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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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DPD deficiency screening: Sine of pride and medicine of vageuess Volume 26, issue 7, Septembre 2019

L’Homme a toujours été préoccupé par l’avenir, connaître le futur pour toutes les bonnes ou mauvaises raisons est une quête constante de l’humanité. Entre les croyances du monde païen, la Pythie grecque, l’augure de Rome et la biologie de précision de notre époque, existe-t-il une significative différence ? Avons-nous réellement progressé en quelques millénaires ou sommes-nous simplement, comme chaque génération, bouffis d’orgueil et remplis d’un doux mépris pour nos anciens. La connaissance approfondie de notre patrimoine génétique nous permet-elle de prédire l’avenir avec précision ? La médecine dite de précision est-elle un habillage marketing par un habile lobby ou une réalité applicable à l’ensemble de la population concernée. L’exemple des recommandations récentes sur le dépistage systématique du déficit en dihydropyrimidine deshydrogénase (DPD) avant tout traitement par 5-fluorouracile ou capécitabine illustre assez bien ce thème récurrent [1].

« Les portes de l’avenir sont ouvertes à ceux qui savent les pousser » Coluche

Pour la bonne cause, nous cherchons à optimiser le rapport efficacité/toxicité de la chimiothérapie antitumorale. Il faut rappeler que le concept de la chimiothérapie antitumorale repose sur l’utilisation de produits cytotoxiques et que la dose thérapeutique est retenue dans les études de phase précoce après la recherche de la dose maximale tolérable. Par définition, la dose thérapeutique des cytotoxiques est très proche de la dose toxique contrairement à la grande majorité des autres classes thérapeutiques où il existe une très grande marge entre la dose efficace et la dose toxique. La recherche d’une chimiothérapie cytotoxique sans toxicité est politiquement correcte mais scientifiquement au moins un rêve, au plus une duperie. L’objectif raisonnable est de minimiser les risques, ce qui est l’objectif de la pharmacogénétique et de la pharmacocinétique, en améliorant les connaissances sur les variations individuelles du métabolisme des médicaments.

La dose thérapeutique des cytotoxiques est très proche de la dose toxique contrairement à la grande majorité des autres classes thérapeutiques

Le 5-fluorouracile (5-FU) est un produit connu depuis plus de cinquante ans dont l’autorisation de mise sur le marché en France dans l’indication des cancers digestifs date de 1993. La capécitabine, dérivé oral du 5-FU, a obtenu son autorisation de mise sur le marché en 2007 pour les tumeurs digestives. En France, chaque année entre 65 000 et 77 000 personnes seraient traitées par le 5-FU ou capécitabine, le plus souvent en association avec d’autres cytotoxiques. Les toxicités sévères (au moins de grade 3 de la classification Commun Terminology for Advers Events) concerneraient 25 % à 50 % des patients traités, et les décès toxiques (attribués à la chimiothérapie) 0,05 % des patients traités [2].

Les toxicités sévères concernent 25 à 50 % et les décès toxiques 0,05 % des patients traités par une fluoropyrimidine

Les principales études concernant les adaptations de doses et la pharmacogénétique des fluoropyrimidines datent de la fin du XXe et du début du XXIe siècle et ont été menées majoritairement par des équipes françaises [3, 4]. Elles ont contribué à démontrer que le métabolisme des fluoropyrimidines était sous la dépendance de la DPD, que l’activité de cette enzyme était variable d’un individu à l’autre et qu’il existait dans la population caucasienne entre 0,01 et 0,5 % de sujets avec un déficit complet exposant à une toxicité potentiellement létale [2]. La conclusion paraît simple : pour éviter des complications létales des fluoropyrimidines, il faut chercher systématiquement les sujets porteurs d’un déficit complet.

L’humilité et l’honnêteté obligent à reconnaître que les déficits en DPD n’expliquent que 20 % à 60 % des toxicités des protocoles de chimiothérapie comportant une fluoropyrimidine… La précision de l’estimation devrait inciter à une certaine modestie ! De plus, les données ne sont valides que dans la population caucasienne, ce qui paraît également surprenant à l’heure de la mondialisation !

