JLE

Environnement, Risques & Santé

MENU

Assessment of respiratory disorders in metal welders in the Dakar region, Senegal Volume 17, issue 3, May-June 2018

Les effets sanitaires des métaux en suspension dans l’air ont suscité un grand intérêt depuis les débuts de la pharmacologie et de la toxicologie. Beaucoup de métaux sont omniprésents dans l’environnement, ayant de multiples sources et voies d’exposition. Les métaux représentent la forme ultime de polluants environnementaux persistants parce qu’ils sont chimiquement et biologiquement indestructibles [1]. Parmi les nombreuses activités du secteur informel, la profession de soudeur métallique semble constituer un risque majeur d’altération de certaines fonctions de l’organisme et/ou un facteur favorisant la survenue des troubles respiratoires [2, 3]. En effet, au cours des procédés de soudage et lors des pratiques connexes, il est émis des fumées pouvant être inhalées non seulement par les opérateurs mais également par les personnes résidant à proximité des lieux de travail des soudeurs. Le métal en fusion libère dans l’air des molécules qui se combinent à l’air pour former des oxydes métalliques visibles à l’œil nu sous forme de fumées et auxquelles s’ajoutent des substances produites par combustion des matériaux en présence[4]. En général, il s’agit d’un mélange de gaz et de poussières qui peut, selon sa composition, sa concentration et la durée d’exposition, avoir des effets sur la santé de l’organisme [5, 6]. Le système respiratoire est l’un des principaux sites d’action des métaux. L’exposition par inhalation devient critique, d’autant plus que le système respiratoire des mammifères doit non seulement maintenir la vie par l’échange de gaz mais aussi remplir un certain nombre de fonctions non respiratoires essentielles telles que le maintien d’un système immunitaire actif, le métabolisme des substances biologiquement actives de particules viables et non viables du poumon [1]. Le potentiel pour un employé d’avoir une hyperréactivité respiratoire à la poussière, à la fumée de cigarette et à d’autres irritants inhalés peut dépendre de la susceptibilité individuelle [7, 8].

Plusieurs études réalisées en Europe et en Amérique ont objectivé l’existence d’un risque accru de survenue des pathologies respiratoires à type de bronchites, irritations des voies aériennes supérieures, troubles de la fonction respiratoire, infections respiratoires, cancers du poumon chez les sujets professionnellement exposés aux fumées de soudage [9-11].L’inhalation de fumées métalliques fortement concentrées en zinc, cuivre, magnésium, cadmium, nickel, aluminium, etc., serait à l’origine de ces altérations [12]. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé certains de ces métaux comme étant cancérigènes avérés (cadmium) et cancérigènes probables (cobalt). Également en 2012, l’exposition professionnelle dans les fonderies de fer et d’acier a été classée comme un facteur de risque cancérigène [13].

Sur le continent africain, les effets de l’exposition aux aérosols métalliques sur les systèmes cardio-respiratoires sont très peu étudiés, alors que de nombreuses personnes s’adonnent à la soudure métallique. Au Sénégal, la soudure métallique est fréquemment pratiquée par les hommes dans des conditions artisanales ne respectant de ce fait aucune mesure de protection, ni de prévention. Sur la base de ce constat, il nous est donc apparu important d’évaluer la fonction ventilatoire des soudeurs métalliques de la région de Dakar par une approche analytique axée sur la réalisation d’un enregistrement spirographique.

