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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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And if patients ingested blue to increase the performance of screening colonoscopy? Volume 26, issue 6, Juin 2019

Figures


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

Contexte

Le dépistage du cancer colorectal (CCR) est un problème majeur de santé publique vu son incidence et sa mortalité. La coloscopie reste en 2019 le gold standard pour le dépistage et la prévention du CCR par la résection des lésions pré-néoplasiques [1, 2].

Cependant, la coloscopie ne permet pas de prévenir l’ensemble des cancers notamment à cause de lésions manquées lors de l’examen. Les lésions planes et festonnées sont les lésions les plus incriminées dans le développement du cancer d’intervalle. Le taux de détection d’adénome (TDA = nombre de coloscopie avec au moins un adénome) constitue le meilleur critère de qualité de la coloscopie puisqu’il est inversement associé à l’incidence du cancer du côlon d’intervalle et à la mortalité par cancer du côlon [3-6].

L’optimisation de l’efficacité de la coloscopie de dépistage passe par le développement de stratégies visant à augmenter le TDA.

Dans les stratégies développées, l’augmentation du contraste de la muqueuse colique en utilisant une chromoendoscopie au « bleu » pulvérisé à l’aide d’un cathéter spray a démontré une amélioration du TDA et est recommandée en cas de syndrome de Lynch, de polypose festonnée ou en cas de MICI pour la recherche de dysplasie [7, 8]. Sa généralisation dans le dépistage est impossible en raison du caractère laborieux et chronophage de cette technique, peu coût-efficace pour le quotidien du dépistage [9] dans la population à risque moyen.

De nombreuses équipes travaillent sur une possibilité d’absorption de bleu de méthylène par voie orale pour profiter des bénéfices de la chromoendoscopie en évitant les inconvénients techniques liés à la pulvérisation [10].

L’équipe italienne du Pr Repici a développé récemment une capsule de bleu de méthylène combinée avec une matrice pH et temps dépendante (MB-MMX) permettant une libération sélective et homogène au niveau colique, afin d’améliorer le TDA.

Après avoir évalué sa sécurité et sa pharmacocinétique chez des volontaires sains, cette étude randomisée de phase III cherchait à démontrer l’efficacité et l’innocuité de la prise de cette capsule de bleu de méthylène (MB-MMX) dans le dépistage du CCR par coloscopie.

Cette étude randomisée de phase III cherchait à démontrer l’efficacité et l’innocuité de la prise de cette capsule de bleu de méthylène dans le dépistage du cancer colorectal par coloscopie

Présentation de l’étude

Schéma de l’étude

Il s’agit d’un essai randomisé multicentrique international de phase III, en double aveugle.

Les patients étaient randomisés en trois groupes selon un ratio 2:2:1 et recevaient respectivement :

  • un placebo ;
  • 200 mg de MB-MMX ;
  • 100 mg de MB-MMX.

Les deux groupes utilisés pour l’analyse statistique étaient seulement le groupe placebo et le groupe 200 mg MB-MXX.

Le troisième groupe à posologie réduite (100 mg) avait uniquement pour objectif de limiter le biais lié à la coloration colique qui empêchait un « double aveugle » auprès de l’opérateur réalisant la coloscopie.

Préparation colique, examen endoscopique, anatomopathologie

Les patients recevaient une préparation standard non fractionnée de 4 L de PEG la veille de l’examen.

Les capsules de bleu de méthylène ou le placebo étaient associées à la préparation colique selon le schéma suivant : trois comprimés après 2 L, trois comprimés après 3 L, et deux comprimés après le 4e et dernier litre.

Avant le début de l’étude, tous les opérateurs ont été évalués pour vérifier leur maîtrise de la chromendoscopie grâce à un test en ligne.

Les coloscopies étaient réalisées le matin avec des endoscopes haute définition.

Chaque polype avait une caractérisation morphologique (classification de Paris, extension latérale) avant la résection.

Tous les critères de qualité standard de la coloscopie, dont le temps de retrait, étaient évalués.

Une double lecture centralisée endoscopique (grâce à l’enregistrement vidéo des procédures) et anatomopathologique était réalisée. L’anatomopathologiste était en aveugle de la prise ou non de capsule MB-MMX.

Population de l’étude

La population de l’étude était composée de patients de 50 à 74 ans, réalisant une coloscopie dans le cadre d’un dépistage organisé ou individuel (symptômes, antécédent personnel ou familial). Les patients atteints de MICI colique n’étaient pas inclus. Vingt centres experts européens et américains ont participé.

Les caractéristiques cliniques des patients et les indications de coloscopie (dépistage, surveillance après coloscopie antérieure) étaient comparables entre chaque groupe.

