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ANALYSE D'ARTICLE

Résidus de pesticides agricoles rapportés à la maison : une source d’exposition importante pour les enfants ?

La contamination des logements représente une source d’exposition chronique aux pesticides non négligeable pour les enfants d’agriculteurs selon cette première synthèse de la littérature sur le sujet. Les facteurs susceptibles d’influencer le niveau de l’exposition sont passés en revue. Les auteurs appellent à promouvoir l’adoption de comportements simples pour limiter l’introduction de résidus de pesticides au domicile familial.

Les enfants sont plus vulnérables aux effets toxiques des pesticides que les adultes du fait d’une moindre capacité de détoxication et d’élimination des xénobiotiques et d’une plus grande sensibilité des organes en développement. Ils peuvent par ailleurs être exposés à des niveaux plus élevés que les adultes en population générale, par leurs activités (comme les jeux au sol favorisant les contacts avec des résidus de pesticides présents dans la poussière domestique et l’ingestion de poussières par comportement main-bouche) et leur alimentation (qui peut être moins variée que celle des adultes et comporter plus de produits contenant des résidus de pesticides comme les fruits, les jus de fruits et le lait). De plus, les quantités quotidiennes d’aliments et d’eau ingérés, ainsi que d’air inhalé, sont plus importantes que celles des adultes proportionnellement à la masse corporelle.

 

Des publications récentes provenant des États-Unis (ce qui est aussi le cas de cet article de revue) indiquent que les enfants résidant dans des régions agricoles sont nettement plus exposés aux pesticides que les autres. À l’intérieur d’une même communauté, les enfants de travailleurs agricoles sont plus exposés que ceux dont les parents ont un autre emploi. Une étude menée dans une zone d’arboriculture fruitière du nord-ouest rapporte ainsi la présence de résidus d’insecticides organophosphorés dans la poussière de tous les logements échantillonnés, mais à la fois le nombre des substances détectées et les niveaux de contamination sont plus élevés dans les foyers d’employés aux vergers que dans ceux des travailleurs non agricoles. Ce résultat s’accompagne de la mise en évidence d’une moindre progression des apprentissages dans le groupe des enfants d’employés agricoles (155 enfants de 5 à 12 ans à l’inclusion) par rapport aux autres (n = 60) entre deux évaluations (batterie de tests neurocomportementaux) réalisées à un an d’intervalle.

L’introduction à la maison de résidus de pesticides présents sur les vêtements, les chaussures de travail et la peau des parents professionnellement exposés est à l’origine d’une exposition domestique indirecte ou paraprofessionnelle des enfants qui n’est pas habituellement prise en compte par les évaluateurs de risques et les agences de régulation. Elle s’additionne pourtant aux autres sources d’exposition (alimentaire, liée à la dérive des pesticides agricoles ou à l’emploi de pesticides à usage domestique), pesant dans l’exposition cumulée à différentes classes de pesticides.

Mais quelles sont les preuves de cette « take-home exposure » ? Et quelle est l’importance de sa contribution ?

Revue de la littérature

Trente articles issus d’une recherche via PubMed et Web of Science (publications en anglais entre le 1er janvier 1989 et le 23 août 2016) ont été rassemblés pour cette première revue de la littérature sur le sujet. Après regroupement des articles se rapportant à une même population, 23 études réalisées dans des communautés agricoles différentes étaient identifiées. Bien qu’aucune limitation géographique n’ait été appliquée lors de la recherche, toutes les études sauf une (Équateur) avaient été réalisées aux États-Unis, principalement dans les États de Californie et de Washington.

Des méthodologies variées avaient été employées pour évaluer l’exposition des enfants (dont l’âge allait de moins d’un an à 16 ans) aux pesticides (différentes familles dominées par les organophosphorés). Neuf études reposaient sur la mesure des pesticides ou de leurs métabolites dans des échantillons biologiques (urine sauf une étude ayant utilisé du sang), huit sur des analyses d’échantillons environnementaux (poussière prélevée au domicile ou dans le véhicule familial, air, lingettes passées sur le sol, des jouets ou les mains des enfants), et six avaient utilisé les deux types d’échantillons. Dans cinq d’entre elles, le niveau des biomarqueurs urinaires était corrélé aux concentrations dans la poussière (la sixième avait inclus des membres d’une communauté agricole qui n’étaient pas eux-mêmes agriculteurs).

Les auteurs ont estimé que les études les plus aptes à documenter la voie d’exposition « take-home » étaient celles qui offraient une comparaison entre familles avec et sans travailleurs agricoles, avaient inclus une population suffisamment vaste, analysé à la fois des échantillons environnementaux et biologiques, et répété ces analyses, réduisant le risque d’erreur de classement et permettant d’étudier l’impact de l’utilisation périodique des pesticides. Des 11 études ayant inclus une population témoin, neuf rapportaient des niveaux de contamination significativement plus élevés chez les enfants (biomarqueurs urinaires) et/ou dans les maisons (divers échantillons) d’employés agricoles pour au moins l’un des pesticides considérés. Trois remplissaient tous les critères (groupe témoin, taille suffisante de la population et multi-échantillonnage) et fournissaient des données particulièrement convaincantes sur la réalité de la « take-home exposure ». L’une montrait des concentrations médianes d’organophosphorés sept fois plus élevées dans l’environnement domestique des travailleurs agricoles que dans celui des autres membres de la communauté et cinq fois plus élevées chez leurs enfants. Dans une autre, les pesticides à usage purement agricole n’avaient été retrouvés qu’aux domiciles des applicateurs de ces produits, et les concentrations urinaires d’atrazine et de chlorpyrifos chez leurs enfants étaient plus élevées lorsque le prélèvement avait été effectué après la saison d’application.

Facteurs susceptibles d’influencer l’exposition

L’évolution des concentrations urinaires avec la périodicité des traitements phytosanitaires est retrouvée dans une autre étude, qui montre que les niveaux des biomarqueurs chez les enfants d’applicateurs rejoignent ceux des enfants des familles témoins hors période de pulvérisation. Le type d’emploi parental (applicateur versus autres) et le nombre de membres de la famille professionnellement exposés sont également identifiés (respectivement dans quatre et trois études) comme des facteurs influençant le niveau d’exposition des enfants. Huit études ayant diversement évalué l’effet de la proximité de vergers ou de terres agricoles traitées montrent que la fréquence de détection et les concentrations urinaires de pesticides chez les enfants diminuent avec l’augmentation de la distance. Six études rapportent des résultats en fonction de l’âge des enfants. Leur diversité (groupes d’âges et pesticides recherchés) rend leur synthèse difficile, mais l’ensemble dessine une tendance pour la fréquence de détection des pesticides, qui décroît du nourrisson au grand enfant. En revanche, les données selon le sexe ne fournissent pas un ensemble cohérent.

Quelques études d’intervention ont montré que la contamination des logements pouvait être efficacement réduite par des mesures simples comme le port de gants pour le travail au contact des pesticides, le lavage des mains et le déchaussage avant d’entrer à la maison, ainsi que le traitement séparé des vêtements de travail et du reste du linge à laver. Les auteurs de cet article estiment qu’il est nécessaire de les promouvoir : à défaut de pouvoir évaluer précisément la contribution de la « take-home exposure » à l’exposition des enfants, la littérature existante fournit suffisamment de preuves de son existence.

 


Publication analysée :

*Hyland C1, Laribi O. Review of take-home pesticide exposure pathway in children living in agricultural areas. Environ Res 2017 ; 156 : 559-70. doi : 10.1016/j.envres.2017.04.017.

1 Department of Environmental Health Sciences, UC Berkeley, États-Unis.