Le métabolisme des fluoropyrimidines est sous la dépendance de la dihydropyrimidine déshydrogénase dont il existe un déficit complet chez 0,01 et 0,5 % des caucasiens

Quelle méthode utiliser pour identifier les sujets ayant un déficit complet ne devant pas être exposés aux fluoropyrimidines ? Les deux approches par génotypage et par phénotypage ont été développées. Les données sont synthétisées dans le très complet document publié par la Haute Autorité de Santé (HAS) et l’Institut National du Cancer (INCa) [2]. L’approche génotypique a mis en évidence les principaux variants détectés uniquement dans la population caucasienne, l’impact sur la toxicité des variants identifiés dans la population afro-américaine n’a pas été étudié alors qu’ils sont présents chez plus de 25 % des sujets testés ! L’approche phénotypique mesure directement l’activité fonctionnelle de l’enzyme quelle que soit la cause (non génétique ou variants inconnus). Parmi les techniques de phénotypage, seul le dosage de l’uracilémie est applicable en routine pour une population estimée à 80 000 personnes par an. L’analyse de la littérature montre cependant des données contradictoires sur la relation entre le dosage de l’uracilémie et l’activité de la DPD. De même, les données sont également contradictoires sur la relation entre le taux d’uracilémie et le risque de toxicité de grade supérieur à 3. Pour prédire la survenue de toxicités sévères sous fluoropyrimidines, un taux d’uracilémie supérieur ou égal à 16 ng/mL (ou 13, 9 ng/mL) a une sensibilité de 18 % à 88 % et une valeur prédictive positive de 35 à 42 % selon les études [5-7]. C’est un consensus fondé sur des études peu nombreuses et de faible niveau de preuve, et non sur une étude prospective, qui a défini le seuil de 16 ng/mL pour distinguer le déficit partiel de l’absence de déficit en DPD. La définition du seuil pour identifier les déficits complets est également un consensus fondé sur l’expérience de quelques experts pour converger vers la valeur de 150 ng/mL en l’absence de données publiées sur le sujet. Sur une étude réalisée par les sept laboratoires français, 0,08 % des 38 862 patients testés avaient une uracilémie supérieure à 150 ng/mL.

Les données sont contradictoires concernant la relation entre le dosage de l’uracilémie et, d’une part, l’activité de la dihydropyrimidine déshydrogénase, d’autre part, le risque de toxicité sévère

Selon ces résultats, sur l’ensemble des patients susceptibles de recevoir un traitement comportant une fluoropyrimidine, 60 patients avec une uracilémie supérieure à 150 ng/mL seront identifiés chaque année en France. Pour ces 60 patients, il sera raisonnable de proposer une alternative thérapeutique si elle existe. Pour tous les patients dont l’uracilémie sera comprise entre 16 et 150 ng/mL, la recommandation est floue, reflétant la difficulté des experts à formuler une proposition sans argument scientifique solide. Le risque est double : sur-traiter des patients avec un risque de toxicité sévère mais aussi sous-traiter des patients avec un risque de diminution de l’index thérapeutique. Enfin, la valeur de l’uracilémie dépend étroitement de conditions pré-analytiques strictes (temps entre le prélèvement et la congélation) ajoutant une variable d’incertitude a l’interprétation du résultat. L’ensemble de ces données permet de parler actuellement de médecine de l’imprécision dans cette situation.

