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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition résidentielle au radon et cancers hématologiques : vaste étude prospective aux États-Unis

L’exposition résidentielle au radon pourrait être un facteur de risque de cancer hématologique chez la femme, et plus particulièrement d’hémopathie lymphoïde, selon cette étude dont les résultats demandent à être répliqués.

The findings of this study suggest that residential radon exposure may be a risk factor for hematologic cancers in women, particularly lymphoid malignancies. Further study is needed to confirm this.

Produit de désintégration de l’uranium-238 naturellement présent dans la croûte terrestre, le gaz radon qui émane de la roche, du sol et des eaux souterraines, peut constituer une source significative d’exposition aux rayonnements ionisants dans certaines régions. Inhalés, le radon et ses descendants, qui émettent des particules alpha, sont des agents cancérogènes avérés pour le poumon.

Des modélisations indiquent qu’après passage de la barrière alvéolo-capillaire, le radon, liposoluble, peut s’accumuler dans la moelle osseuse riche en graisse et délivrer des doses non négligeables de rayons alpha à cet organe hématopoïétique. L’épidémiologie n’a toutefois pas apporté la preuve d’un lien entre l’exposition au radon et les cancers hématologiques. Quelques études chez des mineurs montrent une association entre l’exposition et le risque de leucémie, mais dans leur ensemble, les résultats des travaux dans des populations professionnellement exposées sont peu cohérents. L’association entre l’exposition résidentielle au radon et le risque de cancer hématologique n’a pratiquement pas été examinée.

 

Première étude longitudinale en population générale

La CPS II (Cancer Prevention Study II) Nutrition Cohort est une étude prospective états-unienne démarrée en 1992, à laquelle participent plus de 180 000 habitants de 20 États, qui avaient entre 40 et 93 ans au moment de l’inclusion (âge moyen 63 ans). Il s’agit d’une sous-cohorte de la CPS II Mortality Cohort, constituée en 1982 par le recrutement de près d’1,2 million de participants, à l’initiative de l’American Cancer Society. Dans cette population mère, l’exposition résidentielle au radon a été associée à la mortalité par cancer du poumon, mais pas par cancer hématologique. L’analyse s’est toutefois arrêtée à la mortalité (objet de l’étude) sans distinction entre les différents types d’hématopathies malignes. L’utilisation des données de la CPS II Nutrition Cohort, qui suit l’incidence des cancers, a permis un examen plus précis.

Après exclusion des perdus de vue, des participants ayant des antécédents de cancers à l’inclusion, pour lesquels les données d’exposition manquaient, ou dont la date de diagnostic d’un cancer hématologique était inconnue, la population analysable s’élevait à 140 652 sujets (74 080 femmes et 66 572 hommes). Son suivi, arrêté à la date du 30 juin 2011 (soit une durée de 19 ans) montrait la survenue de 3 019 cas de cancers hématologiques, dont 525 leucémies lymphoïdes chroniques, 454 lymphomes diffus à grandes cellules B et 435 myélomes multiples, pour les types les plus fréquents.

L’exposition au radon a été estimée à l’échelle du comté, sur la base de l’adresse de résidence en 1982 (date d’entrée dans la CPS II Mortality Cohort). Le modèle utilisé tenait compte des données de mesure du niveau de radon dans l’air intérieur de logements répartis dans les 1 322 comtés représentés. Il était également alimenté par des données géologiques (dont la richesse du sol en uranium) et météorologiques. Trois catégories ont été déterminées conformément aux valeurs seuils de l’Agence de protection de l’environnement (US EPA) : exposition faible (concentration moyenne de radon dans l’air intérieur inférieure à 74 Bq/m: 74,5 % de la population), modérée (entre 74 et 148 Bq/m: 21,6 % de la population), et élevée (plus de 148 Bq/m: 3,9 % de la population). La catégorie intermédiaire a été subdivisée en trois sous-catégories (de 74 à 99 Bq/m, de 100 à 124 Bq/m3 et de 125 à 148 Bq/m3) pour mieux examiner la tendance dose-réponse.

