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Annales de Biologie Clinique

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Usefulness of immature platelet fraction measurement for diagnosis and monitoring of iron deficiency associated thrombocytopenia: about two cases Volume 78, issue 4, Juillet-Août 2020

Figures


  • Figure 1

  • Figure 2

La carence martiale reste à ce jour la principale cause d’anémie dans le monde. Elle s’accompagne dans 13 à 50 % des cas selon les études d’une thrombocytose réactionnelle, généralement modérée [1]. Cependant, dans de rares cas de carence martiale très sévère, cette anémie s’accompagne à l’inverse d’une thrombopénie ferriprive, pouvant parfois être sévère [2].

L’observation n̊ 1

La patiente, âgée de 35 ans, originaire de Côte-d’Ivoire, consulte aux urgences pour un prurit sine materia, généralisé, épargnant le visage, persistant depuis une semaine, sans horaire particulier de survenue. Il existe de plus une notion d’altération de l’état général avec perte de poids et troubles du sommeil dans un contexte de précarité.

La patiente a été hospitalisée pour un accès palustre l’année précédente. Elle se plaint aussi d’arthralgies des poignets et des chevilles d’allure inflammatoire, qui évoluent par poussées. La patiente rapporte des ménorragies importantes depuis environ 6 à 12 mois. Ces ménorragies, caillotantes, durent environ 6 jours et nécessitent des changes multiples (> 7 /jours). Elle ne prend aucun traitement médicamenteux régulier.

L’examen clinique aux urgences met en évidence une tachycardie à 120 battements par minute, accompagnée d’une hypertension artérielle à 153/85 mmHg. Il n’y a pas d’adénopathies ou d’hépatosplénomégalie. Le reste de l’examen clinique est sans particularité. Il n’existe notamment pas de signes d’anémie ni de purpura cutanéo-muqueux. Le bilan biologique met en évidence une anémie (hémoglobine 6,6 g/dL [12-16]), très microcytaire (volume globulaire moyen (VGM) 53 fL [83-98]), arégénérative (réticulocytes 21,5 G/L [20-80]) et une thrombopénie (plaquettes 47 G/L [150-450]). La numération des leucocytes est normale (4,5 G/L [4-10]) ainsi que la formule leucocytaire. L’examen du frottis sanguin montre principalement des anomalies des globules rouges : anisocytose, poïkylocytose et hypochromie, et il n’y a pas de schizocytes ni de cellule anormale. Le bilan d’hémostase (TP, TCK) est normal, ce qui n’est pas en faveur d’un syndrome de consommation, ainsi que l’ionogramme et le bilan hépatique. Il n’y a pas de stigmates d’hémolyse (taux normaux de LDH, bilirubine et haptoglobine) et les dosages de vitamine B12 (266 ng/L [180-914]) et folates (7 μg/L [3,1-19,9]) sont normaux. Il n’y a pas de syndrome inflammatoire. En revanche, la ferritinémie est très diminuée (6 μg/L [11-307]), témoignant d’une carence martiale profonde. Les sérologies VIH, VHB et VHC sont négatives. Le bilan d’auto-immunité montre la présence d’anticorps anti-nucléaires positifs au 1/160, d’aspect moucheté, sans spécificité (anticorps anti-ADN natif et anti-antigènes nucléaires solubles négatifs). L’électrophorèse de l’hémoglobine, réalisée à distance de l’épisode, est en faveur d’un trait drépanocytaire A/S sans thalassémie associée.

Devant cette suspicion de bicytopénie par carence martiale, une supplémentation en fer est instaurée, d’abord par voie intraveineuse puis relayée par voie orale.

Ce traitement permet une remontée du taux d’hémoglobine à 7,6 g/dL en quatre jours, accompagné d’une augmentation des réticulocytes (154 G/L). La numération plaquettaire se normalise en 5 jours, jusqu’à atteindre 182 G/L. La mesure de la fraction de plaquettes immatures (IPF), évaluée à 3,6 % à l’admission, en faveur d’une thrombopénie d’origine centrale, augmente jusqu’à 12,6 % quatre jours plus tard. Lorsque la patiente est revue en consultation au bout d’un mois, la numération formule sanguine (NFS) montre un taux d’hémoglobine normal (12,5 g/dL), une correction partielle de la microcytose (73 fL) et l’absence de thrombopénie (168 G/L) et un IPF toujours élevé à 18,3 % (figure 1).

