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Bulletin du Cancer

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Place du paclitaxel en traitement de première ligne des cancers de l’ovaire ? Volume 90, issue 3, Mars 2003

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  • Page(s) : 202-3
  • Published in: 2003

Auteur(s) : Khémaies Slimane

Les cancers de l’ovaire restent une cause fréquente de décès par cancer chez la femme en Europe et aux États-Unis. Le pronostic est péjoratif, surtout dans les stades avancés où la survie à 5 ans ne dépasse pas 30 %. Depuis les années 1970, la place indiscutable des sels de platine a été démontrée lors du traitement initial de cette pathologie, cisplatine et carboplatine ayant la même efficacité. L’étude randomisée Icon2 (International Collaborative Ovarian Neoplasm) [1], publiée en 1996, a comparé chez 1 526 patientes le carboplatine à l’association CAP (cyclophosphamide + adriamycine + cisplatine). Il n’a pas été mis en évidence de différence significative en termes de survie globale et de survie sans maladie entre la mono-chimiothérapie et la polychimiothérapie. Le cancer de l’ovaire est l’une des premières localisations tumorales où les taxanes ont été testés, en particulier le paclitaxel. Deux études randomisées ont comparé en première ligne les associations cisplatine-paclitaxel et cisplatine-cyclophosphamide. La première est celle du GOG (Gynecological Oncology Group) (GOG111) qui a été publiée en 1996 [2]. Un gain de survie globale de 15 mois et de survie sans maladie de 5 mois a été mis en évidence dans le bras cisplatine-paclitaxel. Ces résultats ont été retrouvés dans la seconde étude qui est celle de l’intergroupe européen et canadien (OV10) [3]. Les gains de survie sans maladie et de survie globale étaient respectivement de 4 mois et 10 mois en faveur de l’association cisplatine-paclitaxel. À l’inverse, une troisième étude (GOG132) [4] n’a pas démontré de bénéfice de survie avec l’association cisplatine-paclitaxel par rapport au cisplatine seul (100 mg/m² toutes les trois semaines). L’étude Icon3 est la quatrième et dernière étude randomisée multicentrique, publiée en août 2002 (130 centres européens) [5], ayant posé les questions, d’une part, de l’intérêt de la polychimiothérapie par rapport à la monochimiothérapie et, d’autre part, de l’apport du paclitaxel dans le traitement du cancer de l’ovaire en première ligne. Les critères d’inclusion dans cette étude étaient : tumeur épithéliale maligne de l’ovaire, absence d’antécédent néoplasique, de chimiothérapie et de radiothérapie. Une stratification a été réalisée en fonction du centre, de l’âge de la patiente, du stade FIGO et de la masse tumorale résiduelle après chirurgie. Une randomisation a été faite entre l’association carboplatine (AUC à 5 si la clairance de la créatinine était calculée sur 24 heures ou par l’EDTA, ou AUC à 6 si calcul selon la formule de Cockroft) plus paclitaxel (175 mg/m2 en 3 heures) versus un bras témoin consistant, selon le choix de chaque centre, entre carboplatine seul ou association CAP (cyclophosphamide 500 mg/m2, doxorubicine 50 mg/m2 et cisplatine 50 mg/m2). Le bras témoin était composé de deux protocoles différents de chimiothérapie car les résultats de l’étude Icon2, bien qu’encore préliminaires lors du début du protocole Icon3, suggéraient une équivalence entre carboplatine et CAP. De février 1995 à octobre 1998, 2 074 patientes ont été incluses dans cette étude. Mille quatre cent vingt et une patientes ont été randomisées entre paclitaxel-carboplatine versus carboplatine seul et 653 patientes entre paclitaxel-carboplatine versus CAP. La répartition en fonction des facteurs pronostiques était homogène entre les deux bras. Les causes d’interruption du traitement dans cette étude étaient une progression tumorale (45 %), une toxicité (15 %), le décès (14 %) ou le choix des patientes (12 %). La polychimiothérapie était plus toxique en termes d’alopécies, de neutropénies fébriles et de neuropathies. Après un suivi médian de 51 mois, 1 265 patientes sont décédées. La survie globale à 2 ans était de 62,6 % dans le groupe carboplatine-paclitaxel et de 62 % pour l’ensemble du groupe témoin. La différence de survie médiane n’était que de 0,7 mois (36,1 versus 35,4 mois) en faveur du bras paclitaxel-carboplatine. En mars 2002, 1 538 patientes avaient progressé ou étaient décédées. Les taux de survie sans maladie à 1 an dans le bras carboplatine-paclitaxel et dans le bras témoin étaient respectivement de 61,2 % et de 59 %. La différence n’était pas significative (p = 0,16). Ces résultats sont identiques quel que soit le protocole dans le bras témoin. L’étude des sous-groupes (selon la stratification) n’a pas montré de différence significative de la survie sans maladie, ni de la survie globale entre le bras carboplatine-paclitaxel et chacun des bras témoins. Les résultats de cette étude sont contradictoires avec ceux des études GOG111 et OV10, qui avaient conclu à une supériorité du bras cisplatine-paclitaxel, mais similaires à ceux de l’étude GOG132. L’absence de différence dans l’étude Icon3 peut être attribuée au fait que les patientes qui ont progressé sous carboplatine seul ou sous CAP ont eu un traitement de rattrapage par le paclitaxel. Il faut signaler, par ailleurs, que l’étude Icon3 n’a pas montré une supériorité de la polychimiothérapie par rapport au carboplatine seul. Au total, suite aux résultats de ces études, la question se pose de savoir quel est le meilleur protocole de chimiothérapie des cancers de l’ovaire en première ligne. Il n’a pas été trouvé à ce jour d’explication claire à ces différences de résultats entre ces études. Le standard actuel pour la plupart des équipes en Europe et aux États-Unis associe carboplatine plus paclitaxel (et sert de bras de référence dans la plupart des protocoles de recherche clinique), alors que d’autres équipes — il semble par exemple que le paclitaxel soit en train de perdre son statut de traitement de première ligne en Grande-Bretagne (recommandations en cours d’élaboration du National Institute for Clinical Excellence) — proposent le carboplatine seul en première ligne avec introduction du paclitaxel lors de la progression tumorale. Il serait intéressant que soit réalisée une méta-analyse regroupant les données de ces quatre essais randomisés (GOG111, GOG132, OV10 et Icon3) pour tenter de définir le protocole de chimiothérapie ayant le meilleur index thérapeutique en première ligne des cancers de l’ovaire.