Objectifs de l’étude

L’objectif principal était de démontrer la supériorité de 200 mg de MB-MMX pour améliorer le taux de détection d’adénome et de carcinome, avec preuve histologique.

L’un des principaux objectifs secondaires était d’évaluer le taux de faux positif défini comme des patients sans aucun adénome ayant eu une résection pour une lésion non adénomateuse.

Ce critère secondaire a été exigé par la FDA (US Food and Drug administration) pour détecter une éventuelle proportion élevée de résections non pertinentes dans le groupe 200 mg MB-MMX.

On note également, parmi les objectifs secondaires, une recherche d’effets indésirables en différenciant les effets indésirables attendus (coloration des urines et la décoloration des selles, qui sont des effets non sévères et directement liés à la prise de bleu de méthylène) des effets indésirables inattendus.

Résultats

Taux de détection d’adénome

Un total de 626/1 205 (52 %) patients avait au moins un adénome ou adénocarcinome lors de la coloscopie.

Le TDA était significativement supérieur dans le groupe 200 mg MB-MMX (273/458 [56,3 %]) comparé au placebo 229/479 [47,8 %]), soit un OR de 1,41 (1,09, 1,81) (p < 0,01), en analyse en intention de traiter (figure 1).

Les résultats étaient encore meilleurs pour l’analyse per protocole qui excluait les patients n’ayant pas pris correctement la préparation ou pour lesquels la coloscopie était incomplète ou insuffisamment préparée (58,24 % vs. 47,92 %, OR 1,52 [1,17, 1,97], (p < 0,01)).

Ces résultats étaient indépendants du centre.

Si l’on se focalisait uniquement sur les polypes festonnés (adénomes festonnés sessiles et adénomes festonnés traditionnels), le taux de détection était amélioré d’un facteur 2 dans le bras 200 mg MB-MMX (5,8 % vs. 2,5 %, OR 2,38 [1,20, 4,75]).

Si l’on considérait uniquement la morphologie des polypes, le taux de détection de lésions planes était meilleur dans le groupe 200 mg MB-MMX (43,9 % vs. 35,1 %, OR 1,45 [1,12, 1,88]) alors qu’il n’existait pas de différence pour les lésions polypoïdes (50,5 % vs. 49,7 %, OR 1,03 [0,8, 1,33]) (figure 2).

En analyse de sous-groupes, il existait une différence significative pour les lésions inférieures à 5 mm en faveur du bras 200 mg MB-MMX (37,1 % vs. 30,9 %, OR 1,32 [1,01, 1,72]), qui n’existait pas pour les polypes de 6-9 mm ou supérieurs à 10 mm (figure 3).

Taux de faux positif

Au total, 850/1 205 patients ont eu une résection endoscopique.

Les faux positifs (résection d’une zone de muqueuse normale) concernaient 224 patients (26,4 %). Le taux de faux positifs était plus élevé dans le groupe placebo que dans le groupe 200 mg MB-MMX (29,8 % vs. 23,3 %, p < 0,0001).

Préparation colique, temps de retrait

Le score de Boston était renseigné dans 99,7 % des cas avec un score moyen de 6,7 ± 1,7, similaire dans chaque groupe.

L’effet positif sur le TDA était uniquement obtenu en cas de préparation correcte (Boston > 6).

Les temps de montée de la coloscopie jusqu’au cæcum et les temps de retrait étaient comparables entre les deux groupes.

Sécurité et tolérance

Au total, 49,4 % des patients ont eu un effet indésirable.

Cette proportion était plus importante dans le groupe 200 mg MB-MMX (64,3 % vs. 29,2 %) mais était essentiellement due à la coloration des urines et la décoloration des selles qui sont inhérentes à l’utilisation du bleu de méthylène.

Si l’on exclut ces cas, les effets secondaires étaient similaires (nausées, vomissements, douleurs abdominales, maux de tête) et comparables dans les deux groupes.

Commentaires

Cet essai randomisé démontre l’intérêt de la coloration par voie orale pour améliorer le TDA.

La simplicité de la procédure (prise de gélules en même temps que la préparation colique) est séduisante bien qu’il n’existe encore aucune information sur leur coût.

La force de cette étude est son caractère randomisé, multicentrique, la centralisation des données autant endoscopiques (grâce à l’enregistrement vidéo des coloscopies) qu’histologiques et l’existence d’un bras « fantôme » (recevant la préparation de bleu de méthylène à demi-dose mais non inclus dans l’analyse finale) qui tente de limiter le biais de la coloration colique qui lève inévitablement le double aveugle chez l’opérateur.

