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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Optimization of the transition process of youth with Liver Disease into adulthood: A position paper from FilFoie - reference center for pediatric and adult liver diseases Volume 25, issue 10, Décembre 2018

Figures


  • Figure 1

Tables

Introduction

Chez l’adolescent ayant une maladie chronique, la « transition » désigne le temps spécifiquement dédié à préparer le transfert de responsabilité du suivi médical vers le suivi autonome du patient adulte responsable. Le transfert désigne le point exact dans le temps où la responsabilité des soins du patient est passée aux médecins d’adulte. L’adolescence est une période critique, de doute et de structuration. La maladie chronique vient compliquer ce processus d’autonomisation. La réussite de cette étape demande une réflexion commune sur les modalités de cette période qui ne se résume pas au seul moment du transfert, mais qui englobe, bien en amont de celui-ci, toutes les actions destinées à favoriser un processus dynamique de maturation et d’autonomisation [1, 2]. Plusieurs auteurs ont signalé certains éléments-clés pendant la phase de transition : la préparation et l’éducation du patient, le choix anticipé du médecin référent spécialiste d’adultes, l’implication de la famille et la prise en compte de l’opinion de l’adolescent pour ce choix, la coordination des soins avec le médecin d’adultes, l’implication du médecin traitant et le transfert du patient en médecine d’adultes en période de « stabilité clinique » [1-9].

La filière de santé maladies rares du foie [10] rassemble les acteurs professionnels et associatifs impliqués dans la prise en charge des maladies rares du foie de l‘enfant et de l’adulte. Dans le cadre de ses missions, un groupe de travail réunissant hépatologues pédiatres et hépatologues d’adultes, infirmières de liaison, psychologues et membres d’associations de patients pour les maladies rares du foie propose ici des recommandations générales (au-delà de l’aspect spécifique du suivi des maladies du foie de l’enfant) et des outils de travail, visant à optimiser la prise en charge des jeunes arrivant à l’âge adulte à trois moments-clés de leur parcours de transition : la préparation avant le transfert, la période du transfert en service de médecine pour adultes, l’accueil et le suivi en service de médecine pour adultes.

La préparation avant le transfert

La transition est un processus progressif et coordonné visant le passage du jeune patient d’un service de soins pédiatrique vers un service pour adultes. Le début, la durée et la fin de cette période sont imprécises et dépendent de chaque individu. Pendant cette période, il est primordial d’accompagner l’adolescent et ses parents tout au long de ce processus qui doit aborder les besoins médicaux, psychosociaux et éducatifs des jeunes tout en tenant compte de l’aspect social, culturel, économique et environnemental dans lesquels les adolescents et les jeunes adultes évoluent [1, 2, 8]. Les réticences et les craintes du transfert de soins à l’âge adulte sont nombreuses. En effet, du côté du pédiatre, ces réticences proviennent des liens souvent tissés depuis de nombreuses années avec l’enfant devenu adolescent et leurs parents, à certaines conséquences de la maladie (retard de croissance, de développement psychomoteur, retard pubertaire…) qui peuvent paraître relever avant tout de la compétence pédiatrique, à l’intérêt scientifique pour le devenir de la maladie à l’âge adulte et enfin à l’absence d’identification d’un service ou interlocuteur en médecine d’adultes ayant les compétences spécifiques aux maladies rares du foie de l’enfant [11]. Du côté de l’adolescent et de ses parents, ces réticences proviennent de la peur de perdre une relation privilégiée, majorée par la crainte d’une possible aggravation de la maladie dans un futur proche et également la crainte de ne pas retrouver en médecine d’adultes les compétences spécifiques aux maladies hépatiques rares des enfants [12].

La transition est un processus progressif et coordonné visant le passage du jeune patient d’un service de soins pédiatrique vers un service pour adultes

Le transfert du suivi médical en services de soins pour adultes doit donc être préparé afin d’éviter les ruptures de parcours de soins dues aux réticences de la part des deux parties [3, 9]. Il paraît essentiel d’informer plusieurs années en amont, l’adolescent et ses parents, des conditions prévues pour organiser la prise en charge en service de soins pour adultes (en règle vers l’âge de 18 ans) et notamment de les rassurer en ce qui concerne la coopération pédiatre-médecin d’adulte, qui s’établira avant et se poursuivra après le transfert en équipe de soins pour adultes. L’instauration, dès le début de l’adolescence (12-14 ans), d’un style relationnel qui favorise l’autonomie du jeune est conseillée [9, 13] : il est souhaitable de le recevoir seul une partie de la consultation (en respectant la confidentialité) et lui donner des conseils pour l’aider à s’autonomiser, dont des exemples sont fournis en annexe 1 du référentiel accessible sur le site de Filfoie [10]. Lors de ces consultations, il est important d’aborder les connaissances de l’adolescent autour de sa maladie et ses complications éventuelles, ses besoins et ses aspirations, les risques liés à la mauvaise observance du traitement et à certaines conduites à risque (concernant l’alcool et autres toxiques, maladies sexuellement transmissibles…) [14]. L’utilisation régulière d’un questionnaire d’évaluation peut être utile pour suivre ses acquisitions (tableau 1). Un travail similaire est à effectuer avec les parents (questionnaire disponible sur le site de FilFoie [10] pour leur permettre de mieux accepter le principe du relais, et de leur part un certain changement de rôle.