Compte tenu du contexte de précarité et malgré l’absence de lésions cutanées évocatrices de gale, la patiente reçoit un traitement par ivermectine. Le prurit disparaissant deux jours après la supplémentation en fer, il est finalement conclu à un prurit lié à l’anémie ferriprive.

L’observation n̊ 2

La patiente, âgée de 17 ans, d’origine congolaise, est admise aux urgences pour asthénie et vertiges dans un contexte de ménorragies durant depuis 3 jours.

Elle ne présente pas d’antécédents médicaux et chirurgicaux particuliers à l’exception d’une notion d’asthme dans l’enfance et ne prend pas de traitement médicamenteux régulier. Ses premières règles sont survenues à l’âge de 11 ans. C’est la deuxième fois qu’elle présente un épisode de ménorragies ; le premier épisode ayant eu lieu le mois précédent. L’épisode actuel l’oblige à changer de protection toutes les 25 minutes alors qu’auparavant ses règles étaient d’abondance normale (changement de protection toutes les 6 heures).

Cliniquement, elle présente une tachycardie à 102 battements par minute et une pâleur des muqueuses. En revanche, il n’existe ni purpura pétéchial, ni ecchymoses, ni gingivorragies, ni bulles hémorragiques buccales. Il n’y a pas d’hépatosplénomégalie.

Le bilan biologique réalisé aux urgences met en évidence une anémie profonde (hémoglobine 4,2 g/dL [12-16]), microcytaire (VGM 65 fL [83-98]), arégénérative (réticulocytes 11 G/L [20-80]) et une thrombopénie (plaquettes 21 G/L [150-450]). La numération des leucocytes est normale (4,70 G/L [4-10]) et il n’existe pas d’anomalies de la formule leucocytaire. L’observation du frottis sanguin révèle une anisocytose importante des hématies ainsi qu’une légère poïkylocytose mais pas de schizocytes. De plus, aucune cellule anormale n’est retrouvée sur le frottis sanguin. Le bilan d’hémostase est normal permettant d’exclure un syndrome de consommation (TP, facteur V, TCK et fibrinogène) ainsi qu’une maladie de Willebrand (activité et antigène du facteur Willebrand, facteur VIII). Aucun stigmate d’hémolyse n’est observé (LDH et bilirubine normales, haptoglobine non dosée).

Le bilan martial met en évidence une carence profonde (ferritine 2 μg/L [11-307]). Le bilan de thrombopénie est négatif (sérologie VIH, VHC, TSH, électrophorèse des protéines sériques) à l’exception des anticorps anti-nucléaires positifs au 1/16 000 liés à la présence ponctuelle et isolée d’anticorps anti-Ku dont la signification pathologique est incertaine.

Aux urgences, la patiente est transfusée de deux culots globulaires et de six concentrés plaquettaires en raison du saignement gynécologique actif associé à un taux d’hémoglobine très bas qui nécessite une prise en charge thérapeutique immédiate pour arrêter le saignement. Le rendement de la transfusion plaquettaire est médiocre, les plaquettes étant contrôlées à 34 G/L 6h après la transfusion. La patiente est ensuite transférée dans le service de médecine interne où une supplémentation en fer est instaurée, par voie intraveineuse puis par voie orale.

Le taux d’hémoglobine passe alors de 6,7 g/dL à l’issue de la transfusion à 8,6 g/dL six jours plus tard. La numération des réticulocytes atteint un maximum de 308 G/L à J7, témoignant d’une reprise de l’érythropoïèse.

La thrombopénie se corrige très rapidement : la numération des plaquettes doublant approximativement chaque jour jusqu’à atteindre 321 G/L. A l’admission, l’IPF était évalué à 10,2 %, ce taux ne permettant pas d’exclure une cause centrale de la thrombopénie (les IPF observés dans les cas de PTI avoisinant plutôt les 15-20 %). De façon parallèle à la crise réticulocytaire survenue le cinquième jour, une importante augmentation de l’IPF est observée, jusqu’à un maximum de 18,2 % deux jours après l’administration de fer, puis se normalise rapidement dès la correction de la thrombopénie (10,4 % à J7).

