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ANALYSE D'ARTICLE

Impact de l’exposition aux pesticides organophosphorés et pyréthrinoïdes sur la fertilité dans la Shanghai Birth Cohort

Cette étude chinoise est la première de type prospective à rapporter un effet de l’exposition maternelle banale à des pesticides largement utilisés dans le pays sur la facilité à concevoir spontanément. Ses résultats nécessitent d’être confirmés dans d’autres populations.

L’exposition aux pesticides fait l’objet d’une attention croissante pour sa contribution possible au déclin de la fertilité. Les quelques investigations épidémiologiques menées jusqu’ici sont toutefois discordantes. Cette étude s’en démarque par son schéma longitudinal (toutes les précédentes étaient de type cas-témoins), ainsi qu’une évaluation plus objective de l’exposition (par la mesure de métabolites urinaires) qu’auparavant (questionnaires). Elle se distingue également par la population incluse, constituée de femmes ni professionnellement exposées aux pesticides, ni vivant dans une zone d’épandage de pesticides agricoles.

Présentation de l’étude

En Chine, les couples désireux de devenir parents peuvent se rendre dans des centres de soins préconceptionnels pour recevoir une éducation à la santé et passer un examen clinique. Ce système a fourni l’opportunité de construire une cohorte de naissances en population générale dans laquelle l’impact d’expositions maternelles antérieures à la conception peut être examiné. Cette cohorte (Shanghai Birth Cohort) rassemble 1 182 femmes recrutées entre 2013 et 2015 par deux centres de la ville de Shanghaï. Les critères d’éligibilité étaient l’âge (≥ 20 ans), l’arrêt récent de la contraception, l’absence de projet de déménagement dans les deux années à venir et l’accouchement prévu dans l’un des hôpitaux de la ville. Les femmes n’étaient pas éligibles si elles étaient membres d’un couple diagnostiqué infertile, avaient déjà essayé sans succès de concevoir spontanément pendant plus de 12 mois, et envisageaient le recours à une assistance médicale à la procréation.

Afin de préserver la biobanque, seuls les échantillons d’urine d’un volume supérieur à 30 ml ont été ponctionnés pour la mesure des métabolites urinaires des deux classes de pesticides actuellement les plus consommés en Chine (usages agricoles et domestiques) : les organophosphorés (OP) et les pyréthrinoïdes (PYR). Les données, disponibles pour 615 participantes, ont été utilisées pour l’analyse de la relation entre le délai nécessaire pour concevoir (DNC) et le niveau de cinq métabolites dont le taux de détection dépassait 90 % : l’acide 3-phénoxybenzoïque (3-PBA) pour les PYR, et quatre OP (diéthyldiophosphate [DEP], diéthylthiophosphate [DETP], diméthylphosphate [DMP] et diméthylthiophosphate [DMTP]). Le DNC était établi à partir des informations recueillies lors des entretiens téléphoniques de suivi, programmés tous les deux mois pendant une durée maximale de 12 mois. Si la participante déclarait être enceinte (ce qui était ensuite médicalement confirmé), le point de repère était la date du premier jour de ses dernières règles. Dans le cas contraire, l’investigateur s’assurait qu’elle avait toujours un projet de grossesse, et si elle déclarait avoir repris une contraception, la période d’observation était arrêtée à la date de cet événement.

L’âge, le tabagisme (1,5 % des participantes seulement) et l’indice de masse corporelle étaient des facteurs prédictifs du DNC. Quatre autres covariables recueillies à l’inclusion ont été contrôlées : l’âge aux premières règles, le niveau d’études atteint, le revenu annuel du foyer, et le niveau de stress perçu mesuré sur une échelle validée (Perceived Stress Scale [PSS-10]) dont deux items ont été pris en compte (la capacité à faire face à tout ce qu’on a à faire, et la capacité à contrôler son irritation dans une situation agaçante).

La population incluse présentait un niveau socio-économique supérieur à celui d’un échantillon de 7 310 habitantes de Shanghaï ayant participé à une enquête sur les utilisatrices de centres de soins préconceptionnels (81 % avaient au moins le baccalauréat versus 60 % dans l’enquête, et 87 % appartenaient à un foyer gagnant plus de 100 000 yuans par an versus 68 %). La proportion de nullipares était élevée (92,5 %) et l’âge moyen était de 29,8 ans. Ces caractéristiques limitent la possibilité de généraliser les résultats obtenus même si la population reste plus représentative que celles des précédents travaux chez des femmes travaillant au contact de pesticides ou résidant en zone rurale agricole. Une autre faiblesse de l’étude est l’ignorance de la variation du niveau d’exposition en période de pré-conception, les métabolites des OP et PYR (composés non persistants dans l’organisme) n’ayant été déterminés qu’une seule fois, à l’inclusion. Par ailleurs, l’exposition paternelle n’était pas connue. Les données recueillies lors de la visite du couple au centre indiquaient qu’aucun conjoint n’était professionnellement exposé aux pesticides, ni porteur d’une affection ou malformation pouvant réduire sa capacité reproductive telle que syphilis, cryptorchidie, hypospadias ou varicocèle.

Relation exposition-fertilité

L’effet de l’exposition sur le DNC a été estimé par l’odds ratio de fécondabilité (FOR) qui reflète la probabilité de grossesse à chaque cycle (une valeur  <  1 correspond à un allongement du DNC et une valeur > 1 à son raccourcissement). Le DNC apparaît associé au niveau de l’un des principaux métabolites des OP, le DETP (détectable dans 100 % des échantillons), ainsi qu’à celui du 3-PBA. En prenant pour groupe de référence le premier quartile des concentrations de DETP (jusqu’à 2,16 μg/g de créatinine), le FOR est égal à 0,68 (IC95 : 0,51-0,92) dans le dernier quartile (DETP  >  6,43 μg/g). L’association avec le 3-PBA n’est pas statistiquement significative dans la population totale (FOR [concentration  >  1,31 μg/g versus ≤ 0,44 μg/g] = 0,77 [0,57-1,03]), mais elle le devient dans la sous-population des nullipares (n  =  569 : FOR = 0,72 [0,53-0,98]).

Après exclusion des 110 participantes ayant repris une contraception au cours du suivi et de neuf perdues de vue, la relation entre l’exposition et l’infertilité (DNC > 12 mois) a été examinée dans une population finale de 496 femmes, dont 131 (26,4 %) n’avaient pas réussi à concevoir dans l’année. Comme pour le DNC, l’analyse identifie une association avec le DETP (odds ratio [OR] d’infertilité dans le dernier quartile = 2,17 [1,19-3,93]) et un effet significatif de l’exposition aux PYR chez les nullipares uniquement (n  =  455 : OR = 2,03 [1,10-3,74] dans le dernier quartile du 3-BPA).

Les auteurs appellent à des études de confirmation, ainsi qu’à l’exploration des mécanismes qui pourraient être responsables des associations observées. Selon les données de quelques études chez l’animal, les OP et PYR pourraient avoir des effets sur les hormones stéroïdiennes, la régularité des cycles et la folliculogenèse.

 


Publication analysée :

* Hu Y1, Zhang Y, Shi R, et al. Organophosphate and pyrethroid pesticide exposures measured before conception and associations with time to pregnancy in Chinese couples enrolled in the Shanghai birth cohort. Environ Health Perspect 2018 ; 126 : 077001. doi : 10.1289/EHP2987

1 Department of Environmental Health, School of Public Health, Shanghai Jiao Tong University School of Medicine, Shanghai, Chine.