la « schizophrénie » renvoie le plus souvent à son impact social et à son association stigmatisante avec des représentations sociales négatives de la « maladie mentale » voire la « folie ». La majorité de ceux qui proposent de reformuler le diagnostic d’épisode dépressif conservent la racine « depress* » et suppriment, ou renomment, sa dimension temporelle. Pratiquement personne ne suggère de reformulation conservant les racines « schizo » ou « phrène ». Enfin, quand il s’agit de communiquer autour de son état de santé ou de celui de l’usager à qui on vient en aide, certains utilisent des mots basés sur « dépress* » pour en parler, mais sans mentionner l’idée d’épisode. Pratiquement aucun n’utilise le terme de schizophrénie.

Une deuxième série de résultats [16] porte sur les huit caractéristiques essentielles de la schizophrénie. Le pourcentage de personnes déclarant comprendre leur signification est le plus élevée pour « comportement grossièrement désorganisé » et « pensée désorganisée » (77 % chacun », suivis de « idées délirantes persistantes » et « hallucinations persistantes (72 % chacun) puis « symptômes négatifs » (69 %) et « troubles psychomoteurs » (67 %). Vient enfin « idée d’influence, de passivité ou de contrôle » (45 %). Les mots le plus souvent à l’origine des non-compréhensions sont « délires », « hallucinations », « psychomoteur » (également présent dans l’épisode dépressif), « désorganisé » et « passivité/contrôle ».

À l’issue de ces travaux, la recommandation transmise à l’OMS a été que la CIM devrait être co-construite par les professionnels, les usagers et les aidants et prendre en considération la valeur émotionnelle du vocabulaire ainsi que la diversité des contextes linguistiques et culturels.

Pour aller plus loin : changement de nom et/ou de concept ?

À la suite d’échanges avec des collègues japonais (2018) et d’une conférence organisée au sein du CCOMS (2019), un groupe travail s’est mis en place en 2020 afin de mener des réflexions collectives sur la conduite d’un changement de nom et/ou de concept de la schizophrénie. Les partenaires étaient nombreux, représentés par le Réseau français sur l’entente de voix (REV France), le Psycom, l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychique (Unafam), le collectif « Schizophrénies », la FFP, le Collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP), l’Information psychiatrique, le Centre Hospitalier La Chartreuse, ou encore l’association « Schizo ?… Oui ! ». L’idée est d’amener à un débat public et de l’alimenter par des propositions émanant de psychiatres, de psychologues, d’usagers et d’aidants, de médiateurs de santé-pairs, mais aussi d’historiens, de sociologues et de philosophes. La crise épidémique a conduit à poursuivre les débats par webinaires, qui montrent à l’évidence la volonté de changement sans néanmoins de consensus obtenu sur ses modalités et les nouvelles propositions.

Dans l’intervalle, la CIM-11 a été publiée en maintenant la « schizophrénie » comme trouble psychique, les différents sous-types des troubles schizophréniques n’apparaissant plus. Les demandes de changement de nom et de concept n’aboutissent pas, du fait, notamment, des nombreux différends entre psychiatres sur les modalités du changement et les reclassifications de symptômes envisagés.

Il est apparu des réflexions menées jusqu’alors la nécessité de séquencer les approches relatives au changement de nom d’une part et de concept d’autre part même si celles-ci sont à l’évidence intriquées. Elles nécessitent notamment d’évaluer des effets différents dans l’un ou l’autre cas, et ne visent pas directement les mêmes objectifs à court/moyen terme.

En point de repère, il est à noter que les études et réflexions relatives au changement de nom ont débuté au Japon, où, à la demande et après une vaste consultation des personnes concernées et des familles, le nom initial a été abandonné au profit du « trouble de l’intégration ». L’objectif visé était de réduire la stigmatisation, inciter les professionnels de santé à plus souvent poser le diagnostic et améliorer ainsi la prise en charge [17]. Néanmoins, ces travaux, qui se prolongent encore à l’heure actuelle, ne remettent pas en cause l’utilité et la validité clinique du diagnostic.

L’autre option est donc de remettre en cause le concept de schizophrénie lui-même.

L’état actuel des débats est qu’on ne peut continuer à utiliser un concept aussi stigmatisant, non suffisamment fondé scientifiquement, ne répondant pas aux exigences d’un diagnostic ad hoc, soit transparent, collaboratif et informatif. A contrario, le devenir, l’histoire de vie des personnes recevant le diagnostic ne seraient plus les mêmes si le diagnostic contenait en lui-même une autre histoire en devenir. La solution serait de le supprimer et de reclasser les symptômes dans les divers troubles psychiques déjà existants, en leur donnant une terminologie compréhensible et en ne figeant pas le diagnostic.

