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Perception de la pollution de l’air et inquiétude pour la santé : décryptage d’une relation complexe à Kansas City Volume 18, issue 4, July-August 2019

Figures


Chaque année, en novembre et décembre, un échantillon aléatoire de foyers de la zone métropolitaine de Kansas City (qui en compte environ 670 000) est sollicité pour une enquête du Mid-America Regional Council (MARC), l’organisation régionale de surveillance de la qualité de l’air. Le MARC est notamment chargé des alertes à l’ozone qui peuvent être émises d’avril à octobre (période de mesure des concentrations atmosphériques) sur différents supports (télévision, radio, journaux, Internet et réseaux sociaux, panneaux de signalisation routière à messages variables). Les données de quatre années (2009 à 2012) ont été réunies pour cette investigation de la relation entre l’exposition à la pollution, sa perception et l’inquiétude qu’elle génère pour la santé. Sur cette période, le taux de participation avait été de 15 % et 3 315 personnes avaient répondu à l’enquête. Environ 13 % des observations étaient incomplètes pour les besoins de l’investigation, ce qui a ramené l’échantillon disponible à 2 869 répondants. Sa structure démographique était proche de celle de la population totale de l’aire urbaine de Kansas City : 54,2 % de femmes (versus 52,1 %), 16,5 % de personnes âgées d’au moins 65 ans (versus 15,5%) et 76,9 % de blancs (versus 75,7 %).

Deux questions permettaient d’évaluer, l’une la perception de la pollution (« Pensez-vous que la pollution de l’air dans votre agglomération s’est nettement aggravée, plutôt aggravée, n’a pas changé, s’est un peu améliorée ou bien améliorée ? »), l’autre le souci de santé (« Dans quelle mesure l’impact sur la santé d’une mauvaise qualité de l’air vous préoccupe-t-il ? Beaucoup, un peu, pas, ou ne sait pas [NSP] »). Les réponses sur la perception ont été classées en trois catégories : aggravation (33 % des répondants), stabilité (54 %) et amélioration (13 %). Pour les deux polluants – l’ozone et les PM2,5 – dont les concentrations modélisées (au niveau du secteur de recensement) ont été utilisées pour estimer l’exposition des participants, la situation avait en réalité empiré : le nombre de jours de dépassement des normes de qualité de l’air ambiant (National Ambient Air Quality Standards) était passé de 11 en 2009 à 50 en 2012 pour l’ozone, et de 141 à 205 jours pour les PM2,5.

L’inquiétude pour la santé était forte pour 32 % des participants, faible pour 41 % et inexistante pour 27 %, la modalité de réponse NSP (n = 253) étant écartée.

Perception et inquiétude : pas de corrélation spatiale

Les données ont été agrégées au niveau du code postal (175 zip codes dans l’aire de l’étude) et leurs répartitions spatiales ont été comparées. Contrairement à l’attendu, elles ne se recouvrent pas. Au cœur de l’agglomération, l’inquiétude pour la santé est relativement forte alors que les résidents perçoivent plutôt une amélioration de la qualité de l’air. En zone périurbaine, les répondants sont plus nombreux à estimer que la pollution s’aggrave, mais moins nombreux à s’en inquiéter.

Une telle configuration opposant quartiers centraux et périphériques se dessine également pour l’exposition aux deux polluants : les niveaux de concentration des PM2,5 sont plus élevés au cœur de l’agglomération (où les sources d’émissions de particules comme le trafic automobile et les activités industrielles prédominent), tandis que la pollution à l’ozone est plus importante en zone périurbaine (où précurseurs d’origine anthropique [comme les oxydes d’azote] et mixte [composés organiques volatiles anthropiques et biogéniques] coexistent).

La connaissance de cette pollution, évaluée par la question : « Vous souvenez-vous d’alertes à l’ozone au cours de l’été passé ? » (réponse positive pour trois quarts des participants) n’apparaît pas discriminante, car elle est associée à la fois à la perception d’une aggravation de la pollution (odds ratio [OR] = 1,42 [IC95 : 1,19-1,68]) et à l’inquiétude pour la santé (OR = 1,64 [1,42-1,90]), ni le nombre d’alertes (multiplié par six entre 2009 et 2012), ni la source de l’information (la télévision dans 63 % des cas) ne modifiant notablement les estimations. D’autres facteurs pourraient expliquer que les résidents des zones périphériques s’inquiètent moins des effets de la pollution que ceux des quartiers centraux, bien qu’ils soient plus exposés à l’ozone et plus nombreux à estimer que la qualité de l’air s’est dégradée dans leur agglomération. Leur environnement plus aéré, vert, « propre » et tranquille que le centre très urbanisé et peuplé, est sans doute également perçu comme plus « sain » et moins pollué.

Les données de l’enquête ne permettaient pas d’examiner l’influence des caractéristiques de l’environnement résidentiel sur la perception de la pollution et l’inquiétude pour la santé. En revanche, l’effet de plusieurs variables individuelles et au niveau du code postal a pu être estimé. Les premières étaient le sexe, l’âge (trois catégories : < 35 ans, 35 à 64 ans et ≥ 65 ans), la « race » (blanche, noire, autre), la présence au sein du foyer d’un enfant ou d’une personne souffrant d’un problème respiratoire, et le sentiment d’efficacité personnelle, évalué par la question : « Pensez-vous que vous pouvez faire quelque chose pour améliorer la qualité locale de l’air ? ». Les covariables sociales à l’échelon du quartier étaient le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté et un indice de ségrégation raciale.

Éclairage fourni

Trois caractéristiques individuelles sont associées à la perception de la pollution : le sexe féminin (aggravation plus souvent perçue par les femmes : OR = 1,37 [1,18-1,58]), le fait de vivre avec une personne ayant des difficultés respiratoires (OR = 1,76 [1,50-2,06]), et l’âge (association inverse).

Les trois mêmes caractéristiques influencent le niveau d’inquiétude pour la santé, l’association avec l’âge étant alors positive. Ainsi, par rapport au groupe des moins de 35 ans, celui des 65 ans et plus se montre plus préoccupé (OR = 1,42 [1,08-1,86]) pour une moindre perception de l’aggravation (OR = 0,59 [0,45-0,78]). Deux autres variables, sans influence sur la perception, sont positivement associées à l’inquiétude : le sentiment d’efficacité personnelle et la pauvreté du quartier.

Ces résultats indiquent les limites du système d’information actuel. Pour améliorer son efficacité, les auteurs préconisent une communication plus pédagogique (incluant les moyens de se protéger soi-même) et des messages adaptés aux franges les plus vulnérables de la population.


* Reames TG1, Bravo MA. People, place and pollution: Investigating relationships between air quality perceptions, health concerns, exposure, and individual- and area-level characteristics. Environ Int 2019 ; 122 : 244-55. doi : 10.1016/j.envint.2018.11.013

1 University of Michigan, School for Environment and Sustainability, Ann Arbor, États-Unis.

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