JLE

ANALYSE D'ARTICLE

Évaluation de l’exposition aux aérosols dans trois types d’installations de méthanisation

Encore mal caractérisé, l’aérosol auquel les employés d’installations de méthanisation sont exposés a été examiné dans cinq entreprises du Piémont italien, dont trois recevant une biomasse d’origine agricole et deux alimentées soit par des biodéchets municipaux, soit par des boues de stations d’épuration. Sans pouvoir être considérés comme représentatifs, plusieurs résultats de cette étude méritent une attention particulière dans une perspective de gestion des risques.

Fondée sur la dégradation de matière organique par des micro-organismes en conditions contrôlées et en l’absence d’oxygène, la méthanisation génère du biogaz (mélange de méthane, de dioxyde de carbone en moindre proportion et d’éléments traces) qui peut être directement utilisé pour la production de chaleur et/ou d’électricité (cogénération), sinon épuré (biométhane) pour être injecté dans le réseau de gaz naturel ou servir de carburant pour des véhicules. Cette filière connaît un fort développement en Europe, notamment en Italie d’où provient ce travail, où la production de biogaz a quintuplé entre 2007 et 2015.

Si les risques physiques et chimiques pour les travailleurs de ce secteur ne sont pas de nature nouvelle, leur importance peut varier selon la quantité et le type de matière organique entrant dans le digesteur (l’enceinte où se déroule le processus de digestion anaérobie). En particulier, le pré-traitement de la biomasse est susceptible de générer un aérosol plus ou moins important et préoccupant pour la santé en fonction de sa composition (particules fines, agents infectieux, endotoxines bactériennes, particules irritantes ou allergisantes d’origine végétale ou animale, etc.). Cet aérosol a été étudié dans des installations de la région du Piémont traitant trois types de biomasse : des déchets agricoles (effluents d’élevage et résidus de récoltes), des boues de stations d’épuration des eaux usées, et des biodéchets municipaux (fraction organique solide d’ordures ménagères, déchets de la restauration collective). Ce dernier type d’installation se distingue par le stockage des matières à l’intérieur d’entrepôts et leur pré-traitement mécanique avant qu’elles soient acheminées vers le digesteur. En moyenne, 13 personnes y sont employées (entre 7 et 20) comme dans les usines de méthanisation de boues dont le pré-traitement se limite généralement à un épaississement. Le nombre d’employés est moindre dans les installations agricoles : entre une et sept personnes, en moyenne quatre, effectuant diverses tâches essentiellement à l’extérieur où les substrats liquides et solides sont respectivement déversés et stockés dans une pré-fosse et une trémie.

Plan d’échantillonnage et mesures

Les échantillonnages environnementaux ont eu lieu pendant neuf jours au cours de l’été 2016 dans trois entreprises de méthanisation agricole, et pendant six jours dans une usine de méthanisation de biodéchets municipaux (en août 2016) et une installation de méthanisation de boues résiduaires (en février 2017). Les échantillonneurs ont été positionnés en amont et en aval du digesteur, pour collecter respectivement la matière particulaire en suspension à l’étape de stockage et chargement du substrat et à celle de la sortie du digestat (la matière restant après méthanisation, valorisée comme fertilisant agricole). Un point d’échantillonnage supplémentaire, à l’étape de pré-traitement, a été installé dans l’unité de méthanisation de biodéchets. L’air a été filtré pendant quatre heures le matin et autant l’après-midi. Six sous-fractions granulométriques des PM10 ont été mesurées : 10 à 7,2 μm, 7,2 à 3 μm, 3 à 1,5 μm, 1,5 à 0,95 μm, 0,95 à 0,49 μm et < 0,49 μm. Les filtres ont été traités pour extraction des endotoxines et mesure de leur concentration dans les différentes sous-fractions. Huit techniciens de maintenance et 10 autres employés (notamment au nettoyage) des unités de méthanisation de boues et de biodéchets ont été équipés d’échantillonneurs personnels pendant deux à trois journées de travail de six heures pour la mesure des PM4,5 dans la zone respiratoire et de leur contenu en endotoxines.

