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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition au champ magnétique d’extrêmement basse fréquence et leucémie de l’enfant : étude cas-témoins italienne

Cette nouvelle étude d’ampleur nationale fondée sur des mesures du champ magnétique dans la chambre des enfants ne montre aucune association avec la leucémie quand l’exposition est traitée comme une variable continue. Les analyses catégorielles aboutissent à des relations dose-effet incohérentes.

This new Italian nationwide study based on measurements of the magnetic field in children’s bedrooms shows no association with leukemia in analyses based on continuous exposure, while analyses based on categorical variables are characterized by incoherent exposure-outcome relationships.

Conduit dans le cadre du projet SETIL (étude épidémiologique multicentrique à la recherche de facteurs de risque de leucémie, lymphome non hodgkinien et neuroblastome de l’enfant), ce travail a impliqué 15 équipes de recherche dans 14 provinces italiennes couvrant 78 % de la population cible des enfants de 0 à 10 ans. La base de données nationale des cancers pédiatriques a été utilisée pour identifier 745 cas de leucémie diagnostiqués entre 1998 et 2001. Deux témoins par cas (appariement sur le sexe, la date de naissance et la province) ont été recherchés dans la population générale. L’étude a été proposée par les hémato-oncologues aux parents des enfants malades, généralement après la phase d’induction du protocole de chimiothérapie. Les médecins de famille ont été avertis de l’intention d’inclure les enfants (cas et témoins) et ont eu la possibilité d’y faire objection. Les familles ont été contactées pour finaliser leur participation et convenir d’un rendez-vous téléphonique avec les deux parents.

 

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Commentaires

L’évaluation de l’exposition est toujours difficile à faire dans les études épidémiologiques : quel paramètre mesurer ; quand, comment et où le mesurer ; opter pour une estimation, un modèle, etc. ? En ce qui concerne les champs magnétiques on ne sait toujours pas quel paramètre pourrait être associé à l’augmentation du risque de leucémie chez l’enfant. Cet article illustre bien l’importance du choix du critère d’exposition. Les auteurs ont eu le mérite de publier tous les résultats associés au choix de la moyenne arithmétique, de la moyenne géométrique ou des différents percentiles. Ils devraient inspirer les autres équipes de recherche.

Pierre-André Cabanes

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Collecte des données

Le questionnaire administré aux parents incluait leur niveau d’études, leur parcours professionnel, l’histoire reproductive de la mère, la durée de la grossesse, le poids de naissance, les éventuelles anomalies congénitales et maladies génétiques (dont trisomie 21), le mode d’alimentation du nourrisson, l’histoire médicale de l’enfant depuis la naissance (dont exposition aux rayons X, maladies et vaccinations), le parcours résidentiel depuis la grossesse (avec, pour chaque adresse, des questions sur le type d’environnement urbain ou rural, l’importance du trafic routier et la proximité de lignes de transport d’électricité à haute tension et de stations de radiodiffusion), l’exposition domestique aux produits chimiques (en particulier solvants, pesticides et fumée de tabac), l’exposition maternelle pendant la grossesse et celle de l’enfant aux équipements électriques, et l’histoire scolaire de l’enfant (incluant l’âge d’entrée dans un établissement et la taille des classes).

Les parents ont été invités à participer à une campagne de mesure du champ magnétique d’extrêmement basse fréquence (CM-EBF) à l’intérieur du logement selon une méthodologie pré-testée dans une étude pilote. Les appareils de mesure portables (calibrés à 50 Hz et effectuant un échantillonnage toutes les 30 secondes) étaient protégés par des boîtes en plastique scellées, placés dans la chambre de l’enfant, sous ou à proximité du lit, et ne devaient pas être changés de place.

Les familles des cas ont répondu au questionnaire en moyenne 15 mois après la date du diagnostic et les familles témoins en moyenne 18 mois après la date de référence correspondante. Le délai moyen entre l’interview et la mesure du CM-EBF était respectivement de 1,5 et 1,7 mois. Les taux de participation ont été plus importants parmi les cas que parmi les témoins pour l’interview (92 % versus 71 %) comme pour la mesure du CM-EBF (82 % vs 61 %). Celle-ci a pu être réalisée chez 609 cas et 904 témoins : la valeur moyenne du champ magnétique était de 0,04 microteslas (μT) et moins de 2 % des sujets étaient exposés à un champ dépassant 0,3 μT, en accord avec les estimations disponibles pour les enfants européens.

