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Bulletin du Cancer

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L’inhibition du protéasome : un nouvel espoir dans le domaine des thérapies ciblées en hématologie Volume 92, issue 5, Mai 2005

Authors

Auteur(s) : Jean-Philippe Spano, Jacques Olivier Bay

Le protéasome, ou ubiquitine protéasome, est un complexe enzymatique multicatalytique, présent dans toutes les cellules eucaryotes, dont le rôle principal est la dégradation de protéines qui interviennent dans la régulation du cycle cellulaire (telles que P53, P21 et P27). Ainsi, un grand nombre de protéines intracellulaires peuvent être des substrats pour le protéasome, en particulier celles impliquées dans l’apoptose, l’angiogenèse, la transcription de facteurs de croissance, la production de récepteurs de facteurs de croissance et de molécules de signalisation [1]. Au total, un défaut de régulation de ces protéines-clés peut stimuler la prolifération cellulaire, la croissance tumorale, l’angiogenèse et favoriser la survenue de métastases. Ainsi, l’inhibition du protéasome a requis depuis ces dernières années une très grande attention comme cible potentielle de nouvelles thérapies ciblées.
Le bortezomib ou Velcade® (initialement appelé PS-341) est le premier inhibiteur sélectif de protéasome à avoir bénéficié d’un développement clinique. Un des principaux substrats du protéasome est le facteur de transcription NFκB, surexprimé dans certains modèles tumoraux comme le myélome, entraînant des mécanismes de résistance aux agents cytotoxiques. C’est particulièrement dans le myélome que le bortezomib a démontré son importante activité en préclinique [2] mais également en clinique, lui permettant d’avoir une autorisation accélérée par la Federal Drug Administration (FDA) et une AMM européenne chez des patients atteints de myélome multiple largement prétraités [3]. Si son avenir semble également prometteur dans les tumeurs solides, c’est pour l’instant en hématologie qu’il réalise une nouvelle approche thérapeutique extrêmement encourageante. Outre le myélome multiple, de nouvelles perspectives semblent s’ouvrir pour certains lymphomes, comme le démontrent deux récentes publications dans le Journal of Clinical Oncology, relatant l’efficacité et la tolérance du bortezomib chez des patients atteints de lymphome malin non hodgkinien (de phénotype B ou du manteau, en rechute ou réfractaire aux traitements standard, sans limitation du nombre de lignes de traitements reçues antérieurement). Cela a été observé dans des modèles précliniques [4] mais aussi au cours d’études de phase I [5].
Dans l’étude de Goy et al. [6], parmi les 60 patients traités, 33 présentaient un lymphome du manteau et 27 un lymphome de phénotype B. Douze (41 %) des 29 patients atteints de lymphome du manteau et évaluables ont présenté une réponse objective dont 6 avec une réponse complète. Le temps médian jusqu’à la progression n’a toujours pas été atteint après un suivi médian de 9,3 mois (1,4-24 mois). Quatre (19 %) des 21 patients atteints de lymphome de phénotype B et évaluables ont eu une réponse objective dont un patient atteint de lymphome lymphocytique à petite cellule qui a bénéficié d’une réponse complète. Les principales toxicités de grade 3 ont consisté en une thrombopénie (47 %), une asthénie (13 %), une neutropénie (10 %) et une neuropathie périphérique (5 %). Aucun décès toxique n’a été rapporté.
Dans l’autre étude menée par O’Connor et al. [7], 26 patients atteints de lymphome de faible grade et de phénotype B ou du manteau ont été inclus. Vingt-quatre ont pu être évalués et le taux de réponse objective globale a été de 58 %, dont 1 réponse complète, 1 réponse complète non confirmée et 4 réponses partielles parmi les patients atteints de lymphome folliculaire avec des durées de réponse s’étalant de 3 à 24 mois. Pour les patients atteints de lymphome du manteau, 1 réponse complète non confirmée, 4 réponses partielles et 4 stabilisations de la maladie ont été obtenues. Pour l’un des patients, le bortezomib a permis de maintenir une rémission pendant 19 mois. Le traitement a été dans l’ensemble bien toléré. Un seul patient a présenté une neutropénie de grade 4 et les toxicités de grade 3 les plus fréquentes ont porté sur la lymphopénie (n = 14 patients) et la thrombopénie (n = 7 patients).
Au total, ces deux études démontrent objectivement que le bortezomib, premier inhibiteur sélectif du protéasome utilisé en clinique, peut être administré avec sécurité chez des patients atteints de lymphomes malins non hodgkiniens en rechute ou résistants aux traitements standard, habituellement caractérisés par un mauvais pronostic [8]. Les seules toxicités limitantes restent la neuropathie et la thrombopénie. Le bortezomib, en montrant ainsi une activité encourageante et durable chez ces patients, devrait permettre prochainement le démarrage de nouveaux essais cliniques, en première ligne, en monothérapie ou en association avec des chimiothérapies conventionnelles ou d’autres thérapies ciblées. Les résultats d’études précliniques suggèrent effectivement une synergie d’action entre ces différents agents [9].

Références

1. Park DJ, Lenz HJ. The role of proteasome inhibitors in solid tumors. Ann Med 2004 ; 36 : 296-303.

2. Hideshima T, Richardson P, Chauhan D, et al. The proteasome inhibitor PS-341 inhibits growth, induces apoptosis, and overcomes drug resistance in human multiple myeloma cells. Cancer Res 2001 ; 61 : 3071-6.

3. Richardson PG, Barlogie B, Berenson J, et al. A phase 2 study of bortezomib in relapsed, refractory myeloma. N Engl J Med 2003 ; 348 : 2609-17.

4. Pham L, Tamayo A, Lo P, et al. Anti-tumor activity of the proteasome inhibitor PS-341 in mantle cell lymphoma B cells. Blood 2001 ; 98 [abstract 1945].

5. Orlowski RZ, Stinchcombe TE, Mitchell BS, et al. Phase I trial of the proteasome inhibitor PS-341 in patients with refractory hematologic malignancies. J Clin Oncol 2002 ; 20 : 4420-7.

6. Goy A, Younes A, McLaughlin P, et al. Phase II study of proteasome inhibitor bortezomib in relapsed or refractory B-cell non-Hodgkin’s lymphoma. J Clin Oncol 2005 ; 23 : 667-75.

7. O’Connor OA, Wright J, Moskowitz C, et al. Phase II clinical experience with the novel proteasome inhibitor bortezomib in patients with indolent non-Hodgkin’s lymphoma and mantle cell lymphoma. J Clin Oncol 2005 : 23 : 676-84.

8. Bosly A. Treatment of relapses in agressive non Hodgkin’s lymphoma. Bull Cancer 2004 ; 91 : E261-73.

9. Richardson P. Clinical update : proteasome inhibitors in hematologic malignancies. Cancer Treat Rev 2003 ; 29 : 33-9.