À une période où les notions de rétablissement et d’empowerment sont à l’agenda et bouleversent les rapports soignants-soignés, où le dialogue ouvert est une piste d’avenir et où le traumatisme est de plus en plus intégré dans la clinique, nous devons prendre en compte cette évolution clinique, culturelle et éthique, en faisant aboutir ces débats en France et plus largement en Francophonie, pour amener notre contribution internationale au changement de la schizophrénie comme d’autres pays l’ont déjà fait.

En conclusion

Faire participer les usagers et aidants à la révision de la CIM s’est avéré complexe mais apparaît nécessaire pour l’avenir. À travers cette recherche, le CCOMS français a été moteur et leader au niveau international et peut témoigner des difficultés et des axes de progression à envisager sur le sujet. La conception et les représentations que les professionnels et chercheurs ont des personnes directement concernées en est un point central.

Dans le cas de la transidentité, il s’agit de démarches volontaires, où le libre arbitre n’est pas directement en cause et où tout peut se discuter avec les intéressés. Jamais la notion d’irresponsabilité n’a été évoqué pour les personnes transgenres, leur choix devant être respecté, bien que pour certains investigués et accompagnés sur le plan somatique ; Parallèlement, questionner leur compréhension des caractéristiques essentielles du diagnostic n’a jamais constitué un sujet en soi et n’a jamais fait l’objet de questionnement. La dépsychiatrisation était notamment portée par un mouvement social mondial parfois contradictoire, mais avec acceptation du libre arbitre des personnes directement concernées.

Pour les personnes ayant reçu le diagnostic d’épisode dépressif, les résultats de nos recherches étayent le constat qu’il leur est plus aisé de participer à des études concernant leur diagnostic. Celui -ci correspond en effet à leurs symptômes et à leur vécu, et le mot « dépression » est utilisé tant par les professionnels que par les aidants. La stigmatisation et l’auto-stigmatisation sont aussi très différentes et beaucoup moins impactantes que pour la schizophrénie. Le diagnostic d’épisode dépressif est facilement compris, usité, partagé, et n’entrave pas l’accès aux soins.

En revanche, pour la schizophrénie, la situation demeure plus complexe et préoccupante. Très peu de professionnels, de personnes directement concernées ou d’aidants n’ont revendiqué la sortie de la schizophrénie de la classification des troubles mentaux. Pourtant, très peu de personnes se considèrent comme souffrant de schizophrénie , étant donné la stigmatisation afférente à cette étiquette, la disparité et l’hétérogénéité des symptômes, et des caractéristiques essentielles peu claires. Nous avons dû composer avec des personnes concernées uniquement à partir d’un diagnostic qui leur avait été imposé, des familles dans le cas d’un proche ayant reçu le diagnostic, et des psychiatres peu à l’aise avec son utilisation courante pour leurs patients. Le diagnostic continue donc de se révéler peu fiable et de présenter toutes les caractéristiques de ce qui peut empêcher l’accès aux soins par sa non-acceptation.

Poser la question de la participation des usagers et des aidants et considérer leur avis, qui plus est dans le cadre de recherches internationales tel que présenté, amène à remettre en cause les fondements même de la psychiatrie, ceux qui ont conditionné l’obligation de soins et entraîné une diminution des libertés pour une catégorie de personnes, dont celles étiquetées comme « schizophrènes ».

De ce fait, le caractère « participatif » de ce type de démarche s’avère quelque peu paradoxal. Si l’on s’en tient à la caution des personnes concernées pour affirmer un diagnostic, il faut encore qu’elles puissent s’y reconnaître et l’endosser. Or, la schizophrénie a été pensée comme un diagnostic identitaire, la personne dite schizophrène étant réduite à son diagnostic, lui-même porteur du pronostic. De plus, la représentation sociale de la schizophrénie condense tous les attributs et invariants internationaux du « fou » et du « malade mental » [18].

La reconnaissance progressive et l’acquisition de connaissances relatives au processus de rétablissement des personnes directement concernées participent également à la mise en mouvement des idées et des conceptions.

Pour continuer la marche, il conviendra donc de lever les obstacles à la citoyenneté et à l’empowerment créés par le diagnostic de schizophrénie encore trop largement imposés à ceux qui le reçoivent.

En l’attente, le CCOMS été reconduit par l’OMS en 2022 en réengageant un axe de travail central, relatif à la participation des usagers et aidants dans les services de soins, dans les activités de recherche et dans les actions de formation. La révision de la CIM sera un processus continu, et le CCOMS continuera de mettre en œuvre des recherches participatives relatives aux diagnostics de la CIM. À ce titre, nous appelons tous les usagers, familles, aidants et professionnels à y contribuer.

Liens d’intérêt

les auteurs déclarent na pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.


1 Nous aurions aussi voulu faire la même étude sur les représentations des psychiatres et psychologues mais il nous a été répondu que le Réseau international de pratiques cliniques y répondrait, par l’interrogation faite sur les caractéristiques essentielles. Nous avons perdu de ce fait une part essentielle des informations concernant l’utilisation de ce diagnostic par les professionnels, aucune remontée n’ayant eu lieu par ce réseau.