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ANALYSE D'ARTICLE

Vagues de chaleur et mortalité : influence de la pollution atmosphérique

Utilisant la base de données du projet EuroHEAT, qui a inclus neuf villes européennes, les auteurs de cette étude ont estimé l’influence de la pollution atmosphérique sur la mortalité liée aux vagues de chaleur. Un effet aggravant de la pollution à l’ozone et aux PM10 est mis en évidence.

Using the database of the EuroHEAT project covering nine European cities, the authors of this study estimated the influence of air pollution on mortality due to heat waves. The study highlighted stronger heat wave effects on high ozone and PM10 pollution days.

Si les épisodes de canicule et de pollution atmosphérique sont tous deux associés à une surmortalité, leur interaction est mal connue. L’analyse des effets à court terme de la pollution prend habituellement en compte les variables météorologiques telles que la température et l’humidité, tandis que l’ajustement sur les niveaux de polluants est plus rare dans les études qui ont examiné les effets de la chaleur. La littérature disponible compte une dizaine d’études qui montrent que la pollution modifie la relation chaleur-mortalité et trois études qui indiquent le contraire. Les données analysées sont généralement limitées, provenant d’une ou de quelques villes d’un même pays ou État pour les études étatsuniennes qui sont les plus nombreuses. Par ailleurs, si ces études ont inclus des jours de forte chaleur estivale, aucune n’a examiné de manière spécifique l’influence de la pollution sur la mortalité associée aux vagues de chaleur.

 

 

Investigation fondée sur les données d’EuroHEAT

L’objectif d’EuroHEAT était d’évaluer les effets des vagues de chaleur sur la mortalité à partir des données météorologiques, de pollution et de mortalité journalières de neuf villes (Athènes, Barcelone, Budapest, Londres, Milan, Munich, Paris, Rome et Valence) pour les années 1990 à 2004. Le protocole d’analyse était standardisé et une vague de chaleur était défi nie par rapport aux températures mensuelles locales, comme une période d’au moins 2 jours consécutifs avec une température apparente maximale excédant le 90e percentile, ou une période d’au moins 2 jours avec une température minimale au-dessus du 90e percentile associée à une température maximale au-dessus de la valeur médiane. Les données de mortalité disponibles étaient la mortalité toutes causes naturelles et de causes spécifiques (cardiovasculaires, respiratoires et cérébrovasculaires selon la Classification internationale des maladies), tous âges confondus et par classes d’âges (jusqu’à 64 ans, de 65 à 74 ans, de 75 à 84 ans et 85 ans et plus). Les données de pollution, fournies par les stations fixes de chaque ville, étaient les suivantes : concentrations journalières moyennes de dioxyde de soufre (SO2), de PM10 et de dioxyde d’azote (NO2) mesurées sur une période de 24 h, et concentrations journalières maximales d’ozone (O3) et de monoxyde de carbone (CO) sur une moyenne glissante de 8 h. Les jours de forte pollution à un polluant donné étaient définis par rapport à la distribution générale (incluant les données de toutes les villes) des concentrations du polluant, comme des jours où cette concentration atteignait ou dépassait le 75e percentile. Les jours de faible pollution étaient définis par des concentrations égales ou inférieures au 25e percentile. Les valeurs des 25e et 75e percentiles étaient dans la fourchette des concentrations observées dans toutes les villes pour tous les polluants.

Le modèle utilisé pour estimer l’effet d’une vague de chaleur sur la mortalité était ajusté sur la pression atmosphérique, la vitesse du vent, le mois de l’année (juin, juillet ou août), le jour de la semaine, et la tendance temporelle. L’effet confondant potentiel du niveau de concentration de chaque polluant a été estimé en introduisant tour à tour ces variables dans le modèle. L’excès de mortalité observé durant les jours de forte pollution a été comparé à la surmortalité observée pendant les jours de faible pollution pour illustrer l’interaction entre une vague de chaleur et la pollution. Un modèle à effets aléatoires a été utilisé pour la méta-analyse des résultats propres à chaque ville.

 

Effets de l’ozone et des PM10

Sans ajustement sur la pollution, l’effet estimé d’une vague de chaleur est une augmentation de 17,1 % (IC95 = 12,2-22,2) de la mortalité totale (toutes causes, tous âges). L’ajustement sur la pollution atténue cette association dans toutes les classes d’âges, mais les influences du NO2, du SO2 et du CO sont minimes (diminution d’environ 10 % de la surmortalité) par rapport à celles de l’O3 (diminution de 15 à 25 % de la surmortalité) et surtout des PM10 (diminution d’environ 30 %).

L’analyse de l’effet d’une vague de chaleur selon le niveau de pollution confirme une influence des PM10 et de l’O3. Ainsi, la mortalité totale augmente de 11 % (IC95 = 5,7-16,6) lorsque le niveau de pollution aux PM10 est faible (concentration atmosphérique ≤ 26 μg/m3) et de 13,1 % (IC95 = 8,8-17,5) en cas de forte pollution (PM10 ≥ 50 μg/m3). L’interaction avec l’ozone se traduit par une augmentation de 9,7 % (IC95 = 2,9- 16,9) de la mortalité en cas de faible pollution (O3 ≤ 53 μg/m3) et de 14,6 % (IC95 = 10,5-18,7) en cas de pic de pollution (O3 ≥ 104 μg/m3). L’analyse par classes d’âge montre que l’influence de la pollution à l’ozone sur la mortalité est particulièrement importante chez les sujets âgés de 75 à 84 ans : la surmortalité est accrue de 54 % les jours de forte pollution par rapport aux jours de faible pollution. Un pic de pollution aux PM10 augmente respectivement de 36 % et de 106 % la surmortalité liée à une vague de chaleur chez les sujets âgés de 75 à 84 ans et chez ceux qui ont 85 ans et plus.

L’ampleur des interactions entre la pollution à l’O3 ou aux PM10 et la mortalité de cause cardiovasculaire est comparable à ce qui est observé pour la mortalité toutes causes. En revanche, l’effet d’une vague de chaleur sur la mortalité de cause respiratoire (qui est plus important que sur la mortalité cardiovasculaire) n’apparaît pas modifié de manière significative par la pollution. Il en est de même pour les décès de cause cérébrovasculaire, mais leur nombre était faible.

La pollution à l’O3 et aux PM10 augmente la surmortalité due à une vague de chaleur quelle que soit sa durée, et l’effet est plus prononcé dans les villes du Nord que dans celles des pays méditerranéens. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette différence géographique, mais leur rôle n’a pas pu être examiné par manque de données socioéconomiques et relatives aux modes de vie, aux conditions de logement et à l’utilisation de la climatisation.

Les résultats de cette étude méritent d’être considérés par les scientifiques comme par les politiques. Ils indiquent aux premiers que les effets des vagues de chaleur sur la mortalité sont surestimés en l’absence d’ajustement sur les niveaux de PM10 et d’O3, et aux seconds qu’il serait pertinent de renforcer la lutte contre la pollution atmosphérique quand une vague de chaleur est prévue.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Analitis A1, Michelozzi P, D’Ippoliti D, et al. Effects of heat waves on mortality – Effect modification and confounding by air pollutants. Epidemiology 2014; 25: 15-22.

doi: 10.1097/EDE.0b013e31828ac01b

 

1 Department of Hygiene, Epidemiology and Medical Statistics, Medical School, University of Athens, Athènes, Grèce.