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ANALYSE D'ARTICLE

L’exposition aux polluants du trafic annule-t-elle les bénéfices de l’activité physique en prévention de l’infarctus ?

S’appuyant sur des registres nationaux pour l’identification des cas d’infarctus du myocarde et un modèle de dispersion validé pour l’estimation de l’exposition résidentielle au dioxyde d’azote, cette analyse dans une vaste cohorte danoise bien caractérisée suggère un effet protecteur de l’activité physique pour tout niveau d’exposition à la pollution.

Il n’est plus à prouver que l’activité physique diminue le risque cardiovasculaire, en particulier d’infarctus du myocarde (IDM), et il s’agit d’un élément clé des programmes de réadaptation cardiaque après un tel événement. D’un autre côté, la pollution de l’air ambiant est un facteur de risque établi de morbi-mortalité cardiovasculaire, or l’augmentation du débit ventilatoire associé à l’effort physique accroît l’inhalation des polluants et le dépôt alvéolaire des particules.

Des évaluations d’impact sur la santé de plus en plus nombreuses concluent généralement que les bénéfices des modes de déplacement actifs dépassent largement les risques liés à l’augmentation de l’exposition à la pollution urbaine. Mais qu’en est-il spécifiquement pour l’IDM ? En prévention primaire et secondaire ? Cette étude publiée dans une revue de cardiologie apporte des éléments de réponse.

Données utilisées

Les auteurs ont exploité la base de données de la Danish Diet, Cancer and Health cohort qui a inclus 57 053 habitants des agglomérations de Copenhague et d’Aarhus âgés de 50 à 64 ans sans diagnostic de cancer entre 1993 et 1997. Les participants ont été questionnés à l’entrée sur leur pratique d’un sport (les exemples cités étant la gymnastique, la course, la natation et le badminton), leurs modes de déplacements (trajet domicile-travail, courses, etc.) et leurs occupations de loisir ou utilitaires (jardinage, bricolage, etc.). L’activité était quantifiée en nombre d’heures par semaine au cours de l’année écoulée, les informations étant collectées séparément pour l’hiver et l’été. Les auteurs se sont focalisés sur trois activités d’extérieur exposant à la pollution de l’air ambiant – la marche, le vélo et le jardinage – auxquelles ils ont ajouté la catégorie mixte (extérieur/intérieur) « sport ». L’activité était définie par une pratique d’au moins une demi-heure par semaine (moyenne des valeurs hiver et été).

Le croisement du numéro d’identification personnel unique avec le registre national des patients reçus à l’hôpital (urgence, consultation externe ou admission) a permis d’identifier les antécédents d’IDM (registre ouvert en 1978), ainsi que les cas d’incidents ou de récidive (seule la première étant prise en compte) entre l’entrée dans la cohorte et la fin du suivi (31 décembre 2015 au plus tard, sinon date de l’événement, du décès ou de la sortie définitive du territoire). Une recherche complémentaire dans le registre national des décès a permis d’inclure des cas non notifiés dans le registre hospitalier.

Le dioxyde d’azote (NO2) a été pris comme indicateur de la pollution liée au trafic et sa concentration moyenne annuelle (année d’entrée dans la cohorte) modélisée à l’adresse du participant a été considérée représentative de son exposition, classée faible pour une valeur inférieure au 25e percentile (14,3 μg/m3), élevée pour une valeur supérieure ou égale au 75 e percentile (21 μg/m3) et modérée dans l’intervalle. Si la capacité prédictive du modèle utilisé (modèle de dispersion danois AirGIS) a été validée contre mesures en 204 points de la ville de Copenhague en 1994 et 1995 (r = 0,90), la concentration à l’adresse résidentielle reflète plus ou moins bien l’exposition durant l’activité, selon qu’elle est pratiquée sur place (jardinage) ou entraîne le sujet à distance (pour la marche et le vélo, toutefois, l’âge à l’entrée et la proportion croissante de retraités au fil du suivi s’accordent avec une pratique de proximité). Un autre point faible de l’étude est l’absence de suivi résidentiel (éventuels déménagements qui ont pu modifier à la fois l’exposition à la pollution et l’activité pratiquée). La pertinence du NO2 peut enfin être discutée au regard de celles d’autres polluants qui ont été reliés à des événements cardiovasculaires comme les particules et l’ozone pour lesquels des données n’étaient pas disponibles.

Effets de l’activité

Toutes les informations nécessaires aux analyses étaient réunies pour 51 868 sujets dont 1 233 avec antécédent d’IDM (324 récidives durant un suivi moyen de 14,4 ans) et 50 635 sans antécédent (2 936 cas incidents, suivi moyen 17,8 ans). La pratique d’au moins une des quatre activités considérées était rapportée par la quasi totalité des participants (marche : 93 % [en moyenne 4,3 h/semaine], jardinage : 74 % [3 h/sem], vélo : 68 % [3,2 h/sem], sport : 54 % [2,4 h/sem]). L’incidence de l’IDM est inversement associée à la pratique d’un sport (hazard ratio [HR] = 0,85 [IC95 : 0,79-0,92]), au jardinage (HR = 0,87 [0,80-0,95]) et au vélo (HR = 0,91 [0,84-0,98]), tandis que l’association avec la marche n’est pas statistiquement significative (HR = 0,95 [0,83-1,08]) dans un modèle avec ajustement mutuel et contrôle de l’âge, du sexe, du niveau d’études, du statut marital, du tabagisme actif (quantifié) et passif, de la consommation d’alcool, de l’alimentation (consommation de fruits, légumes, graisses et poisson) et du niveau d’activité physique au travail. L’analyse selon le temps d’activité (entre 0,5 et 4 h par semaine ou plus de 4 h/sem) indique une gradation des bénéfices pour la pratique d’un sport et du vélo (HR respectifs pour plus de 4 h/sem : 0,82 [0,70-0,96] et 0,86 [0,77-0,97]).

