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ANALYSE D'ARTICLE

Déterminants des concentrations plasmatiques de POP chez des femmes enceintes et des enfants de 3 ans

L’âge, la parité et l’indice de masse corporelle de pré-grossesse sont les principales variables expliquant les concentrations plasmatiques de polluants organiques persistants dans cet échantillon de femmes enceintes norvégiennes présentant un niveau de contamination comparable à celui d’autres populations européennes. Chez les enfants de 3 ans, les concentrations plasmatiques dépendent surtout de la durée de l’allaitement maternel.

Age, parity and prepregnancy body mass index are the main variables explaining plasma concentrations of persistent organic pollutants in this sample of pregnant women in Norway with contamination levels comparable to that of other European populations. In 3-year-old children, plasma concentrations depend mainly on how long they were breastfed.

L’exposition aux polluants organiques persistants (POP) pendant les périodes de vie embryonnaire, fœtale et post-natale, a été associée à un certain nombre de déficits ou d’altérations des développements neurologique, cognitif, reproductif et immunitaire, ainsi que de la croissance staturo-pondérale. Les polychlorobiphényles (PCB), les pesticides organochlorés (POC) et les polybromodiphényléthers (PBDE) sont trois importantes classes de POP auxquels les enfants peuvent être exposés en périodes prénatale (par transfert placentaire) et post-natale, via l’alimentation (lait maternel et aliments de sevrage) et l’ingestion/inhalation de poussière (surtout pour les PBDE).

Chez les femmes enceintes, les variations inter-individuelles des concentrations plasmatiques de POP, qui déterminent l’exposition prénatale, sont souvent reliées à des facteurs démographiques (comme l’âge), anthropométriques (comme l’indice de masse corporelle [IMC]), et relatifs au mode de vie, principalement à l’alimentation, les POP s’accumulant dans les organismes animaux tout au long de la chaîne alimentaire. L’âge représente un indicateur de leur bioaccumulation dans le corps humain, particulièrement dans la masse grasse pour la majorité des POP qui sont lipophiles, et reflète également l’effet cohorte, les mesures d’interdiction ou de restriction de l’usage des POP se traduisant par une diminution progressive dans le temps de l’exposition des populations. La charge de l’organisme du nourrisson, liée aux taux circulants de la mère à la naissance, augmente ensuite essentiellement en fonction de la durée de l’allaitement, selon les rares données disponibles. Chez un enfant exclusivement nourri au sein pendant ses deux premières années, la concentration plasmatique de POP (valeur médiane) serait ainsi cinq fois plus élevée que la concentration chez la mère à l’accouchement, selon une simulation avec un modèle pharmacocinétique physiologique (PBPK).

 

Exploration dans la population norvégienne

Les déterminants des concentrations plasmatiques de POP ont été recherchés dans deux sous-échantillons de populations indépendants de la Norwegian Mother and Child Cohort Study (MoBa). Le premier se composait de 96 femmes enceintes entrées dans la cohorte entre 2003 et 2008, dont 90 participantes sélectionnées par randomisation dans la population totale éligible (n = 13 866 femmes de toutes les régions de Norvège) et six femmes dont l’exposition alimentaire au PCB-153 dépassait le 95e percentile (les auteurs ont réalisé une analyse de sensibilité excluant ces participantes, qui a abouti à des résultats similaires à ceux de l’analyse principale). Un échantillon de sang prélevé à la 18e semaine de grossesse a été utilisé pour mesurer les concentrations plasmatiques de POP (15 congénères PCB, sept retardateurs de flamme dont six PBDE et le polybromobyphényle [PBB] 153, et quatre POC : l’hexachlorobenzène [HCB], l’oxychlordane, le dichlorodiphényltrichloroéthane [DDT] et son métabolite DDE). La deuxième population examinée incluait 99 enfants issus d’une grossesse monofœtale et nés à terme de participantes à un volet « immunologique » de la MoBa (recrutées en 2007 et 2008 dans les comtés d’Oslo et Akershus). Les échantillons de sang avaient été recueillis entre les âges de 31 et 38 mois (en moyenne à 35 mois).

 

Concentrations plasmatiques

Neuf congénères PCB ainsi que l’HCB sont détectables dans tous les échantillons (provenant d’enfants comme de femmes enceintes) : le composé le plus abondant est le PCB-153 qui compte pour 33 % de la somme de tous les PCB mesurés chez les femmes et 35 % chez les enfants. Les PBDE 23, 47 et 153, ainsi que le DDE, sont détectés dans plus de 96 % des échantillons analysés.