Les modèles statistiques utilisés étaient ajustés sur différentes covariables (données recueillies à l’entrée) : âge, État de résidence, origine ethnique, niveau d’études, antécédents familiaux de cancer hématologique, consommation de tabac et d’alcool, indice de masse corporelle, exposition aux pesticides, expositions industrielles et source d’eau domestique.

 

Mise en évidence d’une association chez les femmes

L’analyse dans la population totale montre une relation entre le niveau d’exposition au radon et le risque de cancer hématologique : le hazard ratio (groupe le plus exposé versus le moins exposé) est égal à 1,24 (IC95 : 1,01-1,52) et la tendance dose réponse est significative (p = 0,016 ; hazard ratio [HR] pour une augmentation du niveau d’exposition de 100 Bq/m3 égal à 1,14 ([1-1,29]).

Après stratification selon le sexe, l’association n’est plus observée chez les hommes. Chez les femmes, un excès de risque apparaît à partir de 100 Bq/m: HR = 1,37 (1,07-1,75) pour un niveau d’exposition allant jusqu’à 124 Bq/m3 (154 cas), puis HR = 1,39 (0,96-2,02) pour une exposition comprise entre 125 et 148 Bq/m3 (38 cas) et HR = 1,63 (1,23-2,18) au-delà de 148 Bq/m3 (75 cas). Le hazard ratio pour un incrément de 100 Bq/m3 est égal à 1,38 (1,15-1,65 ; p = 0,001). Une analyse de sensibilité restreinte à la population stable (même code postal en 1997 qu’en 1982 : 73 % des participants) renforce le résultat chez les femmes : l’excès de risque est de 80 % dans la catégorie d’exposition supérieure (HR = 1,80 [1,31-2,47]).

L’analyse par type de cancer ne révèle pas d’association dans la population masculine. Chez les femmes, une relation est observée avec toutes les hémopathies malignes du tissu lymphoïde, le lymphome non hodgkinien folliculaire semblant le plus sensible : HR (> 148 Bq/m3 vs < 74 Bq/m3) égal à 2,74 (1,18-6,37). Le risque de leucémie myéloïde apparaît inversement associé à l’exposition, mais le résultat n’est pas significatif.

 

Éléments d’interprétation

L’influence du sexe sur la relation entre l’exposition résidentielle au radon et le risque de cancer hématologique observée dans cette cohorte pourrait s’expliquer par une meilleure catégorisation des femmes : du fait qu’elles passent plus de temps à la maison que les hommes, l’estimation de leur exposition est moins sujette à erreur. Cette hypothèse est appuyée par une analyse selon l’activité professionnelle, qui tend à montrer un effet de l’exposition au radon dans la population des hommes restant à la maison (HR pour une augmentation de 100 Bq/m3 = 1,26 [0,83-1,9] vs 0,94 [0,78-1,13] en cas de travail à l’extérieur). La contribution de l’exposition résidentielle au radon à l’exposition totale à des agents cancérogènes pourrait être plus importante chez les femmes. Chez les hommes, qui sont plus lourdement exposés professionnellement et ont un taux de base de cancers hématologiques plus élevé, l’effet d’un faible risque additionnel pourrait être moins apparent.

De nouvelles études sont nécessaires pour confirmer l’existence d’une association entre l’exposition résidentielle au radon et le risque de cancer hématologique et résoudre la question – réalité ou artéfact – de la différence liée au sexe.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Teras LR, Diver WR, Turner MC, et al. Residential radon exposure and risk of incident hematologic malignancies in the Cancer Prevention Study-II Nutrition Cohort. Environ Res 2016; 148: 46-54.

Epidemiology Research Program, American Cancer Society, Atlanta, États-Unis.

doi: 10.1016/j.envres.2016.03.002