Méthodologie

Protocole et sujets

L’étude s’est déroulée durant la période de juin à septembre 2017 au sein du Laboratoire de toxicologie et d’hydrologie et du Laboratoire de physiologie et explorations fonctionnelles de la Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontologie de l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar, Sénégal. Le protocole a été conçu conformément aux directives établies par la Déclaration d’Helsinki et a été approuvé par le Comité d’éthique de l’université Cheikh Anta Diop (numéro de référence 0239/2017/CER/UCAD). Les participants, après avoir été informés du caractère volontaire et bénévole de leur participation, des objectifs et des modalités de l’étude, ainsi que des bénéfices attendus, ont donné leur consentement écrit et éclairé. Cent soixante-dix-neuf (179) soudeurs de sexe masculin et de différentes origines ethniques (Wolofs [49,5 %], Peuls [26,7 %], Sérères [19,5 %], Toucouleurs et autres [4,3 %]) ont été recrutés dans les quartiers de Médina, Fass, Colobane et Grand-Dakar de la ville de Dakar. Ces quartiers ont été choisis du fait de l’importance de l’activité de soudure métallique. N’ont été retenus que les hommes adultes exerçant cette activité professionnelle au moins depuis un an ; toute personne ayant signalé des antécédents familiaux ou une prédisposition génétique de troubles respiratoires était exclue.

Un questionnaire a été adressé à notre population d’étude et comportait plusieurs rubriques parmi lesquelles : la durée de pratique de la profession, la durée d’exposition quotidienne, le statut tabagique, la présence ou non de manifestations respiratoires à type de dyspnée, toux, douleurs thoraciques, etc. Les signes oto-rhino-laryngologiques (ORL) (irritation de la gorge, écoulement nasal, etc.) ont également été enregistrés. Après cette enquête, nous avons réalisé un enregistrement spirographique chez notre population d’étude afin d’évaluer la fonction respiratoire.

Mesures spirométriques

Les enregistrements spirographiques réalisés à l’aide d’un spiromètre de type Spirobank II Basic MIR (Medical International Research, Rome, Italie) ont été effectués en matinée avec une température ambiante de 26,5 ̊C pour une humidité de 67 %. Ce spiromètre était relié à un ordinateur portable de marque HP (Hewlett-Packard) 2000 Notebook permettant l’affichage des modifications spirographiques. Des embouts et des turbines à usage multiple ont été utilisés. L’enregistrement permettait de mesurer les taux de variation des capacités vitales forcées (CVF) ou lentes (CVL), du volume expiratoire maximal par seconde (VEMS), du débit expiratoire maximal à 25-75 % (DEM 25-75 %), à 25 % (DEM 25 %), à 50 % (DEM 50 %) et à 75 % (DEM 75 %), et de la ventilation maximale par minute (VMM). Tous les tests de la spirométrie ont été effectués en position assise et à l’aide d’une pince nasale selon les normes de l’American Thoracic Society (ATS). Au moins trois manœuvres de mesures des volumes et des débits bronchiques ont été réalisées et le meilleur tracé spirographique a été enregistré. Deux séquences spirométriques ont été effectuée ; une première mesure dite pré-broncho-dilatateur et une deuxième mesure 15 minutes après l’inhalation de broncho-dilatateur (salbutamol 100 μg) chez tous nos sujets.

Les troubles ventilatoires ont été classés selon les critères définis par le Global Initiative for Asthma (GINA, [14]) et par Global Obstructive Lung Disease (GOLD, [15]).

  • Asthme : diminution de plus de 20 % des débits bronchiques par rapport aux valeurs de référence et amélioration de plus de 20 % des débits bronchiques après broncho-dilatateur.
  • BPCO : défini pour des valeurs du volume courant (VC) < 80 % de la valeur théorique ; VEMS/CVF inférieur à 70 % associés à une réversibilité incomplète de VEMS/CVF < 70 % après broncho-dilatateur.
  • Trouble ventilatoire restrictif : diminution isolée des CVL ou CVF inférieures à 80 % de la valeur prédite.

Traitement des données

Une analyse descriptive des variables de l’étude a été réalisée. Les variables qualitatives ont été exprimées en pourcentage et les variables quantitatives en moyenne et écart-type. La comparaison des variables qualitatives a été réalisée par le test Chi-2. Le seuil de significativité a été fixé à p < 0,05. Le traitement des données a été effectué avec le logiciel d’analyses statistiques Statistica (version 5.5 ; Statsoft, Tulsa, OK).

