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Blackout ou panne de secteur : impacts des coupures de courant sur la mortalité et les hospitalisations à New York Volume 17, issue 6, November-December 2018

Figures


Le jeudi 14 août 2003, en plein après-midi, la totalité de la ville de New York a été brutalement privée de courant en raison d’une défaillance en cascade du réseau électrique alimentant le Nord-Est des États-Unis et le Canada adjacent. L’arrêt des systèmes de transport collectifs et des feux de circulation a obligé des dizaines de milliers de personnes à de longues marches forcées pour rentrer chez elles. D’autres ont été bloquées dans des immeubles élevés en panne de climatisation, d’ascenseurs et de pompes hydrauliques. À la nuit tombée, la ville était plongée dans le noir. Après l’angoisse initiale d’une nouvelle attaque terroriste, le blackout qui a duré une trentaine d’heures a soumis les individus qui l’ont vécu à un stress physique et psychologique inhabituel.

Quelques rapports ont estimé son impact en termes d’activité des services d’aide médicale d’urgence, d’hospitalisations et de mortalité. Cette nouvelle publication fournit des informations plus détaillées, par cause d’admission en urgence et de mortalité. Elle analyse également les impacts sanitaires de deux événements localisés respectivement à un quartier du nord de Manhattan (« Washington Heights outage » [WH] : 68 888 compteurs électriques servant plus de 200 000 personnes en panne durant 18 heures entre le 6 et le 7 juillet 1999) et à l’ouest du Queens (« Long Island City outage » [LIC] : 65 000 compteurs hors service pour 174 000 résidents pendant 10 jours du 17 au 26 juillet 2006). Les deux coïncidaient avec une vague de chaleur augmentant la demande d’électricité. C’est également le cas l’hiver en période de grand froid, la privation de courant ayant des conséquences spécifiques comme l’indique l’augmentation des cas d’intoxication par le monoxyde de carbone (dus à l’utilisation de moyens de fortune pour générer de l’électricité, se chauffer ou cuisiner) rapportée à l’occasion des pannes induites par la violente tempête de neige d’octobre 2006 et le passage de l’ouragan Sandy en octobre 2012.

Sur la période 2002-2014, à l’exclusion du LIC, New York a connu 12 pannes localisées en saison chaude (mai à septembre), au seuil d’au moins 1 000 compteurs hors service. Douze pannes en saison froide (mois d’octobre à avril) ont également été prises en compte avec un seuil d’inclusion plus bas (75 compteurs) du fait de leur moindre ampleur. Les données relatives à ces incidents ont été combinées pour examiner « l’effet saison ». Des analyses de sensibilité ont été réalisées avec le même seuil (au minimum 150 compteurs en panne) pour les deux saisons.

Méthode générale

Les auteurs ont effectué des analyses de séries temporelles selon une méthode similaire à celles de deux précédents rapports sur la panne généralisée de 2003 et d’une récente analyse des effets de vagues de chaleur dans la population américaine bénéficiaire du système Medicare.

Pour les trois pannes dont les effets ont été individuellement analysés, le nombre d’événements sanitaires (décès et hospitalisations) concomitants a été comparé aux données de périodes d’observation encadrant leurs dates de survenue. Ces périodes incluaient les mois de mai à septembre des années 1997 à 2001 pour le WH, 2001 à 2005 pour le blackout de 2003, et 2002 à 2010 (en excluant les 14 et 15 août 2003) pour le LIC. Les données de mortalité ont été extraites du registre d’état civil de la ville (première cause de décès mentionnée sur le certificat, codée conformément à la Classification internationale des maladies [CIM]) et les données hospitalières ont été fournies par le département de la santé de l’État (code CIM du diagnostic principal pour les admissions en urgence uniquement). Les analyses ont été effectuées pour la mortalité générale et de cause non externe ainsi que, pour le blackout seulement en raison du nombre important d’événements, la mortalité de cause externe (excluant les suicides), respiratoire, rénale et cardiovasculaire, subdivisée en cardiopathie hypertensive, infarctus du myocarde (IDM), autres formes de cardiopathies ischémiques, insuffisance cardiaque et maladies cérébrovasculaires. L’impact sur les hospitalisations n’a été examiné que pour le blackout et le LIC, les données disponibles ne couvrant pas toute la période de comparaison au WH. Ont été analysées les hospitalisations pour affection respiratoire, rénale et cardiovasculaire (même subdivision que précédemment pour la panne généralisée).

