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ANALYSE D'ARTICLE

Pollution de l’air ambiant et surpoids/obésité chez des enfants d’âge scolaire à Barcelone

Cette étude transversale à Barcelone (Espagne) enrichit la jeune littérature sur le lien entre la pollution atmosphérique et l’obésité infantile. Ses principaux atouts sont la taille de l’échantillon inclus et la prise en compte de l’exposition des enfants à l’école, ce qui n’avait jamais été fait auparavant.

La pollution atmosphérique est l’un des « obésogènes environnementaux » suspectés sur la base de travaux chez la souris et d’hypothèses mécanistiques impliquant l’inflammation, le stress oxydant et la perturbation endocrinienne, mais les données épidémiologiques sont encore rares. Cinq études avant celle-ci ont examiné la relation entre l’exposition à la pollution liée au trafic et la corpulence de populations d’enfants, aux États-Unis [dont 1, 2], en Chine et en Italie. Contrairement aux quatre premières qui soutiennent une telle relation, l’étude italienne, la plus récente, rapporte des résultats négatifs : dans cette cohorte de naissance romaine (n = 719) suivie jusqu’à l’âge de 8 ans (n = 499), aucune association n’est observée entre les concentrations de différents polluants modélisées par land-use regression (LUR) à l’adresse du domicile (oxydes d’azote [NOx], dioxyde d’azote [NO2], PM2,5, PM10, PM2,5-10 et PMabs [marqueur du carbone suie]) et l’indice de masse corporelle (IMC), les lipides sanguins, l’adiposité abdominale ou le risque de surpoids/obésité.

Un modèle LUR développé dans le cadre du projet ESCAPE (European Study of Cohorts for Air Pollution Effects) a également été utilisé pour estimer l’exposition résidentielle des 2 660 enfants de Barcelone âgés de 7 à 10 ans inclus dans cette étude (participants à la Brain Development and Air Pollution Ultrafine Particles in School Chidren [BREATHE] study). Les investigateurs ont considéré les niveaux (concentrations moyennes de l’année 2011) de quatre polluants – NO2, PM2,5, PM10 et PM2,5-10 – et écarté les NOx et PMabs fortement corrélés au NO2 (r = 0,92 et 0,93 respectivement). Ils ont aussi analysé l’effet de l’exposition à l’école, un environnement dans lequel les enfants passent entre 23 et 35 % de leur temps. Ils y sont notamment aux heures matinales de pics de pollution due à la circulation, et leur journée dans l’établissement scolaire est émaillée de périodes d’activité physique qui augmente le débit ventilatoire. D’après une petite étude à Barcelone (45 enfants équipés de capteurs individuels), 37 % de la dose journalière de carbone suie est reçue à l’école.

Estimation de l’exposition à l’école

Le jeu des polluants mesurés dans l’environnement scolaire ne recouvrait que partiellement celui des polluants mesurés dans l’environnement résidentiel. Il incluait le NO2, les PM2,5, et deux composants de la pollution dont les relations avec l’obésité infantile n’avaient jamais été examinées : le carbone élémentaire (CE, par analyse du carbone des PM2,5 selon la méthode thermique) et les particules ultrafines (PUF correspondant ici à des particules de diamètre compris entre 10 et 700 nm). Pour les deux polluants en commun (NO2 et PM2,5), les expositions résidentielle et scolaire ne sont pas directement comparables du fait de la différence de méthode (les auteurs demandant d’en tenir compte dans l’interprétation des résultats).

L’exposition scolaire a en effet été estimée à partir d’échantillonnages dans les cours des 39 écoles élémentaires participant à BREATHE, aux jours et heures de présence des élèves (de 9 à 17 h durant quatre jours en semaine). Deux campagnes d’échantillonnages ont eu lieu (de janvier à juin 2012 et de septembre 2012 à février 2013) afin de disposer pour chaque école de mesures en saisons chaude et froide (à six mois d’intervalle) à partir desquelles les concentrations moyennes ont été calculées.