L’instauration, dès le début de l’adolescence, d’un style relationnel qui favorise l’autonomie du jeune est conseillée

L’adolescent doit progressivement apprendre (avec l’aide de ses parents) à s’autonomiser : prise de ses rendez-vous médicaux, approvisionnement de son traitement en pharmacie, prise autonome des médicaments, choix d’un médecin généraliste, renouvellement de ses ordonnances et certificats médicaux (ALD – affection de longue durée, MDPH – maison départementale des personnes handicapées). L’organisation de consultations multidisciplinaires avec la psychologue, l’assistante sociale, la diététicienne, l’infirmière de liaison/coordination, le pédiatre, et le chirurgien le cas échéant, est utile.

Il est important que le pédiatre ait identifié au moins un an avant la période prévue du transfert le futur médecin spécialiste référent « adulte » [2, 9, 11, 14]. Le jeune doit pouvoir rencontrer ce médecin d’adulte référent avant le transfert. Les médecins hépatologues d’adultes souhaitant s’investir dans la transition devraient être clairement identifiés dans chaque région de France (et en informer Filfoie).

Il est important que le pédiatre ait identifié au moins un an avant la période prévue du transfert le futur médecin spécialiste référent « adulte »

Enfin, l’hépatologue pédiatre doit s’assurer qu’un médecin généraliste a été déclaré comme médecin traitant à la Sécurité sociale comme l’impose la réglementation (cf. Formulaire cerfa N̊ 12485*02). Le médecin généraliste doit être impliqué dans la prise en charge du jeune au moins un an avant la période prévue du transfert en plus du médecin spécialiste référent « adulte ». Le médecin généraliste et le futur médecin-référent spécialiste doivent être destinataires des comptes rendus de consultations. Le pédiatre et le médecin d’adultes spécialiste devraient s’accorder sur des investigations complémentaires et objectifs thérapeutiques communs afin d’éviter toute modification du traitement immédiatement après le transfert [2].

L’autonomisation de l’adolescent est indispensable pour une transition réussie

La période du transfert

Le transfert désigne le point exact dans le temps où la responsabilité des soins du patient est passée aux médecins d’adulte. Le moment du transfert est une étape délicate. Il sera d’autant mieux vécu que l’adolescent aura été traité avec un souci d’autonomisation progressive durant son adolescence, sans pour autant « laisser de côté » les parents, dont la continuité du soutien reste le plus souvent indispensable. La période choisie pour le transfert est fonction de la maturité de l’adolescent et de sa famille, plus que de l’âge civil [1, 2, 4].

Le transfert se fait idéalement en période de stabilité clinique, psychologique et sociale. Aucun critère d’âge strict n’est établi, la flexibilité et l’adaptabilité sont essentielles. Certains moments sont préférables : l’adolescent et sa famille paraissent prêts, la maladie est stable, la croissance et la puberté sont terminées, les problèmes personnels de l’adolescence s’estompent. On peut également profiter de certaines « opportunités » : fin de Terminale, déménagement, début de vie en couple… Il y a aussi de « mauvais moments » : il faut éviter le transfert pour des raisons de non-observance dans une ambiance vécue comme punitive, ou à l’occasion d’une complication évolutive. Pour éviter le transfert en phase aiguë, il faudrait obtenir que ces jeunes continuent à être admis dans les structures pédiatriques de l’établissement où ils sont suivis même s’ils ont dépassé l’âge théorique d’admission.

Le transfert se fait idéalement en période de stabilité clinique, psychologique et sociale

Idéalement, le transfert en service de soins pour adultes devrait avoir lieu entre 16 et 20 ans en période de stabilité sur le plan médical, dès que l’évaluation des connaissances de la maladie et de ses complications et qu’une certaine autonomie de l’adolescent vis-à-vis de son traitement et des soins qu’il nécessite paraissent satisfaisantes (tableau 2) [2, 4, 9].

Il semble souhaitable de programmer une ou deux consultations communes, avec le médecin référent d’adultes venant initialement en milieu pédiatrique, puis avec le pédiatre venant en service d’adultes. La consultation commune est basée dans un premier temps sur la validation commune du résumé et sur l’accord sur un projet de soins. Elles ne sont cependant réalisables que s’il existe une proximité géographique des unités d’hépatologie.

