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ANALYSE D'ARTICLE

Troubles du spectre autistique et exposition à l’imidaclopride des produits anti-puces

L’association entre les troubles du spectre autistique et l’exposition prénatale à l’imidaclopride contenu dans les produits de traitement antiparasitaire pour animaux domestiques a été estimée pour la première fois dans la population de l’étude CHARGE. Les résultats apparaissent très sensibles au biais de classement mais méritent plus ample attention.

The link between autism spectrum disorders and prenatal exposure to imidacloprid contained in flea and tick treatments for domestic pets has been assessed for the first time in the CHARGE study population. The results are very sensitive to misclassification bias but deserve further study.

L’imidaclopride est un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, qui se fixe sur les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine et inhibe, à l’instar des organophosphorés, la transmission cholinergique. Aux États-Unis, il a été enregistré comme pesticide à usage agricole en 1994, puis introduit en 1999 sur le marché grand public des produits pour animaux domestiques, comme antiparasitaire externe à usage topique. Des études de toxicologie chez le rat ont montré que l’exposition prénatale à l’imidaclopride pouvait induire des altérations neurocomportementales, mais sa toxicité potentielle pour le fœtus humain est méconnue. L’absorption cutanée peut survenir chez la femme enceinte par contact avec un animal récemment traité mais l’éventuelle exposition fœtale et la neurotoxicité qui pourraient en résulter n’ont pas été étudiées. Ce travail dans le cadre de l’étude CHARGE (Childhood Autism Risk from Genetics and Environment) offre une première estimation de l’association entre les troubles du spectre autistique (TSA) et l’utilisation domestique de produits antiparasitaires contenant de l’imidaclopride. Les auteurs se sont efforcés de considérer les erreurs de classement exposé/non-exposé découlant de l’évaluation rétrospective de l’exposition dans les études cas-témoins. Les analyses ont été effectuées dans un échantillon de population comportant 407 enfants souffrant d’un TSA confirmé à l’inclusion et 262 enfants présentant un développement neurocomportemental normal (témoins appariés aux cas sur l’âge, le sexe et la région). 

 

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Commentaires

L’étude CHARGE (acronyme pour Childhood Autism Risks from Genetics and Environment) s’appuie sur une collection au long cours de données de population sur des cas d’enfants présentant des troubles dits du « spectre autistique » et des témoins appariés. Cette initiative de chercheurs californiens a permis d’enregistrer des cas et des témoins depuis 2003, dans le but de rechercher des facteurs de risque génétiques et environnementaux d’autisme et de retard de développement. L’idée sous-jacente est qu’il n’y a certainement pas de cause unique commune à tous les troubles regroupés sous le terme d’autisme, et qu’un seul événement ou une seule exposition toxique ne peut être responsable de l’augmentation rapide des diagnostics de ces troubles au cours des dernières décennies. Il est envisageable que, pour chaque enfant, la cascade d’événements qui a mené à des troubles du développement soit différente. L’exploitation de la base de données CHARGE, hébergée par l’administration de l’État de Californie, a déjà donné lieu à un grand nombre de publications. Ainsi, au cours des 5 dernières années, les études ont porté d’une part sur les caractéristiques métaboliques maternelles telles que l’obésité, d’autre part sur les expositions pendant la grossesse (grippe, résidence à proximité des autoroutes, toxiques professionnels, vitamines, PBDE utilisés comme retardateurs de flamme dans les revêtements d’ameublement). Les chercheurs se sont aussi intéressés à l’origine des parents (hispaniques vs non hispaniques), au mois de conception de l’enfant (saisonnalité du risque), aux polymorphismes de certains gènes (MAO-A, DßH, 5-HTT) et au dysfonctionnement mitochondrial. 

Enfin, ils ont étudié les possibles dysfonctionnements du système immunitaire des enfants. Les deux études résumées ici portent sur le rôle neurotoxique des expositions chimiques pendant la grossesse. L’une traite du fait pour les mères de résider à proximité de terres agricoles traitées aux pesticides, l’autre de l’utilisation dans le foyer d’un pesticide utilisé contre les puces et les tiques des animaux de compagnie, l’imidaclopride. L’étude portant sur les risques liés au traitement des animaux domestiques contre les tiques et les puces s’est attachée à essayer de réduire autant que possible les biais de classification des expositions par une approche statistique bayésienne. L’ambition de ce travail était d’étudier précisément le risque en fonction de fenêtres de sensibilité. L’association entre l’exposition à l’imidaclopride et les symptômes évocateurs d’autisme est inégalement significative selon la période d’exposition : le risque semble plus élevé en cas d’exposition prénatale qu’en cas d’exposition pendant les premiers mois de la vie. Les auteurs soulignent la possibilité de classification imprécise des expositions, liée en particulier au caractère rétrospectif de la collecte des données et à des possibles biais de mémoire, impossibles à éliminer totalement dans les études cas-témoins. L’étude portant sur les pesticides utilisés en agriculture aboutit à une relation significative entre exposition in utero et troubles comportementaux relevant de l’autisme. Elle confirme l’augmentation du risque de troubles du développement lié à l’exposition aux pesticides in utero, en particulier au chlorpyrifos, neurotoxique avéré dont les effets sont objectivés par des anomalies des circonvolutions cérébrales.