Références

1. The Icon collaborators. Icon2 : randomised trial of single-agent carboplatin against three drug combination of CAP in women with ovarien cancer. Lancet 1998 ; 352 : 1571-6.

2. McGuire WP, Hoskins WJ, Brady MF, et al. Cyclophosphamide and cisplatin compared with paclitaxel and cisplatin in patients with stage II and IV ovarien cancer. N Engl J Med 1996 ; 334 : 1-6.

3. Piccart MJ, Bertelsen K, James K, et al. Randomised intergroup trial of cisplatin-paclitaxel versus cisplatin-cyclophosphamide in women with advanced epithelial ovarian cancer : three-year results. J Natl Cancer 2000 ; 92 : 699-708.

4. Muggia FM, Braly PS, Brady MF, et al. Phase III randomised study of cisplatin versus paclitaxel versus cisplatin and paclitaxel in patients with suboptimal stage III or IV ovarian cancer : a gynecologic oncology group study. J Clin Oncol 2000 ; 18 : 106-15.

5. The international collaborative ovarian neoplasm (Icon) group. Paclitaxel plus carboplatin versus standard chemotherapy with either single-agent carboplatin or cyclophosphamide, doxorubicin, and cisplatin in women with ovarian cancer : Icon3 randomised trial. Lancet 2002 ; 360 : 505-15.