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ANALYSE D'ARTICLE

Perception du risque des rayonnements ionisants : enseignements de la catastrophe de Fukushima

Quels facteurs ont influencé la perception des risques liés à la radioactivité et le niveau d’anxiété associé dans la population japonaise après l’accident de Fukushima ? Quels ont été leurs effets ? Quel a été l’impact des réunions visant à informer et conseiller les populations des zones contaminées ? Cette première revue qualitative de la littérature sur le sujet apporte des éléments de réponse et de réflexion.

Interrogé en 2008 sur les craintes générées par 51 menaces de différentes natures (sanitaires, alimentaires, environnementales, économiques, de conflits, etc.), un échantillon représentatif de la population japonaise adulte plaçait l’accident d’une centrale nucléaire au dix-neuvième rang, avec un score moyen de 3,34 sur une échelle d’anxiété dont le score maximal était 5. Lors de la réitération de cette enquête nationale en 2012, le séisme occupait toujours la première place mais le niveau d’anxiété vis-à-vis de ce risque avait crû (score moyen égal à 4,24 versus 3,99 en 2008) et l’accident nucléaire arrivait en deuxième position (score moyen : 4,10). L’impact de la catastrophe de Fukushima de mars 2011 a également été mis en évidence dans plusieurs enquêtes à dimension régionale, comme celle qui suit l’opinion d’habitants de l’agglomération de Tokyo sur l’énergie nucléaire : 49,8 % de répondants déclaraient avoir peur d’un accident nucléaire en janvier 2011 contre 70,8 % en janvier 2012.

 

La peur est directement liée au niveau de risque perçu, qui découle à la fois de ce qu’on connaît du risque et de ce qu’on en ignore selon la théorie des deux dimensions psychologiques de la perception du risque de Slovic. Dans le cas d’un accident nucléaire, la peur des conséquences de l’exposition à la radioactivité (pour soi, ses enfants et les générations futures) résulterait ainsi d’un « connu » (les effets cancérogènes et tératogènes des rayonnements ionisants [RI] sont particulièrement effrayants pour la population) et d’un « inconnu » incluant l’incertitude quant au délai de survenue des effets sanitaires et l’impression que les scientifiques maîtrisent mal la toxicité des faibles doses.

La perception du risque a potentiellement des effets importants sur la santé mentale et les comportements individuels. En cas d’accident nucléaire, elle intervient dans les prises de décisions relatives, par exemple, à une évacuation volontaire, à des choix alimentaires et au moment du retour à la maison.

L’accident de Fukushima a fait l’objet d’une littérature éparse durant les six années qui l’ont suivi. Les auteurs de cet article l’ont passée en revue afin d’en dégager les connaissances concernant la perception du risque dans la population japonaise.

Publications considérées

Des 117 publications en langue anglaise initialement extraites d’une recherche arrêtée au 16 mai 2017, 19 ayant mesuré la perception du risque des RI ou l’anxiété vis-à-vis de ce risque et exploré leurs déterminants et/ou leurs effets ont été conservées. Une recherche manuelle dans leurs listes de références a ramené trois articles supplémentaires remplissant ces critères d’inclusion. Sur ces 22 articles, 10 avaient examiné les effets de la perception du risque ou de l’anxiété, sept articles décrivaient leurs facteurs de variation et cinq les impacts d’interventions auprès de la population (réunions d’information sur les effets sanitaires des RI et conseils sur les moyens de réduire l’exposition).

Deux enquêtes annuelles fournissant uniquement des données sur la perception du risque ou l’anxiété ont été ajoutées pour leur valeur longitudinale : celle de l’université de médecine de Fukushima (Fukushima Health Management Survey – [FHMS]) et celle du gouvernement de la préfecture de Fukushima (Public Opinion Survey in Fukushima Prefecture [POSFP]).

Les populations ayant fait l’objet de ces différentes études pouvaient être classées en quatre catégories : population générale (résidents d’Osaka, de Tokyo et de la préfecture de Fukushima, évacués ou pas, mères de villes ou villages touchés par les retombées radioactives dans les préfectures de Fukushima, Miyagi et Chiba), professionnels (de la santé, du secours ou de la décontamination), résidents de zones évacuées (villes de Minamisoma et Kawauchi) et participants à des réunions d’information et de conseil.

Principaux enseignements

L’anxiété avait généralement été mesurée sur une échelle ordinale linéaire de Likert (qui pouvait comporter quatre à dix niveaux), un outil facile à utiliser et favorisant la comparaison des résultats de différentes enquêtes, mais limité par son caractère uni-dimensionnel. Les instruments utilisés pour la perception du risque s’appuyaient sur le modèle de Slovic, ou sur celui de Lindel, qui distingue différents types d’effets sanitaires. Les enquêtes FHMS et POSFP utilisent de tels indicateurs pour mesurer le risque perçu d’effets retardés et d’effets génétiques, ainsi que le poids des préoccupations liées aux RI au quotidien et dans la décision d’avoir un enfant (vie « intranquille » et hésitation à procréer en raison des radiations). L’évolution de ces indicateurs sur la période 2012-2015 montre une diminution de l’inquiétude dans la préfecture de Fukushima, particulièrement entre les enquêtes de 2013 et de 2014.