Les concentrations médianes de POP sont plus élevées chez les enfants que chez les femmes enceintes, à l’exception d’un PCB et de deux PBDE, et le rapport des concentrations (enfant/femme enceinte) est en moyenne égal à 1,4. Les deux populations étaient toutefois distinctes (ne s’agissant pas de paires mère-enfant) et les mères des enfants analysés se différenciaient de la population de femmes enceintes par certaines caractéristiques, notamment un âge moyen supérieur à l’accouchement (32,7 versus 30,4 ans) et une consommation de poisson un peu plus élevée (35 versus 33 g/j). Les auteurs ont estimé que ces différences n’avaient pu avoir qu’un faible impact sur le rapport des concentrations. Sa valeur est très inférieure au résultat de la simulation avec un modèle PBPK, mais les deux estimations ne sont pas directement comparables. En particulier, dans la modélisation, basée sur un scénario d’allaitement maternel exclusif, l’âge des enfants était arrêté à 2 ans, alors que les concentrations plasmatiques ont été mesurées ici autour de l’âge de 3 ans, le gain de poids entre les âges de 2 et 3 ans ayant pu « diluer » l’exposition interne.

 

Variables prédictrices

Chez la femme enceinte, les principaux déterminants des concentrations plasmatiques de POP sont l’âge, la parité et l’IMC de pré-grossesse. Une augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) de l’âge (correspondant à six années) est associée à une augmentation significative de la concentration de tous les PCB (en particulier +25 % [IC95 : 16-33] pour le PCB-153), ainsi que du PBDE-28 et du DDE. L’ampleur de l’effet sur les PCB varie logiquement en fonction de leur degré de chloration, qui détermine en partie leur demi-vie (l’influence de l’âge est ainsi maximale pour le PCB-194 qui possède huit atomes de chlore et minimale pour le PCB-99 qui n’en contient que cinq). La parité (trois catégories : zéro, un ou au moins deux enfants) est inversement associée aux concentrations de la plupart des PCB et des POC, et ces associations sont statistiquement significatives pour huit PCB sur 13 (-14 % [IC95 : -25 à -3] pour le PCB-153 d’une catégorie à l’autre). L’effet de la parité pourrait être en partie imputable à l’allaitement, qui est très pratiqué en Norvège : dans l’échantillon de population examiné, 80 % des femmes qui étaient déjà mères rapportaient une durée d’allaitement cumulée d’au moins sept mois, et cette variable était inversement corrélée aux concentrations plasmatiques de PCB, mais moins fortement que la parité. Enfin, l’IMC de pré-grossesse (qui reflète grossièrement l’adiposité et donc la capacité de « stockage » des contaminants lipophiles) est inversement associé aux taux circulants de sept PCB (par exemple : -12 % [-19 à -3] par augmentation d’un IIQ pour le PCB-153). En revanche, l’influence de la prise de poids pendant les 17 premières semaines de grossesse n’apparaît pas significative (tendance à une diminution des taux circulants observée pour quatre congénères).

Chez l’enfant, la durée de l’allaitement maternel est le principal déterminant des concentrations plasmatiques de POP : elle est significativement associée au niveau de neuf PCB sur 10 dont le PCB-153 (+ 23 % [13 à 34] par augmentation de cinq mois), ainsi qu’aux concentrations de PBDE-28 et de DDE. L’âge maternel tend à augmenter les concentrations de tous les PCB et PBDE mais son effet n’est pas significatif (par exemple : + 9 % [-6 à +25] par augmentation d’un IIQ pour le PCB-153). La parité n’apparaît pas associée aux niveaux des POP. En revanche, l’importance des apports alimentaires maternels en PCB (estimés sur la base d’un questionnaire de fréquence de consommation et d’une base de données sur les contaminants dans 37 aliments présents sur le marché norvégien) est associée aux concentrations de sept congénères, alors que cette variable n’est pas identifiée comme un déterminant des concentrations plasmatiques maternelles. Son influence propre sur les niveaux de PCB à l’âge de 3 ans est difficile à évaluer, les habitudes de consommation de la mère orientant l’alimentation de l’enfant. De plus, la consommation maternelle de poisson était corrélée dans cette étude à la durée de l’allaitement maternel exclusif et à l’administration d’huile de foie de morue à l’âge de 6 mois.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Caspersen IH, Kvalem HE, Haugen M, et al. Determinants of plasma PCB, brominated flame retardants, and organochlorine pesticides in pregnant women and 3 year old children in the Norwegian Mother and Child Cohort Study. Environ Res 2016; 146: 136-44.

Norwegian Institute of Public Health, Oslo, Norvège.

doi: 10.1016/j.envres.2015.12.020