Pour les analyses poolées des pannes estivales, la période de référence s’étendait aux mois de mai à septembre des années 2002 à 2013 (en excluant les dates du blackout etduLIC). Pour celles des pannes hivernales, elle était constituée des mois d’octobre à avril 2002 à 2014 pour la mortalité (excluant la période affectée par l’ouragan Sandy) et 2002 à 2013 pour les hospitalisations. Les indicateurs sanitaires étaient la mortalité générale et de cause non externe, ainsi que les hospitalisations pour les mêmes motifs que précédemment.

Les modèles utilisés prenaient en compte la température extérieure (indice de température maximale ou température maximale journalière pour la saison chaude et température journalière moyenne pour la saison froide), le jour de la semaine, les vacances, l’année, la tendance temporelle intra-saison, ainsi que la possibilité d’impacts différés (décalage allant jusqu’à trois jours).

Tendances observées sur la mortalité

Comme le blackout de 2003, les pannes de 1999 et de 2006 apparaissent associées à la mortalité générale et non accidentelle, mais les résultats manquent de précision et ne sont pas significatifs. Pour la mortalité toutes causes par exemple, le risque relatif cumulé (RRC) considérant le jour de survenue de la panne plus le lendemain (lag01) est égal à 1,42 (IC95 : 0,92-2,18) pour le LIC versus 1,41 (1,24-1,60) pour le blackout, positivement associé à la plupart des causes spécifiques examinées avec des décalages temporels variables (à titre d’exemple : RRC de décès par IDM à lag02 égal à 2,01 [1,07-3,76] et RRC de décès dû à une autre cardiopathie ischémique à lag03 égal à 1,45 [1,01-2,09]).

Les analyses poolées n’identifient pas d’impact des plus petites pannes estivales sur la mortalité, alors que les pannes hivernales sont associées à un faible excès de mortalité générale comme de cause non externe (même estimation à lag01 pour les deux : RRC = 1,06 [1,01-1,12]).

Incidence sur les hospitalisations

Le blackout et le LIC sont associés à un excès d’admissions en urgence pour problème respiratoire, avec un pic à lag02 (RRC respectivement égal à 5,26 [4,13-6,70] et 2,26 [1,08-4,74]). Un excès d’entrées pour motif cardiaque ou rénal n’est observé qu’avec la panne généralisée, l’effet estimé atteignant un RRC égal à 1,17 (1-1,37) à lag02 pour la sphère cardiovasculaire et un RR avec un décalage de trois jours (lag3)égal à 1,28 (1,07-1,52) pour les urgences rénales.

L’analyse poolée indique des différences saisonnières, avec une répercussion des pannes estivales sur les hospitalisations pour pathologie rénale (RR à lag2 = 1,17 [1,03-1,33]) et des pannes hivernales sur celles de cause cardiovasculaire (pic le jour même et à lag01 : RRC = 1,14 [1,03-1,26]), tandis que les admissions respiratoires sont déficitaires (RRC à lag03 = 0,77 [0,61-0,97]) sans explication évidente.

Des pistes peuvent être avancées pour d’autres résultats. Une coupure de courant en saison chaude peut ainsi conduire un insuffisant rénal chronique à la défaillance d’organe via la déshydratation consécutive à l’exposition à la chaleur (panne de climatisation). Une interruption du service suffisamment étendue et/ou durable peut entraîner un afflux aux urgences d’insuffisants respiratoires privés de leur appareil d’assistance à domicile.

Si elle fournit des éléments utiles pour la préparation aux conséquences de pannes y compris banales, l’étude présente une faiblesse majeure qui a pu masquer des associations ou biaiser plus ou moins fortement les résultats. L’exposition a été attribuée par croisement de l’adresse résidentielle aux informations disponibles pour les différents incidents sur le réseau électrique. La population et les événements sanitaires pris en compte étaient restreints aux habitants de New York localisables (excluant les non-résidents ainsi que les personnes sans domicile fixe qui représentent 15 % des admissions hospitalières). La population exposée aux trois pannes majeures a pu être clairement définie, mais sans certitude quant à la présence des sujets classés exposés à leur domicile pendant l’incident, ni connaissance de l’équipement éventuel du bâtiment en générateur électrique de secours. L’imprécision est plus grande pour les analyses poolées, une fraction seulement des compteurs d’un secteur affecté par une panne ayant pu être hors service à un moment ou un autre.


* Dominianni C1, Lane K, Johnson S, Ito K, Matte T. Health impacts of citywide and localized power outages in New York City. Environ Health Perspect 2018 ; 126(6) : 067003. doi : 10.1289/EHP2154

1 Bureau of Environmental Surveillance and Policy, New York City Department of Health and Mental Hygiene, New York, États-Unis.

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