Lorsque les centres pédiatriques et de médecine d’adultes sont géographiquement éloignés, les consultations alternées (le jeune et ses parents sont revus au moins une fois après la consultation avec le référent spécialiste de médecine d’adultes) sont recommandées, mais nécessitent une concertation préalable sur les modalités de prise en charge du jeune [4]. Elles n’ont un intérêt que pendant un temps limité (au maximum un an), car il se crée rapidement une ambiguïté dans la prise de responsabilité et dans la cohérence du langage tenu au patient. Le pédiatre informera le référent spécialiste des éventuelles difficultés exprimées par le jeune ou ses parents.

En prévision de la première consultation de transfert, le pédiatre référent aura adressé au médecin d’adultes référent, et en copie au patient (impérativement s’il est majeur), aux parents (si le patient majeur le souhaite) et au médecin généraliste traitant, une synthèse concise de l’histoire médicale en respectant la confidentialité entretenue avec l’adolescent et le projet de soins. Il est souhaitable que l’équipe pédiatrique (infirmière de liaison, secrétaire ou pédiatre référent) prenne contact avec l’équipe adulte afin d’apporter les renseignements nécessaires à l’organisation du suivi. Si des examens biologiques ou radiologiques sont nécessaires avant la consultation, ils seront prévus en accord avec le médecin d’adultes, et réalisés sur le site pédiatrique afin de ne pas surcharger cette première consultation. Un contact téléphonique entre assistantes sociales, psychologues et infirmières de liaison ou d‘éducation thérapeutique des deux équipes peut être nécessaire. La transmission d’informations concernant d’éventuelles difficultés psychologiques du côté de l’adolescent ou de sa famille est essentielle. La transmission, avant le transfert, du questionnaire d’évaluation des connaissances rempli avec le jeune (tableau 1) peut être utile.

Humaniser et personnaliser autant que possible la prise de contact avec l’adolescent ou le jeune adulte apparait essentiel. L’équipe du service d’adultes prendra contact avec le jeune patient par téléphone pour lui proposer une date de rendez-vous. La confirmation du rendez-vous est envoyée par courrier au domicile, avec le plan de l’hôpital précisant le lieu de la consultation.

Il est proposé que le pédiatre référent établisse une fiche de liaison (disponible sur le site de Filfoie [10], reprenant quelques informations de base du patient (maladie, traitement) et indiquant la période souhaitée pour une première consultation avec le médecin d’adultes référent. La date de cette première consultation est notifiée à l’équipe pédiatrique par retour de la fiche de liaison. Il est surtout très important que l’équipe pédiatrique ait la confirmation que l’adolescent s’est rendu à chaque consultation programmée et reçoive un compte-rendu de la première consultation et des consultations ultérieures (sans limite de temps). Ce lien entre le pédiatre et le médecin d’adultes doit permettre d’éviter que le patient ne soit perdu de vue [2].

Un accord sur un projet de soins commun est primordial entre le pédiatre et le médecin d’adultes pendant la période de transfert

L’accueil et l’organisation du suivi en hépatologie adulte

Le jeune doit être « accueilli », et se sentir attendu. Une difficulté témoignée par les jeunes est de côtoyer des adultes atteints de la même affection, et parfois dans un état de santé très dégradé, ou encore de côtoyer des malades âgés. Idéalement, l’accueil du jeune et de ses parents devrait se faire dans un espace dédié ou aménagé pour les adolescents ou jeunes adultes, offrant un environnement chaleureux. Lors de la première consultation, il est hautement recommandé de ménager un temps suffisant pour présenter l’équipe soignante : infirmières de consultation/de liaison, diététiciennes, psychologue, assistante sociale, médecins et faire visiter des locaux : lieu de la consultation, prélèvements, service de radiologie, bureau des rendez-vous…

Beaucoup d’adolescents craignent que le médecin d’adultes ne connaisse pas leur maladie et modifie le traitement prescrit par le pédiatre à qui ils faisaient entièrement confiance. Ceci souligne l’importance d’avoir établi bien en amont du transfert un accord minimal sur un projet de soins, et d’éviter lors de la période initiale de refaire tous les examens, et de modifier les traitements. Il apparaît également souhaitable que le futur médecin spécialiste-référent ait reçu une formation ou ait connaissance des principales maladies hépatiques pédiatriques, de leurs complications pouvant survenir à l’âge adulte ou des spécificités pédiatriques de la transplantation hépatique [11, 14, 15].