 

Analyses et résultats

La relation entre l’exposition au CM-EBF et le risque de leucémie a été examinée par une analyse de régression logistique dans une population de 412 cas et 578 témoins (soit respectivement 55 et 39 % de la population éligible) satisfaisant aux critères suivants : différence entre la date de naissance du cas et de son (ses) témoin(s) ne dépassant pas 15 jours, logement actuel correspondant au logement occupé 1 an avant la date du diagnostic (date de référence pour les témoins), mesure du CM-EBF pendant au moins 24 h.

De nombreuses covariables ont été considérées en tant que facteurs de confusion potentiels : caractéristiques individuelles (dont poids de naissance, allaitement, rang dans la fratrie), parentales (dont âge de la mère et du père à la naissance, niveau d’études, tabagisme), du domicile (maison ou appartement, surface, densité du trafic automobile de proximité), saison de la mesure, délai entre le diagnostic et l’interview, etc. Seul le niveau d’études atteint par la mère et le père est apparu capable d’influencer l’association entre l’exposition et la leucémie et a finalement été pris en compte.

Le risque de leucémie n’est pas associé à l’exposition quand celle-ci est traitée comme une variable continue : odds ratio (OR) pour une augmentation d’1 μT du niveau moyen du CM-EBF (c’est alors la moyenne arithmétique qui est utilisée) égal à 0,89 (IC95 : 0,19-4,2). L’analyse restreinte à la leucémie aiguë lymphoblastique (356 cas et 499 témoins) donne un OR égal à 1,13 (IC95 : 0,21-5,96). Lorsque des catégories d’exposition sont défi nies, le risque de leucémie apparaît augmenté pour une faible exposition (0,1 à 0,2 μT) par rapport à la catégorie de référence (moins de 0,1 μT) puis diminué pour une exposition supérieure à 0,2 μT, que la valeur considérée soit la moyenne arithmétique (OR successifs : 1,87 [1,04-3,34] et 0,79 [0,35-1,79]) ou la moyenne géométrique (OR = 1,72 [0,95-3,13] pour une exposition comprise entre 0,1 et 0,2 μT et OR = 0,42 [0,13-1,37] pour une exposition dépassant 0,2 μT). Les intervalles de confiance dans la catégorie d’exposition élevée n’incluent pas l’estimation centrale dans la catégorie d’exposition faible.

Une catégorisation fondée sur la valeur du CM-EBF au 95e percentile à la place de la valeur moyenne renverse la tendance : l’OR de leucémie est plus important dans la catégorie supérieure (OR = 1,22 [0,73-2,02]) que dans la catégorie inférieure (OR = 0,80 [0,52-1,22]). Le passage d’une catégorisation en trois niveaux à une catégorisation en quatre niveaux (moins de 0,1 μT, 0,1 à 0,2 μT, 0,2 à 0,3 μT, plus de 0,3 μT) modifie encore le profil pour le rapprocher de celui obtenu quand la métrique d’exposition utilisée est la moyenne : OR successifs égaux à 0,81 (0,53-1,25), 2,24 (1,03-4,88) et 0,75 (0,38-1,50).

Différentes analyses de sensibilité ont été réalisées, dont une incluant une population de 1 370 sujets (540 cas et 830 témoins) satisfaisant aux critères d’une mesure du CM-EBF pendant au moins 24 h dans le logement occupé 1 an avant la date du diagnostic (la durée moyenne de mesure du CM-EBF était de 62 h), mais pas au critère strict d’une différence maximum de 15 jours entre les dates de naissance des cas et de leurs témoins. Les résultats sont identiques à ceux de l’analyse principale mais les odds ratio diminuent avec l’élargissement de la population.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Salvan A1, Ranucci A, Lagorio S, Magnani C on behalf of the SETIL Research Group. Childhood leukemia and 50 Hz magnetic fields: findings from the Italian SETIL case-control study. Int J Environ Res Public Health 2015; 12: 2184-204.

doi: 10.3390/ijerph120202184

 

1Institute for Systeme Analysis and Computer Science « Antonio Ruberti », IASI-CNR, Rome, Italie.