L’influence de l’activité sur le risque de récidive d’IDM est moins nette et aucun résultat n’est significatif (le risque tend à diminuer avec la marche, le vélo et le jardinage et à augmenter avec le sport, mais les intervalles de confiance sont larges en raison du faible échantillon).

Impact de l’exposition à la pollution

L’exposition résidentielle au NO2 est associée à l’incidence de l’IDM (HR [≥ 21 versus < 14,3 μg/m3] = 1,17 [1,05-1,30]) et à sa récidive (HR = 1,39 [1,01-1,93]), mais ni l’analyse d’interaction ni l’analyse stratifiée n’indiquent qu’elle modifie de manière significative l’effet de l’activité physique sur le risque de ces événements.

La première analyse montre généralement une augmentation du risque avec l’augmentation de l’exposition chez les non actifs tandis que l’activité tend à le réduire pour tout niveau d’exposition. Considérant par exemple l’effet du jardinage sur l’incidence de l’IDM et la combinaison inactivité + faible exposition comme référence (HR = 1), les estimations produites sont les suivantes (aucun résultat significatif et p [interaction] = 0,67) : 1,16 (inactivité + exposition modérée), 1,24 (inactivité + exposition élevée), 0,97 (activité + faible exposition), 0,90 (activité + exposition modérée) et 0,93 (activité + exposition élevée). Dans l’analyse par groupe d’exposition, l’effet protecteur du jardinage est d’ampleur équivalente (HR = 0,89) pour une exposition modérée et élevée, mais il n’est pas significatif contrairement à celui du sport qui semble d’autant plus bénéfique que le sujet est exposé : HR = 0,92 (0,78-1,08) dans le groupe le moins exposé, puis 0,87 (0,78-0,97) dans la catégorie intermédiaire et 0,79 (0,68-0,92) dans le groupe fortement exposé.

Les résultats des analyses relatives au risque de récidive d’IDM manquent de cohérence et, dans le groupe le plus exposé (309 sujets seulement), alors que la pratique du vélo apparaît protectrice (HR = 0,54 [0,34-0,86]), celle des trois autres activités semble délétère (HR compris entre 1,33 et 1,58 avec de larges intervalles de confiance incluant 1). Les auteurs recommandent d’interpréter ces résultats avec prudence, et plus largement de considérer la possibilité d’une surestimation des bienfaits de l’activité physique dans cette cohorte caractérisée par des niveaux d’études et de revenus supérieurs à ceux de la population générale danoise. De plus, un certain degré de causalité inverse ne peut être exclu, l’état de santé influençant le souhait, la possibilité et le niveau de pratique d’une activité physique.

 

 

Commentaires

Est-il bénéfique ou au contraire dangereux pour la santé de pratiquer un sport ou une activité physique dans une ville polluée ? Cette étude danoise, qui repose sur l’exploitation des données d’une vaste cohorte, apporte des arguments en faveur d’un effet favorable de l’exercice, quel que soit le niveau d’exposition à la pollution.

Les auteurs soulignent eux-mêmes la prudence qui doit être conservée dans l’interprétation de leurs résultats, en raison de limites méthodologiques. Ainsi, l’exposition à la pollution atmosphérique a été estimée en fonction des niveaux de NO2 modélisés à l’adresse postale. On n’a donc pas directement les niveaux d’exposition à l’ozone ou aux particules. Les changements d’adresse ne sont pas signalés. L’exposition réelle pendant les activités physiques est difficile à estimer : l’adresse est un bon proxy de l’exposition pour les activités de jardinage (et encore, il existe des jardins partagés) mais beaucoup moins pour les déplacements à pieds ou à vélo et pour les activités sportives. Il est possible que certains participants renoncent à pratiquer leur sport les jours de pics de pollution. Il est possible que le bénéfice de l’activité physique soit surestimé dans cette cohorte plus éduquée et aisée (donc potentiellement en meilleure santé) que la population générale danoise. Il est possible, et même probable, qu’une meilleure santé permette de pratiquer plus d’activité physique.

Néanmoins, ces résultats sont cohérents avec ceux d’une littérature déjà riche sur le sujet. Quelles que soient les méthodes, et donc avec des limites et des biais différents, les conclusions vont très généralement dans le sens d’un effet bénéfique de l’activité physique sur la santé, même dans des conditions non optimales d’exposition à la pollution.

Beaucoup d’inconnues restent cependant à lever avant de pouvoir, par exemple, conseiller à chacun selon son profil (enfant, adulte, athlète, personne âgée) d’adapter l’intensité de son activité sportive en fonction du niveau de la pollution atmosphérique. Là est pourtant la question qui est régulièrement posée aux experts par le public et les décideurs, notamment lors de chaque épisode de pic de pollution.

Georges Salines

 


Publication analysée :

* Kubesch NJ1, Therming Jørgensen J, Hoffmann B, et al. Effects of leisure-time and transport-related physical activities on the risk of incident and recurrent myocardial infarction and interaction with traffic-related air pollution: a cohort study. J Am Heart Assoc 2018 ; 7 : e009554. doi : 10.1161JAHA.118.009554

1 Environmental Epidemiology Group, Section of Environmental Health, Department of Public Health, University of Copenhagen, Danemark.