Le dosage de l’uracilémie n’est pas inscrit, à ce jour, à la nomenclature des actes et n’est donc pas remboursable par l’Assurance-Maladie. Actuellement, le financement est assuré par l’enveloppe du référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN) qui pose beaucoup de problèmes car elle ne couvre qu’une partie des frais engagés par les établissements. Pour 80 000 dosages par an, le coût est estimé 3,2 millions d’euros (40 euros le dosage de l’uracilémie). Le coût du dépistage d’un patient suspect de déficit complet sera compris entre 8 000 et 400 000 euros (0,5 à 0,01 % de la population). Le coût du décès évité, lié au déficit en DPD, sera compris entre 100 000 et 400 000 euros (20 % à 60 % des toxicités sévères liées au déficit en DPD, 0,05 % de décès toxique sous 5-FU). Si la valorisation financière d’une vie sauvée est toujours une approche moralement choquante, elle reste néanmoins indispensable à l’heure du choix entre plusieurs actions de santé. Pour éclairer les choix médico-économiques, le critère le plus souvent utilisé estime le coût additionnel qui doit être consenti pour obtenir une année de vie ajustée sur la qualité de vie (Quality Adjusted of Life Year, QALY). À titre de comparaison, on peut considérer que le dépistage du cancer colorectal est un bon moyen indirect d’éviter la prescription de fluoropyrimidine. Le coût du dépistage par test immunologique (FIT) est estimé à 4 000 euros/QALY (une année de vie sans altération de la qualité de vie). Étonnamment, dans le très complet rapport de la HAS-INCa sur le dépistage de la DPD, le calcul de l’estimation du coût/QALY n’a pas été réalisé. Il n’y a aucune référence à une évaluation médico-économique de ce dépistage qui est habituellement analysé précisément par les instances avant toute décision engageant l’argent public. Cette absence de référence médico-économique est d’autant plus surprenante que le rapport a été réalisé après une saisine de la Direction générale de la Santé et de la HAS, deux experts dans le domaine…

« Je m’intéresse beaucoup à l’avenir, car c’est là que j’ai décidé de passer le reste de mes jours. » Woody Allen

Le dosage de l’uracilémie n’est, à ce jour, pas inscrit à la nomenclature des actes et n’est donc pas remboursable par l’Assurance-Maladie

Cette aventure du dépistage de la DPD illustre la différence qui sépare les études cliniques démontrant une différence significative entre deux groupes de patients mettant en évidence un critère prédictif de survenue d’un événement (réponse, toxicité, etc.) et la possibilité de réaliser une prédiction individuelle avec un degré de précision utile pour une décision importante comme éviter une toxicité grave sans prendre le risque de sous-traiter le patient. Si nous maitrisons bien les règles de l’Evidence Based Medicine, il nous faut admettre que nous ne sommes pas encore capables de standardiser et de proposer des recommandations robustes à l’échelle d’une population pour une médecine personnalisée. Le contre-exemple en oncologie digestive porte sur un paramètre qualitatif. En effet, la présence d’une mutation du gène RAS représente un facteur prédictif de non-réponse aux anti-EGFR, et ce marqueur est utilisé au quotidien pour le choix individuel du traitement. Cependant, nous n’avons pas d’exemple d’utilisation d’un marqueur quantitatif (variable continue) utilisable en médecine prédictive. La France est le seul pays à avoir fait une tentative de recommandation, ce qui correspond bien à notre image à l’international, le coq chantant sur son tas de fumier, toujours un brin orgueilleux. Les prochaines générations n’auront pas beaucoup d’efforts à faire pour nous contempler le regard rempli du doux mépris de la jeunesse triomphante… et ainsi nous aurons reproduit comme nos aînés les caractéristiques du peuple gaulois, débatteur et râleur mais obéissant aux faits du prince !

La France est le seul pays à avoir fait une tentative de recommandation

En conclusion, les mérites de la recommandation actuelle de la HAS et de l’INCa sont de proposer une stratégie pour éviter les décès toxiques par déficit en DPD, d’avoir tenté une standardisation et d’avoir mis en évidence le fossé qui nous sépare encore de la médecine personnalisée pour tous. Il faut cependant garder en mémoire le faible niveau de preuve des données utilisées, la variabilité des résultats en fonction des conditions pré-analytiques et le fait que le déficit en DPD n’explique qu’une partie des toxicités des fluoropyrimidines. Le colloque singulier médecin-malade et la réunion de concertation pluridisciplinaire prenant en compte l’ensemble des paramètres cliniques et biologiques demeurent les étapes essentielles des décisions thérapeutiques pour intégrer l’ensemble des paramètres.

Il faut garder en mémoire le faible niveau de preuve des données utilisées, la variabilité des résultats en fonction des conditions pré-analytiques et le fait que le déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase n’explique qu’une partie des toxicités des fluoropyrimidines

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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