Cet essai randomisé démontre l’intérêt de la coloration par voie orale pour améliorer le taux de détection des adénomes

Malgré l’impossibilité de maintenir complètement l’aveugle chez l’opérateur, on pourra noter qu’il n’existe pas de différence significative du temps de retrait, qu’il n’existe pas plus de résections inutiles dans le groupe bleu de méthylène, et que le TDA du groupe recevant la demi-dose (non inclus dans l’étude) est intermédiaire entre le groupe placebo et le groupe recevant la dose de 200 mg.

Ceci limite l’hypothèse d’une meilleure exploration volontaire de l’opérateur en présence d’une muqueuse colorée.

On pourra regretter le schéma de la préparation (4 L la veille de l’examen), que les auteurs justifient par l’absence de généralisation des préparations fractionnées dans les différents centres lors de l’inclusion. Des données pharmacocinétiques sont à l’étude avec les préparations fractionnées recommandées en France.

Une autre force de l’étude est le TDA élevé dans le groupe placebo (47,8 %). Ce TDA très élevé expliqué par l’expertise des centres choisis, renforce encore la significativité de cette stratégie. Effectivement, la plupart des stratégies évaluées récemment pour augmenter le TDA (Endocuff notamment [11]) n’était généralement positive que chez les moins bons détecteurs (TDA < 35 %) et non chez les hauts détecteurs.

Ces résultats laissent suggérer une amélioration encore plus importante chez des moins bons détecteurs.

L’impact clinique du TDA a déjà été démontré avec une diminution d’incidence du cancer colorectal d’intervalle de 3 % lorsque le TDA augmente de 1 % [6].

Ici, l’augmentation supérieure à 8 %, chez des opérateurs bons détecteurs, laisse donc espérer un impact clinique majeur à long terme.

L’augmentation supérieure à 8 % du taux de détection des adénomes, chez des opérateurs bons détecteurs, laisse espérer un impact clinique majeur à long terme

L’augmentation d’un facteur 2 du taux de détection des polypes festonnés est également un résultat majeur. La détection des polypes festonnés est reconnue comme un élément majeur dans la prévention du cancer colorectal, et plus particulièrement au niveau du côlon droit [12-14]. Les polypes festonnés, dont la carcinogénèse particulière implique une mutation de la voie B-RAF, sont responsables d’une partie non négligeable des cancers d’intervalle.

À l’inverse, le rôle clinique des adénomes de moins de 5 mm est encore débattu.

Certaines publications faisant état d’une croissance et d’un risque d’évolution vers l’adénocarcinome extrêmement faibles dans cette catégorie de polype. La cohorte de 200 polypes de cette taille de Mizuno et al. a montré une croissance médiane de 0,6 mm après 7 ans de suivi endoscopique [15].

Ces hypothèses ont été confirmées par une cohorte américaine récente montrant seulement 0.3 % de dysplasie de haut grade (et aucun cancer) en cas de polype < 5 mm sur une analyse de plus de 20 000 adénomes [16].

L’impact de l’amélioration de leur détection doit encore être évalué et nous amène à prendre les résultats de cette étude avec prudence.

Enfin, il est difficile d’étudier le bleu de méthylène sans évoquer les craintes de dommages causés à l’ADN, rapportées dans les années 2000 [17, 18]. Les auteurs s’en défendent avec les résultats de l’essai de phase II qui n’avait pas montré ce type d’anomalies lors de l’analyse de biopsies coliques [19].

Il faudra également, en cas de généralisation future, être vigilant à l’association avec les Inhibiteurs Spécifiques de la recapture de la Sérotonine qui pourrait représenter une contre-indication à l’absorption de bleu de méthylène. Effectivement, le bleu de méthylène est un inhibiteur de la mono-amine oxydase et son administration intraveineuse a été associée à un risque de syndrome sérotoninergique [20]. Des données de sécurité dans cette sous-population seront nécessaires.

Enfin, la dernière limite de cette stratégie réside dans l’impact de cette coloration sur les techniques de chromoendoscopie virtuelle indispensables pour la caractérisation des lésions dépistées en temps réel. Effectivement, il est probable que l’image soit ininterprétable en combinant la coloration au bleu avec les techniques virtuelles (NBI, i-SCAN, BLI) en raison de la perte de luminosité induite par la coloration.

Conclusion

L’administration orale d’une capsule de bleu de méthylène associée à une matrice pH et temps dépendante (offrant une libération sélective et homogène au niveau colique) lors de la préparation colique permet une amélioration globale du TDA de 8,5 % par rapport au placebo en doublant le taux de détection des polypes festonnés.

Cette stratégie simple pourrait en fonction du coût de mise sur le marché devenir une aide majeure pour le quotidien du gastroentérologue participant au dépistage du cancer colorectal par coloscopie.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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