Seules deux publications rapportaient des mesures effectuées avec des échelles originales, développées pour couvrir des composantes de la peur spécifiques à l’événement, comme celle des perturbations sociales ou la crainte d’apprendre de nouvelles informations alarmantes au travers des reportages sur l’accident. Les auteurs de cet article soulignent l’apport de tels outils pour faire progresser la communication. Les données relatives aux déterminants de la perception du risque et de l’anxiété indiquent en effet l’importance des facteurs de stress liés à l’expérience unique de la catastrophe (comme l’évacuation, les pertes humaines, les dommages subis par les habitations et les pertes de revenus et d’emploi), à côté d’autres facteurs plus classiques, d’ordre sociodémographique (le niveau de l’anxiété est en particulier élevé chez les femmes, les personnes âgées, les parents et les grand-parents, ainsi que chez les personnes peu diplômées). L’influence des sources d’informations et de la confiance qui leur est attribuée ressort également de la littérature. Une étude ayant évalué les craintes liées à la contamination de l’alimentation en population générale (résidents de Fukushima, Tokyo et Osaka) montre ainsi une corrélation entre l’importance du risque perçu et la fiabilité accordée aux sources d’informations directes (amis, Internet, etc.) par rapport aux sources gouvernementales. L’une des deux études ayant utilisé une échelle originale (12 groupes de résidents de la préfecture de Fukushima ayant assisté à une conférence sur les effets sanitaires des RI) a examiné les relations entre le niveau de la peur et la fréquence d’utilisation de différents moyens d’informations sur la catastrophe. Elle rapporte des corrélations entre la peur des effets sanitaires des RI et l’écoute de la rumeur, entre la peur de conséquences pour le futur et la lecture de journaux régionaux (mais pas nationaux), et entre la peur de perturbations sociétales et l’écoute de la radio.

D’autres éléments potentiellement utiles pour améliorer la communication ressortent des études chez des participants à des réunions d’information. Leurs résultats indiquent que ces réunions bénéficient particulièrement aux sujets ayant un haut niveau d’anxiété liée aux radiations, et que leur impact est meilleur lorsque le nombre de participants est inférieur à 100. Les autorités ou les intervenants doivent définir clairement les objectifs de la conférence. La connaissance des facteurs gouvernant la perception du risque et de ses effets sur le comportement est à ce titre nécessaire. Il est naturel que la peur des conséquences d’une exposition accidentelle aux RI soit élevée, mais les problèmes générés par des réactions excessives pour l’éviter doivent être prévenus et l’impact à long terme sur la santé mentale doit être atténué. Tous les accidents majeurs, radiologiques ou chimiques, survenus depuis 1945 ont un point commun : les experts considèrent que leur impact sur la santé mentale des populations affectées en est la plus grave conséquence. Six ans après l’accident de Fukushima et 11 ans après celui de Tchernobyl, des troubles mentaux liés au stress de l’événement sont encore diagnostiqués. Mieux comprendre la perception du risque permettrait de développer une méthodologie de soutien socio-psychologique adaptable à différents environnements culturels, et ainsi de faire avancer la sûreté nucléaire en soi, pas seulement la réponse aux accidents nucléaires.

 

Commentaires

Cet article fournit un examen de publications sur la perception des risques ou l’anxiété concernant les rayonnements ionisants chez les personnes vivant au Japon après l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima en 2011. Les mesures de la perception du risque et de l’anxiété ont été extraites de chaque publication identifiée (n = 24) et les changements dans le temps ont été résumés. Les taux d’anxiété liée aux rayonnements chez les résidents de Fukushima ont diminué entre 2012 et 2015. Selon les auteurs, des facteurs démographiques, des facteurs de stress liés à la catastrophe, la fiabilité des informations et des variables liées au rayonnement régissent la perception des risques ou l’anxiété.

La mesure de la perception des risques est bien délicate et profondément polysémique. En s’appuyant sur des méthodes déjà éprouvées, les publications n’apportent pas de conclusions nettes sur l’influence des facteurs étudiés, en dehors d’évidences ; toutefois, la relation entre la qualité de l’information de publics éduqués et la confiance associée peut être un facteur de diminution éventuelle des risques psychosociaux (ce qui devrait avantageusement être approfondi).

La situation de Tchernobyl, plus ancienne, aurait pu servir de comparaison, même si les situations culturelles et d’exposition aux radiations sont différentes.

Par souci d’éclairer la question, une analyse via Google-Trends sur la rubrique « Nuclear Risks » fait apparaître dans le monde une excitation spécifique en 2011 (Fukushima) avec une tendance à la diminution dans le temps. Le phénomène est classique, dès que l’on retrouve une situation quasi-normale, la tendance est de faire avec et de tenter d’oublier les problèmes pour survivre.

 

Dans le cas de Fukushima, il n’est pas encore possible d’avoir une idée spécifique de l’impact de cet accident majeur sur la qualité de vie des citoyens (voire leur survie), ce qui probablement limite la portée de ce travail de synthèse et des publications exploitées par les auteurs. C’est cependant un travail bien complexe à entreprendre.

Jean-Claude André


Publication analysée :

* Takebayaski Y1, Lyamzina Y, Suzuki Y, Murakami M. Risk perception and anxiety regarding radiation after the 2011 Fukushima Nuclear Power Plant accident: a systematic qualitative review. Int J Environ Res Public Health 2017 ; 14 (11). pii : E1306. doi : 10.3390/ijerph14111306

1 Department of Health Risk Communication, Fukushima Medical University School of Medicine, Fukushima, Japon.