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ANALYSE D'ARTICLE

Mortalité attribuable au froid et à la chaleur : analyse multi-pays

La part de la mortalité liée à la température attribuable au froid et celle attribuable à la chaleur ont été estimées dans cette étude qui repose sur une vaste base de données et des méthodes d’analyses statistiques perfectionnées. Le froid apparaît responsable d’une proportion de décès largement plus importante que la chaleur, et le poids des températures extrêmes est faible par rapport à celui des températures modérées.

This study, using a huge database and very advanced statistical analysis methods, estimated the proportion of temperature-related deaths attributable to cold and to heat. Cold appears to cause a much greater proportion of deaths than heat, and extreme temperatures have substantially less effect compared to that of moderate but not optimum temperatures.

Motivées par le changement climatique, les premières études sur la relation entre la température ambiante et la mortalité se sont focalisées sur les températures extrêmes. La contribution relative des températures modérément élevées ou basses autour d’une valeur « optimale » (température de mortalité minimale) est encore méconnue. Par ailleurs, les mécanismes physiopathologiques qui expliquent l’augmentation du risque de mortalité aux températures « non optimales » ne sont pas complètement élucidés. Ces mécanismes sont probablement multiples, comme le suggèrent la diversité des causes de décès (cardiovasculaires, respiratoires et autres) et la faible proportion de la surmortalité imputable à des coups de chaleur et des hypothermies.

Continuer d’explorer la relation température- mortalité permettra de mieux prédire les effets du changement climatique et de planifier des interventions de santé publique plus adaptées. De récentes avancées en termes de modélisation statistique permettent de réduire les difficultés liées à une relation dose-réponse par nature non linéaire, caractérisée par une temporalité différente des réponses à la chaleur (excès de risque de mortalité typiquement immédiat et durant quelques jours) et au froid (effets apparaissant progressivement et s’étendant sur plusieurs semaines).

S’appuyant sur les possibilités offertes par de nouveaux modèles, plus sophistiqués et plus souples, cette vaste analyse multi-pays de séries temporelles offre une estimation de la part de la mortalité attribuable au froid et à la chaleur d’une part, et aux températures modérées et extrêmes d’autre part.

 

Données utilisées et méthode

Les auteurs ont rassemblé les données (comptes journaliers de mortalité toutes causes et température moyenne quotidienne) de 384 localisations (principalement des villes et quelques régions administratives) dans 13 pays : Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée, Espagne, États-Unis, Italie, Japon, Royaume-Uni, Suède, Taïwan et Thaïlande. La période d’observation allait de 9 ans en Thaïlande (1999-2008) à 27 ans au Japon (1985-2012) et la base de données incluait 74 225 200 décès survenus au sein de populations vivant sous des climats contrastés, avec une température moyenne au cours de la période d’observation allant de 6,5 °C au Canada à 27,6 °C en Thaïlande.

Des analyses de séries temporelles ont été effectuées pour chaque localisation individuellement dans un premier temps, permettant de décrire la relation température-mortalité spécifique au lieu. Le modèle de régression utilisé tenait compte des variations temporelles à long terme (tendance) et à court terme (jour de la semaine). Un décalage de 21 jours a été choisi pour inclure les effets retardés du froid et atténuer le phénomène de déplacement de mortalité lié à la chaleur. Les auteurs ont testé la robustesse de leur modèle par des analyses de sensibilité, en modifiant la durée du décalage, l’indicateur sanitaire (mortalité de causes non accidentelles à la place de la mortalité toutes causes) et en ajustant sur le taux d’humidité et la concentration atmosphérique de polluants, lorsque ces données étaient disponibles. Ils ont ensuite combiné les résultats individuels à l’aide d’un modèle multivarié (méta-régression) tenant compte des spécificités locales en termes de température (valeur moyenne et fourchette), ainsi que d’indicateurs nationaux (socio-économiques, démographiques et relatifs aux infrastructures).

 

Prépondérance des effets du froid

La température pour laquelle la mortalité est la plus faible se situe généralement entre le 80e et le 90e percentiles de la distribution des températures, sauf pour les localisations en zones tropicales et subtropicales (au Brésil, à Taïwan et en Thaïlande) où cette température de mortalité minimale se situe aux alentours du 60e percentile. Le risque de mortalité s’accroît lentement et de façon linéaire en dessous de ce seuil, à l’exception de certaines localisations comme les villes de Londres et Madrid, où une augmentation abrupte et exponentielle de la mortalité survient aux froids extrêmes, comme ce qui est observé pour la chaleur intense. La métarégression indique que la température moyenne et la fourchette des températures locales contribuent moins à l’hétérogénéité de l’association température- mortalité que les indicateurs nationaux. D’autres facteurs expliquent l’hétérogénéité résiduelle, qui est modérée mais significative (I2 = 36,3 %).

La fraction de la mortalité attribuable au froid et à la chaleur va de moins de 5 % (Brésil, Suède, Taïwan et Thaïlande) à plus de 10 % (Chine, Italie et Japon), et est en moyenne de 7,71 % (IC95 = 7,43-7,91). La plus grande part de l’effet est imputable au froid (7,29 % [IC95 = 7,02-7,49] versus 0,42 % [IC95 = 0,39-0,44] pour la chaleur), ce qui s’explique par des valeurs de température de mortalité minimale élevées, la plupart des températures moyennes quotidiennes n’atteignant pas cette température « optimale ».

Dans tous les pays, le froid modéré (associé à une augmentation du risque de mortalité bien plus faible que les températures extrêmes, mais nettement plus fréquent que celles-ci) est responsable de la majorité des décès liés à la température. La fraction attribuable est globalement estimée à 6,66 % (IC95 = 6,41-6,86), tandis que la fraction attribuable aux températures extrêmes, froides et chaudes réunies, n’est que de 0,86 % (IC95 = 0,84-0,87).

Ces résultats incitent à étendre le champ des recherches et de la protection de la santé publique au-delà des seuls phénomènes de vagues de chaleur et de périodes caniculaires. Toutefois, bien qu’ils soient fondés sur d’importantes données intéressant des populations confrontées à une large variété de conditions climatiques, ils ne peuvent pas être considérés comme globalement représentatifs, des régions entières telles que le Moyen-Orient ou le continent africain n’ayant pas été intégrées. De plus, les données utilisées provenaient essentiellement de zones urbaines. Ces limites peuvent être repoussées en étendant la base de données dans le futur. Par ailleurs, il serait nécessaire de collecter plus d’informations relatives aux caractéristiques locales qui pourraient être testées en tant que méta-variables explicatives de l’hétérogénéité, à la recherche des déterminants de la sensibilité et de la résilience aux effets de la température.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Gasparrini A1, Guo Y, Hashizume M, et al. Mortality risk attributable to high and low ambient temperature: a multicountry observational study. Lancet 2015; 386(9991): 369-75.

doi: 10.1016/S0140-6736(14)62114-0

 

1 Department of Medical Statistics, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.