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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Faut-il éradiquer Helicobacter pylori en cas de reflux gastro-œsophagien ? Volume 8, issue 5, Septembre - Octobre 2001

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  • Published in: 2001

Le rôle de Helicobacter pylori dans le reflux gastro-œsophagien de l'adulte (RGO) est encore largement débattu. Certains auteurs attribuent à H. pylori un rôle protecteur [1, 2] alors que d'autres ont montré que le RGO n'était pas influencé par l'infection gastrique par H. pylori [3, 4]. Les travaux qui ont évalué les effets de l'éradication de H. pylori en cas de maladie ulcéreuse sont là aussi divergents avec, pour certains, une aggravation [5] et pour d'autres une amélioration des symptômes de reflux.

Le pH du contenu gastrique est un déterminant essentiel des lésions distales de la muqueuse de l'œsophage. Les effets de l'infection par H. pylori sur le pH gastrique dépendent largement de la topographie et de la sévérité de la gastrite. En effet, quand la gastrite prédomine dans l'antre, la sécrétion gastrique acide est stimulée alors qu'elle est, dans une certaine mesure, inhibée si la gastrite intéresse essentiellement la région fundique.

Les études qui concernent les effets de l'éradication de H. pylori au cours du RGO chez des patients non ulcéreux sont rares et publiées uniquement sous forme de résumés, parfois sans groupe témoin. Le but de cette étude était d'évaluer les effets de l'éradication de H. pylori sur les symptômes de patients atteints de RGO exclusif. Dans cet essai thérapeutique contrôlé, le recrutement des patients s'est effectué sur 3 ans. Les patients inclus avaient tous des symptômes de RGO (régurgitation et/ou pyrosis) pendant au moins 4 semaines. Le RGO était prouvé soit par l'existence d'une œsophagite en endoscopie, soit par une pHmétrie œsophagienne des 24 heures. Les affections organiques de l'œsophage, la consommation excessive de drogue ou d'alcool, la grossesse ou toute affection psychiatrique étaient considérés comme des critères d'exclusion.

Les auteurs ont défini trois groupes de malades en fonction de la présence de H. pylori prouvé par histologie, sérologie et test respiratoire au carbone13. Les sujets infectés étaient randomisés pour recevoir une éradication de HP (groupe HP+er) ou un placebo (groupe HP+). Des sujets témoins sans H. pylori constituaient le groupe témoin. Le descriptif de l'étude comportait trois étapes, une phase d'éradication (lanzoprazole 30 mg 2 fois par jour pendant 10 jours, 1 g d'amoxycilline, 500 mg de clarithromycine 2 fois par jour ou un placebo), une phase de traitement pendant 8 semaines (lanzoprazole 30 mg/j pour les trois groupes), une phase de suivi (appel téléphonique toutes les 2 semaines, consultation à 8 et 12 semaines). Un second test respiratoire au carbone13 était effectué à 12 semaines pour s'assurer de l'éradication de H. pylori. Une rechute était définie quand les scores symptomatiques après éradication étaient identiques aux valeurs observées avant traitement ou quand ce score établi à deux reprises montrait des symptômes modérés au moins deux fois par semaine.

Les mêmes investigations étaient réalisées en fin d'étude (6 mois de suivi) en l'absence de rechute ou plus précocement en cas de récidive des symptômes. Sur 129 patients éligibles, 70 ont été inclus et 58 ont terminé le protocole. Sur les 70 patients, 20 ont reçu une éradication de H. pylori (15 ont terminé l'étude : groupe HP+er), 17 le placebo (14 ont terminé l'étude : groupe HP+) et 33 constituaient le groupe témoin (29 ont terminé l'étude). L'éradication était effective chez 13 des 15 patients du groupe HP+er (87 %). Chez 21 des 58 patients inclus, aucune récidive n'a été observée pendant 6 mois et les investigations prévues ont été réalisées en fin d'étude. En revanche, une récidive est survenue chez 37 patients faisant pratiquer les investigations plus tôt (médiane de 29 jours [10-144]). Les patients du groupe HP+er récidivaient moins vite que les sujets du groupe HP+ (100 [11-252 jours] versus 54 [14-179 jours], p = 0,046) ou du groupe témoin (110 [10-258 jours], p = 0,018). La sévérité de l'œsophagite à l'inclusion influençait le délai de la récidive (pas d'œsophagite : 127 jours, œsophagite de grade 3 ou 4 : 18 jours). Parmi les patients qui récidivaient, la présence d'une œsophagite en début d'étude n'était pas influencée par la présence de H. pylori. Au moment de la récidive, une œsophagite était observée chez 7 des 14 patients du groupe HP+, 6 des 7 patients du groupe HP+er et 13 des 15 patients du groupe témoin. Quand les résultats étaient corrigés en fonction de l'œsophagite, les patients du groupe HP+ récidivaient plus précocement (p = 0,086) que ceux du groupe HP+er ou que les sujets témoins (p = 0,001). De façon surprenante, les données des enregistrements du pH œsophagien effectués en début d'étude n'étaient pas statistiquement modifiées au cours de l'étude.