Le point de vue du biologiste

L’association entre anémie et thrombopénie est retrouvée dans plusieurs situations cliniques telles que les microangiopathies thrombotiques, le syndrome d’Evans, l’aplasie médullaire, les envahissements médullaires par une hémopathie maligne ou un cancer solide, ou encore un purpura thrombopénique immunologique (PTI) associé à une anémie par carence martiale secondaire à des saignements chroniques favorisés par la thrombopénie.

Dans les deux cas présentés, l’absence de stigmates d’hémolyse et de schizocytes permettait d’écarter l’hypothèse d’une microangiopathie thrombotique.

La microcytose orientait d’emblée vers une possible carence en fer comme cause de l’anémie au vu de l’absence de syndrome inflammatoire, de l’âge jeune et du sexe féminin des deux patientes. Ceci a motivé la réalisation rapide d’un bilan martial chez les deux patientes qui a établi le diagnostic d’une carence en fer sévère.

Cependant, dans ce contexte, le diagnostic de PTI ne pouvait pas être exclu. A ce jour, il n’existe toujours pas de marqueur spécifique du PTI qui reste donc un diagnostic d’élimination.

L’étude multicentrique rétrospective cas-contrôle française récemment publiée (n = 10) montre que le volume plaquettaire moyen (VPM) mesuré lorsque les plaquettes sont comptées en impédance est significativement plus élevé chez les patients ayant un PTI que chez les patients présentant une thrombopénie ferriprive (10,5 fL vs 8,2 fL ; p < 0,001) [2]. Ceci plaiderait pour un mécanisme central de la thrombopénie ferriprive.

Ces dernières années, l’évolution des automates d’hématologie de routine a permis le développement de nouveaux marqueurs pouvant être incorporés dans des stratégies diagnostiques au quotidien. Parmi ceux-ci, la fraction de plaquettes immatures (IPF) représente la population de plaquettes nouvellement formées contenant une quantité d’ARN résiduel plus importante et de taille plus grande que les plaquettes matures ; elle est déterminée par certains automates utilisés en routine dans les laboratoires d’hématologie [3]. Ce marqueur est la transposition sur des automates de routine des plaquettes réticulées, développées initialement en cytométrie en flux. Sur notre automate, le XN9000 (Sysmex®), la détermination de l’IPF repose sur un marquage spécifique des acides nucléiques plaquettaires par un fluorochrome (oxazine) après lyse partielle de la membrane plaquettaire. L’analyse de l’intensité de fluorescence en fonction de la taille permet de distinguer les plaquettes matures présentant une fluorescence moyenne, des plaquettes immatures ayant une fluorescence élevée (figure 2). La mesure de ce marqueur présente l’avantage d’être simple, non-invasive et rapide.

Plusieurs études se sont intéressées à la pertinence de l’IPF exprimé en pourcentage pour le diagnostic du PTI [4-6]. L’IPF est ainsi augmenté chez les patients atteints de PTI ou d’autres thrombopénies périphériques (purpura thrombotique thrombocytopénique [PTT]) par rapport à des patients présentant une thrombopénie d’origine centrale (i.e. après chimiothérapie) [4]. La valeur seuil de l’IPF permettant de différencier thrombopénie centrale et périphérique n’est pas formellement définie mais dans cette étude les valeurs d’IPF mesurées chez des individus sains étaient comprises entre 1,1 et 6,6 % alors que les patients atteints de PTI avaient un IPF moyen de 16,8 % (22,3 % pour ceux ayant des plaquettes < 50 G/L) [4].

Dans les deux cas que nous présentons, les patientes présentaient à l’arrivée des valeurs d’IPF de 3,6 % et 10,2 % respectivement, qui ne permettent pas d’exclure une origine centrale de la thrombopénie. Chez ces deux patientes, après supplémentation en fer, nous observons une augmentation importante de l’IPF, jusqu’à 12,6 et 18,2 %, de façon parallèle à l’augmentation des réticulocytes et des plaquettes. Ceci est le témoin de la reprise de la thrombopoïèse suite à l’apport de fer et est associé à une normalisation du taux de plaquettes.