Relation entre l’exposition et l’obésité

La taille et le poids des élèves (permettant d’établir l’IMC) avaient été mesurés à leur inclusion dans la BREATHE (entre janvier 2012 et juin 2013) par un personnel entraîné suivant un protocole standardisé. Respectivement 26 et 16 % des enfants présentaient un surpoids et une obésité selon les définitions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : IMC dépassant d’au moins un écart-type (surpoids) et deux écarts-types (obésité) la valeur médiane pour l’âge et le sexe, en référence aux normes de croissance pour les enfants d’âge scolaire publiées en 2007.

La relation entre l’exposition à chaque polluant et le surpoids/obésité a été examinée en traitant la concentration comme une variable catégorielle (répartition par tertiles et calcul des odds ratio [OR] dans les deux tertiles supérieurs par rapport au premier) ou continue (estimation de l’effet de l’augmentation d’un intervalle interquartile[IIQ] de la concentration). Les modèles étaient ajustés sur le niveau d’études des parents, leurs catégories d’emploi (employé, auto-entrepreneur, sans emploi), leurs pays de naissance (Espagne ou autre), la taille de la fratrie, la structure familiale (mono ou bi-parentale) et le tabagisme maternel durant la grossesse (variables pertinentes identifiées sur un graphique acyclique dirigé). Des analyses de sensibilité ont été effectuées en intégrant d’autres variables (le sexe de l’enfant, son niveau d’activité physique en dehors de l’école et son exposition à la fumée de tabac à la maison) ou en allégeant l’ajustement par la suppression des caractéristiques parentales « études, emploi et pays de naissance ».

Considérant l’exposition résidentielle, si la probabilité de surpoids/obésité tend à augmenter avec le niveau des polluants (sauf pour le NO2), un seul résultat notable émerge : l’OR égal à 1,10(IC95 : 1-1,22) par augmentation d’un IIQ des PM10 (5,6 μg/m3). L’étroitesse de la fourchette des concentrations mesurées a pu réduire la puissance statistique.

L’impact de l’exposition scolaire est plus net, mais la relation n’est linéaire que pour les PUF, aboutissant à une association significative dans le dernier tertile (OR = 1,30[1,03-1,64] versus 1,19[0,96-1,51] dans le deuxième). Pour les trois autres polluants, l’association est significative au niveau d’exposition intermédiaire, et moins forte au niveau le plus élevé. Ainsi, pour les PM2,5, l’OR est égal à 1,35 (1,07-1,68) dans le deuxième tertile et à 1,09 (0,87-1,36) dans le dernier. Les résultats correspondants pour le CE sont des OR égaux à 1,26 (1,01-1,60) puis 1,23 (0,98-1,56).

Cette non-linéarité pourrait répondre à un phénomène biologique de saturation étant donné la mauvaise qualité de l’air à Barcelone. Plus de la moitié des enfants de cette étude étaient exposés à des concentrations de NO2 dépassant les recommandations de l’OMS (40 μg/m3) tant à la maison (valeur médiane : 44,4 μg/m3) qu’à l’école (48,5 μg/m3). L’exposition aux PM2,5 était moins forte dans l’environnement résidentiel (médiane : 13,4 μg/m3) qu’en milieu scolaire (25 μg/m3), mais dans les deux cas la valeur guide (10 μg/m3) était dépassée dans le premier tertile.

  • [1] Environ Risque Sante 2015 ; 14 : 383-5.
  • [2] Environ Risque Sante 2016 ; 15 : 12-3.

Publication analysée :

* de Bont J1, Casas M, Barrera-Gómez J, et al. Ambient air pollution and overweight and obesity in school-aged children in Barcelona, Spain. Environ Int 2019 ; 125 : 58-64. doi : 10.1016/j.envint.2019.01.048

1 ISGlobal, Barcelona Institute for Global Health, Barcelone, Espagne.