Résultats

Caractéristiques de la population d’étude

L’âge moyen de notre population d’étude était de 30,27 ± 11,09 ans et les extrêmes étaient de 15 et 72 ans. L’indice de masse corporelle était de 21,95 ± 2,79 kg/m2. La durée moyenne d’activité professionnelle était de 11,28 ± 6,4 ans (tableau 1). Parmi les sujets, 15,6 % étaient des fumeurs au moment de l’étude avec une moyenne de 7,99 paquets de cigarettes fumées par année (tableau 2). Les principaux métaux manipulés étaient le fer (77,8%), l’aluminium (18,2%). Le cuivre, l’argent, l’étain et le zinc occupaient 4%.

Manifestations cliniques

Plus de la moitié des sujets (73,2 %) a déclaré avoir une sécheresse buccale et 64,3 % de l’échantillon total avaient un goût métallique dans la bouche durant les journées de travail. La toux a été enregistrée chez 59,8 % des soudeurs enquêtés et la dyspnée chez 30,7 %. Des signes ORL (hypoacousie, goût métallique), dermatologiques (démangeaisons, irritations cutanées) ont également été observés (tableau 2).

Troubles ventilatoires

Durant l’enquête, 98,2 % des sujets n’avaient aucun antécédent connu d’affection respiratoire et 1,8 % souffrait d’asthme. Sur les 179 questionnaires enregistrés au départ, 105 (58,7 %) spirométries ont pu être réalisées et 95 (90,5 %) ont été validées.

Les résultats spirométriques (tableau 3) ont montré que 61,1 % des sujets présentaient des troubles ventilatoires avec respectivement 42,1 % de cas d’asthme, 10,5 % de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et 8,4 % de restriction pulmonaire.

La durée moyenne d’exposition professionnelle de la majorité des sujets asthmatiques âgés entre 20 et 30 ansétait de 6,6 ± 4,8 ans. Un total de 70 % des individus présentant une BPCO étaient âgés entre 30 et 40 ans avec une exposition professionnelle moyenne de près de 17 ans. En revanche, 75 % des personnes qui présentaient des troubles ventilatoires restrictifs étaient âgés entre 35 et 42 ans et avaient une expérience professionnelle de 14,3 ± 6,3 ans.

Corrélation entre troubles ventilatoires et tabagisme

Aucune corrélation n’a pu être établie entre le statut tabagique et le risque de survenue de troubles ventilatoires quel que soit le trouble considéré : asthme [P < 1,000 : OR : 95 % ; IC : 0,9726 (0,5518-1,715)], BPCO [P < 0,6306 : OR : 95 % ; IC : 1,421 (0,5462-3,699)], trouble ventilatoire restrictif [P < 1,000 : OR : 95 % ; IC : 1,112 (0,4498-2,751)] (tableau 4).

Discussion

Les résultats de notre étude ont montré que la durée moyenne d’activité professionnelle était de 11,28 ± 6,4 ans et 61,1 % des sujets présentaient des troubles ventilatoires tels que l’asthme (42,1 %) ou une BPCO (10,5 %)… Plusieurs manifestations cliniques ont également été observées dont la toux chez 59,8 % des personnes enquêtées et la dyspnée chez 30,7 %. Bien que certains sujets de notre population d’étude aient été des fumeurs (15,6 %), le tabagisme semble ne pas influencer sur le risque de survenue de troubles ventilatoires. En revanche, la prévalence des troubles ventilatoires estimée à 61,1 % semble être liée aux fumées de soudure. De nombreuses études épidémiologiques ont, en effet, montré que des soudeurs exposés de façon chronique aux fumées de soudure présentent un risque accru de développer des infections des voies respiratoires supérieures et inférieures [16-18]. Il a également été établi une augmentation de la morbidité et/ou de la mortalité liée aux infections des voies respiratoires induite par une exposition chronique aux fumées de soudure métallique [19, 20]. Plusieurs études ont également rapporté de nombreux cas d’insuffisance respiratoire chez des soudeurs métalliques. L’équipe de Sharifian et al. en 2011 et celle de Koh et al. en 2015 ont établi une probable association entre le risque de survenue de troubles ventilatoires ou de maladies pulmonaires et la profession de soudeur [3, 16]. Ces observations sont superposables aux résultats de nos travaux qui mettent, entre autres, l’accent sur le fait que l’asthme serait le trouble le plus fréquemment diagnostiqué. En effet, parmi les sujets qui avaient présenté des troubles ventilatoires, 70,1 % étaient des asthmatiques. Les mécanismes physiopathologiques par lesquels les particules des fumées de soudure métallique pourraient altérer la fonction ventilatoire n’ont pas été déterminés au cours de notre travail. Toutefois, des études ont observé chez des soudeurs des infections respiratoires récurrentes et ont incriminé les propriétés d’induction de réactions inflammatoires des microparticules présentes dans les fumées de soudure. Les mêmes auteurs ont observé une diminution de l’activité biologique des cellules cytotoxiques immunitaires chez les soudeurs métalliques [21-23] ; ce phénomène pourrait être un facteur favorisant et/ou aggravant l’état pro-inflammatoire chez les soudeurs.