Ce travail montre donc que l'éradication de H. pylori chez des patients avec RGO exclusif apporte un bénéfice symptomatique et prolonge le délai avant la survenue d'une récidive clinique. En revanche, l'éradication de H. pylori ne semble apporter aucun bénéfice chez les malades dont l'œsophagite est sévère, ce qui suggère que le rôle de la bactérie est modeste dans cette situation ou que la récidive précoce observée en présence d'une œsophagite sévère masque l'effet protecteur de l'éradication. Il est intéressant d'observer que l'éradication de H. pylori ne modifie pas l'exposition acide de l'œsophage, ce qui suggère que l'effet bénéfique de l'éradication sur les symptômes s'exercerait par des modifications de la sensibilité œsophagienne à l'acide. L'absence d'effet de H. pylori sur l'exposition acide œsophagienne a déjà été mise en évidence par d'autres équipes [6]. Bien sûr, le faible nombre de patients analysés doit rendre prudente l'interprétation des données qui vont à l'encontre des connaissances actuelles et des recommandations de la dernière conférence de consensus française qui conseillait de ne pas prendre en compte l'infection par H. pylori dans le traitement du RGO de l'adulte. Des études portant sur un plus grand nombre de patients permettront sans doute de confirmer ces résultats qui pourraient modifier la stratégie de prise en charge du reflux gastro-œsophagien. C'est une affaire à suivre...

Schwitzer W, Thurshirn M, Dent J, Guldens-chuh I, Menne D, Cathomas G, et al. Helicobacter pylori and symptomatic relapse of gastro-esophageal reflux disease : a randomized controlled trial. Lancet 2001 ; 357 : 1738-42.

Références

1. O'Connor HJ. Helicobacter pylori and gastro-oesophageal reflux disease-clinical implications and management. Aliment Pharmacol Ther 1999 ; 13 : 117-27.
2. Vicari JJ, Peek RM, Falk GW, Falk GW, Golgblum JR, Easley KA, et al. The seroprevalence of cagA-positive Helicobacter pylori strains in the spectrum of gastrooesophageal reflux disease. Gastroenterology 1998 ; 115 : 50-7.
3. Newton M, Bryan R, Burham WR, Kamm MA. Evaluation of Helicobacter pylori in reflux oesophagitis and Barrett's oesophagus. Gut 1997 ; 40 : 9-13.
4. Csendes A, Smok G, Cerda G, Burdiles P, Mazza D, Csendes P. Prevalence of Helicobacter pylori infection in 190 control subjects and in 236 patients with gastroesophageal reflux, erosive esophagitis or Barrett's esophagus. Dis Esophagus 1997 ; 10 : 38-42.
5. Labenz J, Blum AL, Bayerdorffer E, Meining A, Stolte M, Curing GB. Helicobacter pylori infection in patients with duodenal ulcer may provoke reflux esophagitis. Gastroenterology 1997 ; 112 : 1442-7.
6. Peters FT, Ganesh S, Kuipers EJ, Sluiter WJ, Klinkenberg-Knol EC, Lamers CB, et al. The influence of Helicobacter pylori on oesophageal acid exposure in GERD during acid suppressive therapy. Aliment Pharmacol Therap 1999 ; 13 : 921-6.