Bulletin du Cancer
MENURKIP, un suppresseur des métastases osseuses du cancer de la prostate Volume 90, issue 10, Octobre 2003
- Page(s) : 819
- Published in: 2003
Auteur(s) : Gilles L'Allemain
Il est clair que le processus métastatique réclame la mise en
jeu de réactions enzymatiques parfois bien différentes de celles
nécessaires à l'établissement d'une tumeur primitive. Rappelons
que, suite à la découverte séminale de nm23, une douzaine de gènes
appelés suppresseurs de métastases a été mise à jour et plus ou
moins bien caractérisée. Aujourd'hui, nous pouvons ajouter de façon
claire à cette liste la protéine inhibitrice de l'activité kinase
de Raf, RKIP (Raf kinase inhibitor protein) qui vient d'être
décrite [1] comme un suppresseur de métastases dans le cancer de la
prostate, cancer qui reste l'un des plus répandus chez l'homme [2]
et dont le Bulletin s'est souvent fait l'écho [3-5].
Le travail qui est rapporté ici vient de l'université du Michigan
[1] et montre que RKIP est exprimée à un niveau beaucoup plus
faible dans la lignée métastatique de cancer prostatique C4-2B que
dans la lignée non métastatique LNCaP dont est issue la première.
Le même type de résultats est retrouvé par immunohistochimie dans
des échantillons humains de cancer prostatique puisque l'expression
de RKIP est retrouvée la plus élevée dans les formes bénignes, et
d'autant plus faible chez les tumeurs primaires que le score de
Gleason augmente. Enfin, cette expression est totalement absente
dans les métastases secondaires analysées dans le poumon ou dans
les glandes surrénales.
Les niveaux de RKIP présent dans les cellules furent alors
manipulés afin d'appréhender le rôle potentiel de cette protéine
dans le processus métastatique. Ainsi, les cellules C4-2B furent
transfectées de façon stable avec l'ARN de RKIP (cellules C4-2B*)
pour évaluer le rôle d'une surexpression de RKIP seul. A l'inverse,
les cellules LNCaP furent transfectées à l'aide de l'ARN anti-sens
de RKIP (LNCaP*) afin d'analyser le comportement de ces cellules
lorsque les niveaux de RKIP diminuent. Les transfections
n'altérèrent pas les propriétés de tumorigénicité primitive des
cellules, comme indiqué in vitro par l'invariabilité des
capacités de prolifération ou de formation de colonies. Par contre,
le potentiel invasif des cellules transfectées changea du tout au
tout puisque les C4-2B* avaient perdu leur caractère invasif alors
que les LNCaP* avaient acquis cette propriété. Il apparaissait donc
à ce stade que l'expression de RKIP était inversement
proportionnelle au caractère invasif des cellules. Les auteurs
passèrent alors à un modèle in vivo où les clones de
cellules transfectées furent implantés dans les prostates de
souris. Au bout de dix semaines, aucune différence n'était apparue
dans la taille des tumeurs primaires, mais les souris portant les
cellules C4-2B* (exprimant RKIP) étaient nettement moins nombreuses
à avoir des métastases pulmonaires (3 sur 10) que les souris ayant
les cellules C4-2B (100 % positives). De plus, 70 % des
souris ayant RKIP ne présentaient aucune métastase décelable tandis
que le nombre de métastases pulmonaires chez les 30 % restant
était cinq fois plus faible que chez les souris n'ayant plus de
RKIP. En fait, chez ces 30 % d'animaux transfectés avec RKIP
mais présentant quand même des métastases secondaires, l'analyse de
ces dernières montrait qu'elles avaient perdu l'expression de RKIP.
La corrélation formulée par les auteurs tenait donc toujours.
En ce qui concerne le mécanisme d'action de RKIP, les chercheurs
[1] ont visualisé que l'expression de la protéine est liée à la
réduction très significative (3 à 5 fois) du nombre de
vaisseaux infiltrant la tumeur. De plus, RKIP étant un inhibiteur
de la kinase Raf, les auteurs ont vérifié que son absence devait
conduire à une augmentation de la signalisation induite par Raf.
Par ailleurs, ils ont noté que le blocage des cibles de Raf décroît
la capacité invasive des cellules C4-2B, ce qui renforce clairement
le rôle de la signalisation de Raf dans le processus d'invasion
métastatique.
Sachant que pour le cancer de la prostate, le pronostic vital est
rarement en jeu à cause de la tumeur primitive, la caractérisation
aussi claire d'un suppresseur de métastases pourrait avoir
d'importantes conséquences thérapeutiques pour ce cancer, voire
pourquoi pas dans d'autres types lorsque le rôle de RKIP y aura été
également abordé.
Références
1. Fu Z, Smith PC, Zhang L, Rubin MA, Dunn RL, Yao Z, et al. Effects of raf kinase inhibitor protein expression on suppression of prostate cancer metastasis. J Natl Cancer Inst 2003 ; 95 : 878-89.
2. Hill C, Doyon F. Fréquence des cancers en France. Bull Cancer 2003 ; 90 : 207-13.
3. Chatelard PP, et al. Standards, options et recommandations pour la prise en charge du cancer de la prostate : critères de décision thérapeutique. Bull Cancer 2002 ; 89 : 619-34.
4. Chauvet B, Villers A, Davin JL, Nahon S. Mise à jour sur la mise en évidence, le diagnostic et le traitement du cancer de la prostate. Bull Cancer 2002 ; 89 : 37-4.
5. Thomas F, Jais P, Cohen-Akenine A. Génétique du cancer de la prostate. Bull Cancer 2001 ; 88 : 287-94.