Par ailleurs, les résultats spirométriques obtenus chez les fumeurs et non-fumeurs n’ont pas mis en exergue de lien statistiquement significatif entre le tabagisme et le risque de survenue des troubles ventilatoires (tableau 4). Contrairement à nos annotations, plusieurs études ont corrélé les altérations de la fonction respiratoire au statut tabagique [7, 20, 24]. Cette observation peut être expliquée par des facteurs socioculturels et économiques au Sénégal. La religion étant très ancrée dans les mœurs, celle-ci recommande de se nourrir des « denrées licites » et de s’éloigner de ce qui peut « être une menace pour nos habitudes et notre santé ». Fumer peut être considéré comme « illicite ».De ce fait, le tabagisme peut être considéré comme un sujet « tabou » par certains sujets qui préfèrent alors ne pas révéler leur statut. Dans ce contexte socio-culturel, il nous est difficile de conclure sur le rôle que pourrait avoir le tabac sur la survenue de troubles ventilatoires au sein de notre population.

Limites de l’étude

La participation des sujets était volontaire et basée sur une démarche individuelle de ces derniers. Ce mode de recrutement a cependant pu entraîner un biais de sélection, lié à la non-participation de certains soudeurs pour des facteurs divers pouvant ainsi influencer les résultats de l’étude. Indépendamment du biais de sélection possible, des limites quant aux données du questionnaire ont également été observées. En effet, le type de soudage n’a pas été précisé durant l’interrogatoire et la composition et les concentrations de fumées de soudage émises n’ont également pas été mesurées. Certains soudeurs peuvent effectuer des soudures en acier inoxydable, ce qui implique plus de métaux toxiques, tels que le chrome et le nickel, que le soudage de l’acier doux [25]. Ces données auraient certainement permis d’établir une relation entre le type de fumée et les différents troubles ventilatoires observés. En outre, les années de tabagisme, la durée estimée de soudage étaient des chiffres rapportés par les participants et faisaient l’objet d’un rappel de la mémoire des participants. La fiabilité des réponses ne pouvait donc pas être démontrée. De plus, aucune analyse de la métrologie d’ambiance n’a été effectuée. Certaines particules fines et matières particulaires sont soupçonnées être à l’origine de certaines altérations de la fonction respiratoire [26, 27].

Conclusion

L’exposition des fumées induites par pratique de la soudure métallique dans certaines conditions informelles peut constituer un risque de survenue des troubles ventilatoires dont l’asthme et la BPCO. De ce fait, il est recommandé aux artisans africains de respecter les mesures de protection contre les accidents respiratoires liés à la profession de soudure. La détermination de la composition, des concentrations des fumées de soudure et le dosage de marqueurs biologiques d’imprégnation et d’effet permettraient sans doute d’améliorer la surveillance des travailleurs exposés.

Remerciements et autres mentions

Financement : Cette étude a bénéficié de l’appui du CRDI à travers son projet “ CHAIRPOL” et du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’Innovation (MISRI) du Sénégal par son programme FIRST (Fonds d’Impulsion de la Recherche Scientifique et Technique) ; liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

Licence This work is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License