L’échantillonnage du bioaérosol a été réalisé par impaction d’air sur milieu de culture gélosé aux mêmes sites et heures de collecte que pour l’échantillonnage environnemental des PM. Respectivement 168, 202 et 750 boîtes de culture provenant des installations de méthanisation de boues, de biodéchets municipaux et de déchets agricoles ont été recueillies. Douze paramètres microbiologiques ont été considérés, dont les bactéries totales (après 48 h d’incubation à 22̊ C et à 37̊ C), Gram négatif totales (BGN) et le niveau de contamination par sept espèces bactériennes particulières. La mesure de la contamination fongique s’est limitée au dénombrement des champignons totaux (après cinq à sept jours de culture à 25̊ C) en l’absence de mycologue dans l’équipe. Les auteurs notent par ailleurs les faiblesses des méthodes actuelles pour caractériser la fraction virale des bioaérosols, qui ont néanmoins été appliquées à un matériel constitué de 20 filtres d’échantillonneurs environnementaux et de 26 boîtes de biocollecte spécifiques.

Résultats saillants

Le niveau des PM10 est nettement moins élevé dans les installations agricoles (valeur moyenne 69,05 μg/m3) et l’usine de méthanisation de boues (57,77 μg/m3) que dans celle de méthanisation de biodéchets (204,88 μg/m3) où la concentration des PM3 (somme des quatre sous-fractions les plus fines) est d’environ 128 μg/m3, significativement plus élevée dans la zone de stockage et chargement (incluant la salle de pré-traitement) que dans celle de la sortie du digestat. Les niveaux de PM sont relativement homogènes dans les deux autres types d’installations où les ambiances de travail (en atmosphère extérieure ou seulement partiellement confinée) ne sont pas clairement délimitées. Même si les valeurs restent inférieures aux limites d’exposition professionnelle à la poussière (aérosols non classés par ailleurs [PNOC] : 10 mg/m3 pour la fraction inhalable et 3 mg/m3 pour la fraction alvéolaire), elles dépassent largement les valeurs guide de qualité de l’air (PM10 et PM2,5) pour la population générale.

Généralement faible, la contamination par les endotoxines dépasse la limite de 90 unités d’endotoxine (UE) par m3 d’air établie au Danemark dans la zone de pré-traitement intérieur des déchets municipaux. Les mesures réalisées dans l’usine de méthanisation de boues indiquent à l’inverse une plus forte contamination d’aval. Les résultats des échantillonnages individuels montrent ainsi une concentration moyenne de 12,5 UE/m3 à la sortie du digestat versus 1,49 UE/m3 dans la zone de stockage et chargement.

Un niveau de contamination microbienne pouvant dépasser 5 000 unités formant colonie (UFC) par m3 d’air est rapporté dans les zones où les matières organiques sont manipulées et traitées, les unités de méthanisation de déchets agricoles se distinguant des deux autres types d’installations par des niveaux significativement plus élevés de contamination fongique, tandis que la contamination bactérienne préside dans l’installation de méthanisation des biodéchets où plusieurs pathogènes sont identifiés (staphylocoques, bacilles Gram positif, entérocoques et Clostridia pour les plus prévalents, les BGN des genres Salmonella et Shigella étant en revanche rarement retrouvés).

Pour les auteurs, ces résultats incitent à conduire une véritable évaluation des risques liés aux aérosols dans ce secteur pourvoyeur d’un nombre croissant « d’emplois verts ». En supposant que les entreprises ayant positivement répondu à leur invitation soient particulièrement attentives à la gestion des risques professionnels (biais de sélection), les niveaux d’exposition rapportés pourraient être sous-évalués.

Les mesures de protection à envisager en priorité sont celles qui permettraient de réduire l’exposition dans les environnements intérieurs, comme l’équipement en extracteurs d’air des locaux de stockage et pré-traitement des biodéchets, l’installation de systèmes de filtration pour les cabines des véhicules transportant la biomasse agricole et l’accès limité et protégé aux zones potentiellement les plus contaminées.


Publication analysée :

* Traversi D1, Gorrasi I, Pignata C, et al. Aerosol exposure and risk assessment for green jobs involved in biomethanization. Environ Int 2018 ; 114 : 202-11. doi : 10.1016/j.envint.2018.02.046

1 Department of Public Health and Pediatrics, University of Torino, Italie.