En plus de la détermination de l’IPF, l’utilisation de cette technique par fluorescence permet d’obtenir une numération des plaquettes. Les principaux automates de cytologie utilisent en première ligne la technique par impédance pour déterminer ce taux de plaquettes. Or, pour cette technique, la séparation entre plaquettes et globules rouges repose sur leurs tailles respectives. Ainsi, en cas de présence d’hématies de petite taille (carence martiale, thalassémie) ou de fragments d’hématies (schizocytes, grands brulés), la numération plaquettaire peut être surestimée [7]. Dans ces contextes, la numération des plaquettes par fluorescence se révèle plus fiable que par impédance ou par diffraction optique.

Le point de vue du clinicien

La thrombopénie ferriprive est une entité rare et peu connue. Une revue de la littérature concernant 24 cas a permis de montrer qu’elle est rapportée chez l’enfant mais aussi chez l’adulte jeune, avec une prédominance féminine chez l’adulte [8].

La thrombopénie associée à la carence martiale peut facilement être confondue avec un PTI associé à des saignements et une carence martiale secondaire. Toutefois, les patients atteints de PTI présentent une thrombopénie habituellement plus sévère au diagnostic et souvent associée à une symptomatologie hémorragique. De plus, la thrombopénie par carence martiale semble être associée à des carences en fer sévères caractérisées par une anémie profonde et un VGM beaucoup plus bas que dans le PTI (nos deux patientes avaient un VGM à 53 et 65 fL) [2]).

La différence entre les deux diagnostics est importante pour une prise en charge optimale des patients aussi bien en ce qui concerne les examens complémentaires que le traitement. En effet, le myélogramme, inutile dans les thrombopénies liées à une carence martiale, peut être discuté dans certains cas de PTI, notamment lorsque la thrombopénie s’accompagne d’une autre cytopénie. Ainsi, en pratique, un certain nombre de patients atteints de thrombopénie ferriprive ont un myélogramme [2].

De même, la confusion entre les deux diagnostics peut également retarder l’administration du traitement adéquat. Une revue des cas de la littérature a suggéré qu’un certain nombre de patients recevaient en première intention des corticoïdes ou des immunoglobulines intraveineuses (IgIV) au lieu d’une administration de fer par voie intraveineuse [2]. Dans les deux cas présentés ici, l’administration de fer a permis une augmentation très rapide du taux de plaquettes (en moins de 24 heures) et une correction de la thrombopénie en moins d’une semaine. La correction de la thrombopénie est plus rapide après traitement martial chez les patient(e)s avec thrombopénie ferriprive que celle observée après traitement du PTI aigu, avec fréquemment un effet rebond avec hyperplaquettose [2].

Des données expérimentales chez l’animal suggèrent que le fer est indispensable à la production de plaquettes, notamment en jouant un rôle dans la synthèse des protéines plaquettaires [9]. Le fer joue aussi un rôle dans la synthèse de l’ADN pour l’ensemble des cellules hématopoïétiques puisqu’il est un cofacteur des enzymes des chaînes respiratoires mitochondriales [8].

D’autre part, en plus de la thrombopoïétine (TPO), d’autres cytokines, dont l’érythropoïétine (EPO), stimuleraient la thrombopoïèse. Ainsi en cas d’anémie modérée, l’augmentation d’EPO serait à l’origine de la thrombocytose fréquemment observée dans les carences martiales. En revanche, en cas d’anémie profonde, la voie de l’érythropoïèse serait favorisée au dépend de celle de la thrombopoïèse puisque les deux se font à partir de la même cellule souche hématopoïétique [8]. Ce phénomène peut être comparé à ce que l’on observe en pratique clinique avec l’utilisation de l’EPO recombinante chez les insuffisants rénaux. Si au début, il est observé une augmentation du nombre de globules rouges et de plaquettes, à dose élevée, l’EPO recombinante peut être à l’origine d’une thrombopénie [10]).

Conclusion

La thrombopénie ferriprive est une atteinte hématologique, dont le mécanisme est probablement lié à un défaut de libération des plaquettes par les mégacaryocytes, qu’il est important de savoir différencier d’autres pathologies comme le PTI associé à une carence martiale. Le but est d’éviter la réalisation d’examens inutiles comme le myélogramme et d’administrer dans un délai court une supplémentation en fer au patient qui permettra une correction rapide de la thrombopénie puis de l’anémie. Dans ce contexte, l’IPF, en orientant rapidement sur l’origine centrale de la thrombopénie, est un apport non négligeable dans la stratégie diagnostique et le suivi des patients.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêts en rapport avec cet article.

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