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ANALYSE D'ARTICLE

Estimation de l’incidence des cancers cutanés en fonction du rayonnement Ultraviolet

Après avoir montré que l’incidence des cancers cutanés en fonction du rayonnement solaire ambiant suivait une courbe en « S », les auteurs de ce travail ont estimé les valeurs basses et hautes des taux d’incidence. L’étude ne permet pas d’identifier un seuil d’exposition sans danger. En revanche, elle indique les bénéfices qui peuvent être attendus d’une éviction des rayonnements ultraviolets dans des populations à peau blanche.

After showing that the incidence of skin cancer according to ambient solar radiation follows an S-shaped curve, the authors of this study estimated the minimal and maximal incidence rates. The study does not identify a ‘safe‘ exposure threshold. It does however indicate the expected benefits of avoiding ultraviolet rays in fairskinned

Si le rayonnement ultraviolet (UV) est un facteur de risque établi de cancers cutanés, l’allure de la relation dose-réponse reste à préciser, comme la valeur d’un éventuel seuil en-dessous duquel l’exposition serait sans danger. Une courbe de type sigmoïde (en « S ») est souvent observée dans les études de carcinogénicité chez l’animal, en accord avec les connaissances relatives à la cancérogenèse, qu’il s’agisse de la théorie dominante des mutations génétiques (les mécanismes de réparation de l’ADN sont opérants jusqu’à une certaine dose avant saturation ou plusieurs mutations successives sont nécessaires pour induire un cancer) ou d’autres hypothèses (aneuploïdie acquise au fil des divisions cellulaires, dérégulation épigénétique) qui supposent l’accumulation d’événements temps et dose-dépendants.

La relation entre l’exposition aux UV et l’incidence des cancers cutanés suit-elle une courbe en « S » ? Et si c’est le cas, peut-on en déduire une dose d’UV « sûre » et estimer le risque aux niveaux d’exposition les plus élevés ? Ce travail qui ne s’applique qu’aux sujets caucasiens (chez lesquels l’incidence du mélanome est environ 20 fois plus élevée que chez les sujets à peau noire) répond à ces questions.

 

Méthode suivie

Différents registres du cancer, bases de données et publications concernant des pays européens (Allemagne, Écosse, Irlande, Finlande, Danemark, Suède et Norvège) ainsi que l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada ont été utilisés pour en extraire les données épidémiologiques permettant de calculer des taux d’incidence standardisés sur l’âge dans chaque sexe pour la période 1997-2007, et pour les trois principaux types de cancers cutanés (mélanome malin, carcinome basocellulaire et carcinome épidermoïde ou spinocellulaire).

Un modèle de transfert radiatif tenant compte de la couverture nuageuse et de la couche d’ozone (mesures satellites sur la période 1979-1992), ainsi que de la distance Terre-soleil, a été employé pour connaître le rayonnement solaire au niveau du sol, et le spectre d’action érythémale de référence de la CIE (Commission internationale de l’éclairage) a été utilisé pour déterminer la dose d’UV érythémale effective annuelle (dose CIE en Joule/m2). Les taux d’incidence (pour chaque type de cancer et dans les deux sexes) ont été représentés en fonction de la dose d’UV érythémale et ces représentations ont été comparées à des courbes dose-réponse générées par une fonction sigmoïde à trois paramètres (valeur maximum du taux d’incidence, taux de croissance calculé en rapportant la différence des taux d’incidence à la différence des doses d’UV érythémale et point d’inflexion).

 

Résultats

Pour les trois cancers cutanés, l’équation sigmoïde décrit correctement la relation entre l’incidence et la dose d’UV. L’extrapolation à une dose nulle donne des taux d’incidence « de base » de 0,6 (carcinome épidermoïde), 9,7 (carcinome basocellulaire) et 4 (mélanome) pour 100 000 chez les femmes, et, respectivement, de 1,2, 14,3 et 2,6 pour 100 000 chez les hommes. Ces valeurs sont compatibles avec les données épidémiologiques historiques. Ainsi, pour le mélanome, les données scandinaves datant de la période 1943 à 1960 (début de l’enregistrement des cas) indiquent un taux d’incidence minimal de 1,9 pour 100 000 chez les

femmes et 1,7 chez les hommes. Les estimations actuelles de 4 et 2,6 s’accordent avec le constat d’une tendance temporelle à la hausse, pour ce type de cancer comme pour d’autres (l’incidence des cancers du sein, du côlon, de la prostate et du lymphome non hodgkinien a ainsi été multipliée par 2 à 4 depuis les années 1950 en Scandinavie). Que l’incidence du mélanome ne soit pas nulle pour une exposition nulle signifie que d’autres facteurs que les UV contribuent à la survenue de ce cancer, d’ailleurs observé sur des zones non exposées (mélanome vulvaire ou anorectal par exemple). Plusieurs de ces facteurs ont été proposés dans la littérature (facteurs traumatiques, alimentaires, hormonaux, exposition professionnelle à des cancérogènes, virus), toutefois leurs influences ainsi que le rôle de facteurs génétiques ne sont pas établis. À l’opposé, la courbe prédit des taux d’incidence maximaux de 361 ± 24 (carcinome épidermoïde), 1 544 ± 49 (carcinome basocellulaire) et 36 ± 4 (mélanome) pour 100 000 chez les femmes et, respectivement, de 592 ± 35, 2 204 ± 109 et 50 ± 4 pour 100 000 chez les hommes. En postulant qu’aux niveaux d’exposition élevés, les rayonnements UV représentent le principal facteur de risque de cancers cutanés, le rapport des taux d’incidence indique qu’environ 89 % des cas de mélanome chez les femmes et 95 % des cas chez les hommes sont dûs aux UV. Ils seraient également responsables d’environ 99,8 % des cas de carcinome épidermoïde et 99,4 % des cas de carcinome basocellulaire.

Toutefois, si les valeurs minimales peuvent être indicatives de l’incidence des cancers cutanés chez des sujets (ou sur des zones de peau) qui ne sont pas exposés aux UV de manière significative, il est moins certain que les valeurs maximales reflètent le risque de cancer dans des populations (ou sur des zones) intensément exposées, en particulier pour le mélanome. Les données épidémiologiques montrent en effet qu’à partir d’un certain seuil, l’incidence du mélanome n’augmente pas parallèlement aux doses d’UV reçues. Le risque de mélanome est ainsi plus faible chez les personnes travaillant en plein air que chez celles qui travaillent à l’intérieur. Des expositions intermittentes et intenses et les coups de soleil sont plus néfastes qu’une exposition régulière qui entraîne une réaction protectrice (synthèse de mélanine et épaississement de la peau). Ces éléments et d’autres (phototype, nombre de naevi, séjours dans des pays très ensoleillés, utilisation de cabines à UV, etc.) qui rendent la relation entre l’exposition aux UV et le risque de mélanome complexe n’ont pas été pris en compte dans cette analyse. Elle suffit néanmoins à indiquer l’ampleur du potentiel de réduction des cancers cutanés lié à une éviction de l’exposition dans des populations à peau blanche.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Juzeniene A1, Grigalavicius M, Baturaite Z, Moan J. Minimal and maximal incidence rates of skin cancer in Caucasians estimated by use of sigmoidal UV dose incidence curves. Int J Hyg Environ Health 2014; 217: 839-44.

doi: 10.1016/j.Ijheh.2014.06.002

 

1Department of Radiation Biology, Institute for Cancer Research, The Norwegian Radium Hospital, Oslo, Norvège.