Les adolescents sont dans leur grande majorité demandeurs d’une écoute sur leurs problèmes personnels. Mais c’est souvent au nouveau référent qu’il appartient de « faire les premiers pas » dans l’abord de ces questions, même si le jeune adulte ne paraît pas « réclamer » explicitement ce dialogue. Les parents quant à eux craignent que le nouveau médecin ne les ignore totalement, ou ne voit en eux que des freins à l’autonomisation du jeune. Beaucoup de parents craignent que leur enfant ne soit pas en mesure d’être totalement autonome vis-à-vis de l’observance du traitement et du respect des rendez-vous, et continuent à jouer un rôle protecteur. Il apparaît nécessaire que le référent adulte assure lui-même chaque consultation avec l’adolescent et qu’il soit prêt à un investissement personnel en temps et en énergie pour assumer ce relais et ainsi réussir à tisser des liens avec le patient. Pour la première consultation, un temps suffisant (au moins 30-45 minutes) doit être planifié par le médecin référent d’adultes, en prévoyant un temps parents/jeune et un temps avec le jeune pour aborder l’histoire et le vécu de la maladie et préciser les modalités du suivi médical [7] : apprécier la connaissance de sa maladie, son degré d’autonomie et l’observance de son traitement ; aborder le vécu de la maladie, les questions sur l’avenir professionnel, l’impact de la maladie sur sa qualité de vie, sexualité, contraception, grossesse… ; évaluer les projets d’avenir du jeune, et s’adapter à ces projets autant que possible ; expliquer, tout en étant rassurant, la nécessité et les modalités du suivi médical et les risques encourus en cas d’arrêt du suivi et d’arrêt du traitement ; fixer avec le jeune le rythme de la surveillance ; renouveler l’ordonnance des médicaments ; proposer si nécessaire un rendez-vous avec la psychologue ou l’assistante sociale ; proposer les coordonnées d’une association de patients, si cela paraît opportun et souhaité ; rappeler, si besoin, qu’il faut choisir un médecin généraliste, qui assurera le traitement des épisodes infectieux saisonniers ou maladie intercurrente, la mise à jour des vaccinations, le renouvellement de la prise en charge à 100 % (obligatoirement réalisé par le médecin traitant), et du certificat médical de la MDPH ; donner ses coordonnées téléphoniques ou celles de l’IDE (infirmière diplômée d’Etat) coordinatrice pour être contacté si besoin.

À l’issue de chaque consultation, un courrier sera adressé au patient, au médecin généraliste, à tout autre spécialiste (gynécologue, dermatologue, cardiologue…) et à l’hépatologue pédiatre. Il est important d’informer le pédiatre en cas de difficultés de suivi, car il pourra ainsi reprendre contact avec lui, et éventuellement le revoir transitoirement si besoin, afin d’éviter toute rupture dans la continuité des soins. À l’inverse, il peut arriver que les parents ou le patient recontactent le pédiatre pour exprimer un sentiment d’insatisfaction dans la prise en charge. Il est important que le pédiatre se remette en contact avec le médecin d’adultes pour discuter de ses difficultés, et éviter un retour en milieu pédiatrique ou une perte du suivi médical.

Le référent adulte doit assurer lui-même chaque consultation avec l’adolescent

En conclusion, nous avons fourni des pistes de réflexion pour optimiser la préparation au transfert et le transfert du suivi médical en services de médecine d’adultes (figure 1). L’adolescent et sa famille ont une maturité, un degré de réflexion, et l’assentiment pour s’engager dans une nouvelle relation thérapeutique très variables, et il faut les accompagner dans cette mutation. Ce passage sera d’autant mieux vécu que le patient aura été traité avec un souci d’autonomisation progressive durant son adolescence, sans pour autant laisser de côté les parents, dont le soutien reste le plus souvent indispensable. Au-delà des conditions d’organisation locale et du contexte propre à chaque adolescent ou ses parents, demeure importante la motivation du « binôme » pédiatre-médecin d’adultes qui doit être prêt à un investissement personnel en temps et en énergie pour assumer ce relais.

Take home messages

  • Le pédiatre doit informer l’adolescent et ses parents, plusieurs années en amont, des conditions prévues pour organiser la prise en charge en service de soins pour adultes.
  • Il apparaît essentiel de recevoir l’adolescent seul une partie de la consultation dès l’âge de 12-14 ans, d’évaluer régulièrement ses connaissances autour de sa maladie, et aborder les risques liés à la mauvaise observance du traitement et de certaines conduites à risque.
  • Un accord minimal sur le projet de soins entre le pédiatre et le médecin d’adulte est recommandé, à l’occasion de consultations communes, ou alternées précédant le transfert.
  • Un accueil spécifique doit être prévu par le service d’adultes avec un temps de première consultation suffisant.
  • Le pédiatre doit être informé du suivi du jeune ou de la non-observance des rendez-vous programmés.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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