Par ailleurs, l’aspect intéressant de cette étude est qu’elle parvient à associer certains pesticides spécifiques avec des catégories de troubles du comportement. Ainsi, l’exposition aux pyréthrinoides augmenterait les troubles décrits comme relevant de l’autisme, tandis que les carbamates seraient, eux, plus à risque d’induire des retards d’acquisition des capacités cognitives et d’adaptation. Il n’est pas surprenant que l’étude des facteurs de risque des troubles de comportement soit complexe. Comme le rappelle l’expertise collective de l’INSERM publiée en 2013, les pesticides sont, par définition, des substances destinées à lutter contre des organismes vivants considérés comme nuisibles pour d’autres organismes vivants. Ils perturbent en particulier la signalisation nerveuse ou hormonale, pour permettre le contrôle efficace du nuisible. Autrement dit, un pesticide est toujours un toxique pour la cible pour lequel il a été développé. Il peut aussi constituer un risque pour les organismes « non cibles », et si des effets neurotoxiques sont prouvés en cas d’intoxication par des fortes doses, la question est de savoir dans quelle mesure ce risque existe pour les faibles doses d’exposition. Nous avons besoin de protocoles innovants pour aller plus loin dans cette évaluation, faisant intervenir à la fois les polymorphismes génétiques pour expliquer les sensibilités différentes et de nouvelles techniques d’imagerie dynamique.

Elisabeth Gnansia

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Recueil et traitement des données

Les données d’exposition et relatives aux facteurs de confusion potentiels ont été collectées lors d’entretiens téléphoniques avec les mères, qui ont été interrogées sur leur utilisation de produits anti-puces et anti-tiques pour animaux (en spray, poudre, liquide ou autre) au cours d’une période allant de 3 mois avant la conception de leur enfant jusqu’à la fin de l’allaitement. L’ancienneté de cette période était de 4 ans en moyenne au moment de l’entretien. Les mères déclarant avoir traité un animal ont précisé le type de produit et le moment de son utilisation. Les enfants ont été classés exposés si la mère déclarait avoir employé une des deux formulations commerciales contenant environ 9 % d’imidaclopride alors sur le marché (pipettes de liquide à appliquer sur la peau). L’exposition prénatale a été considérée régulière si la mère avait suivi la recommandation d’une application mensuelle du produit à titre préventif, et occasionnelle si elle avait appliqué le produit moins d’1 fois par mois pendant sa grossesse. Deux méthodes de régression logistique (fréquentiste et bayésienne) ont été utilisées pour calculer l’odds ratio (OR) d’exposition prénatale à l’imidaclopride chez les enfants présentant un TSA en comparaison aux témoins. Des analyses supplémentaires selon le moment de l’exposition (pré-grossesse, 1er, 2e et 3e trimestres, période post-natale) et son importance (régulière ou occasionnelle) ont été effectuées par la méthode fréquentiste. L’influence du biais de classement a été estimée en comparant le résultat de l’analyse principale avec le modèle bayésien « naïf », qui présuppose exactes les déclarations des mères quant à l’exposition, aux résultats d’analyses tenant compte de probabilités plausibles de faux-négatifs et de faux-positifs. En pratique, 21 scénarios de validité des déclarations des mères, entraînant des modifications des groupes exposé et non exposé, ont été obtenus en faisant varier la sensibilité de 70 à 100 % et la spécificité de 0 à 20 %. Tous les modèles étaient ajustés sur le sexe de l’enfant, son âge au moment du recueil des informations, son lieu de naissance, le niveau d’études de la mère, son origine ethnique, la parité et la possession d’un animal domestique pendant la grossesse.

 

Estimation de l’association

Les deux méthodes statistiques aboutissent à un résultat similaire qui suggère une faible association positive non significative entre l’exposition prénatale à l’imidaclopride et les TSA : OR égal à 1,3 avec un intervalle de confiance à 95 % compris entre 0,79 et 2,2 pour l’analyse fréquentiste et entre 0,78 et 2,2 pour l’analyse bayésienne. Les résultats de l’analyse stratifiée sur l’importance de l’exposition sont un OR égal à 0,69 (IC95 = 0,27-1,8) pour une exposition occasionnelle et à 2 (IC95 = 1-3,9) pour une exposition régulière. L’analyse selon le moment de l’exposition donne des OR supérieurs à 1,5 pour les 3 trimestres de grossesse, et des valeurs inférieures pour une exposition en pré-grossesse ou postnatale, mais ces estimations sont imprécises. L’ensemble de ces résultats incite à s’intéresser à la possibilité d’une relation réelle entre l’exposition à l’imidaclopride et les TSA. La fourchette des OR résultant des différents scénarios de validité des déclarations va de 0,6 dans la situation d’une sensibilité plus importante chez les cas et d’une spécificité équivalente dans les deux groupes à 4 pour une sensibilité et une spécificité plus élevées chez les témoins que chez les cas (situation contre-intuitive où les déclarations des mères d’enfants normaux reflètent mieux l’exposition réelle que celles des mères d’enfants malades). Cette forte variation de l’estimation pour des variations limitées de la sensibilité et de la spécificité indique l’importance du biais de classement différentiel. Elle appelle à la conduite d’études de validation de l’autodéclaration rétrospective de l’exposition aux pesticides dans les études sur les troubles neurocomportementaux. Les futures vastes cohortes telles que la National Children’s Study offrent l’opportunité de comparer les informations recueillies rétrospectivement à celles qui auront été collectées de manière prospective ou à des biomarqueurs reflétant plus précisément l’exposition prénatale.

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Keil AP1, Daniels JL, Hertz-Picciotto IH. Autism spectrum disorder, fl ea and tick medication, and adjustments for exposure misclassification: the CHARGE (Childhood Autism Risk from Genetics and Environment) case-control study. Environ Health 2014; 13: 3.

doi: 10.1186/1476-069X-13-3

 

1 Department of Epidemiology, University of Noth Carolina, Chapel Hill, États-Unis.