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ANALYSE D'ARTICLE

Impact de la chaleur estivale sur le risque de décollement placentaire au Québec

Suggérant que des températures estivales élevées augmentent le risque de décollement du placenta chez les femmes proches du terme, cette vaste étude canadienne élargit le champ des recherches sur la chaleur et les issues défavorables de la grossesse.

Urgence obstétricale pouvant mettre en jeu la vie de l’enfant et de la mère, le décollement du placenta a compliqué sept à 12 grossesses sur 1 000 en Amérique du Nord entre les années 1980 et 2010. Si certains facteurs de risque sont identifiés (hypertension artérielle [HTA], tabagisme, consommation de drogues, etc.), ses causes sont mal connues et sa prévention est difficile.

Deux analyses de séries temporelles en Israël (régions semi-arides du Sud) ont relevé une saisonnalité des cas (plus fréquents au printemps et en automne) et leur sensibilité à certaines conditions climatiques instables (vent et humidité). L’hypothèse d’une participation de facteurs météorologiques n’a pas été examinée sous d’autres latitudes, mais quelques études provenant d’Amérique du Nord et d’Europe (dont une de la présente équipe [1]) suggèrent que des températures extérieures élevées augmentent le risque de deux autres complications de la grossesse : la naissance prématurée et la mort fœtale in utero. Les pistes d’explication retiennent la moindre capacité de thermorégulation de l’organisme maternel du fait des modifications physiologiques, notamment cardiovasculaires, de la grossesse. La cascade mécanistique conduisant aux deux événements pourrait contenir un élément commun favorisé par le stress thermique et également impliqué dans le décollement placentaire, comme l’altération de la perfusion fœto-placentaire.

Ce postulat a motivé la réalisation d’une étude exploratoire incluant tous les cas de décollement placentaire survenus au Québec entre les mois de mai et d’octobre des années 1989 à 2012 (données hospitalières). L’importance de l’échantillon (17 172 cas) a permis de pratiquer des analyses selon le stade : grossesses à terme (au moins 37 semaines d’aménorrhée [SA], n = 11 878) potentiellement les plus vulnérables à la chaleur (hypervolémie, redistribution vasculaire, besoins et activité du fœtus au maximum) et grossesses moins avancées (n = 5 294).

Schéma de l’étude

La donnée d’exposition considérée était la température la plus élevée atteinte dans la région de résidence au cours de la semaine ayant conduit à l’événement (incluant la date du décollement et les six jours précédents). Cette valeur (température maximale hebdomadaire) et les autres données météorologiques nécessaires à l’étude ont été retrouvées auprès de la station météorologique de référence de chacune des 18 régions du Québec (station validée par Environnement Canada pour la représentativité régionale des mesures horaires de température et d’humidité). Les auteurs reconnaissent néanmoins la possibilité d’erreurs de classement, l’exposition étant moins précisément estimée qu’à l’adresse résidentielle. L’étude est également limitée par la méconnaissance de covariables potentiellement confondantes comme la pollution atmosphérique, la température à l’intérieur du logement et l’utilisation de la climatisation.

La relation entre la température maximale hebdomadaire et le décollement placentaire a été examinée selon une approche cas-croisée dans laquelle chaque cas est son propre témoin (l’auto-appariement dispensant d’un ajustement sur les caractéristiques maternelles), bien adaptée à une exposition ponctuelle et un événement aigu. Les jours témoins étaient les mêmes jours de la semaine que le jour cas dans le même mois (sélection time-stratified prévenant les biais dus au jour de la semaine et aux tendances à long terme concernant l’évolution des températures). Le taux d’humidité relative a été contrôlé, ainsi que le calendrier des jours fériés.

Analyses et résultats

La température maximale hebdomadaire n’apparaît pas associée à la survenue du décollement placentaire dans la population totale ni dans le sous-groupe des grossesses de moins de 37 SA. En revanche, une association est identifiée dans celui des grossesses à terme : par rapport à une température de référence de 15 ̊C, l’odds ratio (OR) pour une valeur de 30 ̊C est égal à 1,12 (IC95 : 1,02-1,24). Une analyse temporelle plus fine situe la fenêtre d’impact de la chaleur entre cinq jours avant l’événement et la veille.

Considérant les facteurs de risque d’hématome rétroplacentaire décrits dans la littérature, les auteurs ont réalisé des analyses stratifiées selon l’âge maternel, la parité, la comorbidité (oui/non sur la base des informations du dossier hospitalier [HTA gravidique, consommation de drogue, d’alcool et de tabac, thrombophilie, rupture prématurée des membranes, chorioamniotite et faible poids du nouveau-né]) et le statut socio-économique (inférieur ou supérieur à la médiane dans le quartier d’habitation [indice composite : niveaux de revenu et d’études, taux d’emploi]). L’association entre l’exposition à la chaleur et la survenue du décollement dans le groupe des grossesses à terme est retrouvée chez les femmes de moins de 35 ans (OR [30 versus 15 ̊C] = 1,18 [1,06-1,31]), les nullipares (OR = 1,15 [1,01-1,30]) et les femmes socio-économiquement défavorisées (OR = 1,28 [1,11-1,47]). La présence de comorbidités ne s’avère pas différenciante.

Les facteurs déclenchant un décollement prématuré du placenta sont mal connus. Selon cette première étude (dont les résultats ne sont pas forcément généralisables à des populations vivant sous d’autres climats), l’exposition à une forte chaleur pourrait jouer un rôle. Des investigations sont nécessaires pour le confirmer, ainsi que la notion de profils à risque particulier. En attendant que les connaissances progressent, les auteurs estiment que les alertes à la chaleur devraient contenir des recommandations (hydratation, air conditionné, etc.) en direction des femmes enceintes, surtout proches de la date d’accouchement prévue.

  • [1] Environ Risque Sante 2017 ; 16 : 536-7. doi : 10.1684/ers.2017.1084.

Publication analysée :

* He S1, Kosatsky T, Smargiassi A, Bilodeau-Bertrand M, Auger N. Heat and pregnancy-related emergencies: risk of placental abruption during hot weather. Environ Int 2018 ; 111 : 295-300. doi : 10.1016/j.envint.2017.11.004

1 University of Montreal Hospital Research Centre, Montréal, Québec, Canada.