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ANALYSE D'ARTICLE

Coût socio-économique de la pollution de l’air intérieur en France : évaluation pour six polluants

La pollution de l’air intérieur a coûté près de 20 milliards d’euros à la société française en 2004, selon cette première estimation retenant six polluants. Les PM2,5 y ont contribué aux trois quarts, le poids du radon apparaissant également significatif. L’article présente de manière détaillée les données utilisées et les différentes étapes du calcul pour chaque polluant. Les auteurs exposent les limites de leur travail et comparent leurs résultats à ceux d’évaluations existantes pour d’autres pays européens. Bien que les approches soient différentes, les ordres de grandeur sont comparables.

En contribuant à identifier, parmi les polluants, environnements intérieurs, sources de pollution et situations d’exposition, les problématiques à traiter prioritairement, une évaluation du coût socio-économique de la pollution de l’air intérieur peut aider au développement de politiques publiques adéquates. Plusieurs approches sont possibles pour cet exercice difficile, qui nécessite de disposer de données de départ appropriées.

Six polluants ont été considérés pour cette première évaluation partielle concernant la France : le benzène, le trichloréthylène, le radon, le monoxyde de carbone (CO), les particules (fraction PM2,5) et la fumée de tabac environnementale (FTE). Cette sélection a découlé de la connaissance de leurs impacts sanitaires à l’échelle nationale (radon, CO et FTE), sinon de l’existence de données d’exposition et toxicologiques permettant de calculer ces impacts.

 

L’évaluation s’appuie ainsi, pour les PM2,5, le benzène et le trichloréthylène, sur les résultats d’une campagne de mesures des concentrations dans l’air de 567 logements constituant un échantillon représentatif des résidences principales de France métropolitaine (Observatoire de la qualité de l’air intérieur [OQAI]). Ces mesures ayant été réalisées entre 2003 et 2005, l’année 2004 a servi de point de référence pour les autres données à rassembler. Deux méthodes ont été alternativement employées pour estimer les impacts sanitaires en fonction des données toxicologiques disponibles. Lorsqu’il existait une valeur toxicologique de référence (excès de risque unitaire), une évaluation de risque quantitative a été réalisée (cas du benzène et du trichloéthylène). Pour les PM2,5, les auteurs ont appliqué la démarche retenue dans l’étude européenne Aphekom, fondée sur des relations « dose-réponse » décrites dans la littérature. Différents arbitrages ont dû être réalisés.

Estimation de l’impact sanitaire pour les PM2,5

La donnée d’exposition était la concentration médiane dans l’air de la pièce principale des logements de non-fumeurs uniquement, les impacts de la FTE ayant été évalués séparément. Comme pour le benzène et le trichloréthylène, en l’absence de campagne de mesures d’ampleur nationale des PM2,5 dans d’autres environnements intérieurs (écoles, bureaux, espaces de loisirs, etc.), la valeur dans l’air intérieur des logements a été considérée représentative des concentrations en d’autres lieux. Les données d’études pilotes dans 51 classes et 36 bureaux (OQAI) appuient cette hypothèse.

Seuls les effets d’une exposition chronique ont été considérés, plus précisément trois pathologies de l’adulte : les maladies cardiovasculaires, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et le cancer du poumon, sur la base de relations expositions-risques pertinentes pour des sujets âgés de 30 ans et plus, établies pour les PM2,5 dans l’air ambiant (concentrations représentatives de la pollution urbaine de fond). En zone urbaine, la pollution des logements de non-fumeurs est largement influencée par l’infiltration de particules extérieures. L’extrapolation à l’air intérieur dans les zones rurales est plus hasardeuse, la nature, la composition et la distribution de taille des particules variant selon les sources d’émissions. L’estimation a néanmoins été étendue à l’ensemble de la population française, les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) montrant qu’elle vit dans sa quasi-totalité (95 %) sous l’influence de la ville. Les risques relatifs (RR) de mortalité pour une augmentation de 10 μg/m3 du niveau des PM2,5 ont été uniformément appliqués à la fraction de la population âgée de 30 ans et plus.

Au total, 16 236 décès annuels ont été imputés à l’exposition aux particules dans l’air intérieur, dont 10 006 décès de cause cardiovasculaire, 2 074 dûs à un cancer du poumon et 4 156 secondaires à une BPCO. Contrairement aux deux premiers effets sanitaires pour lesquels il existait un RR de mortalité spécifique, le nombre de cas de décès par BPCO a été déduit du RR de mortalité « toutes causes », en postulant que les décès résiduels après déduction de la mortalité spécifique étaient d’origine respiratoire et consécutifs à une BPCO.

Comme pour les autres polluants, des statistiques nationales pour l’année 2004 ou la plus proche (Institut national du cancer [INCa], Institut de veille sanitaire [InVS], Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès [CépiDC], ministère de la Santé) ont été utilisées afin de rassembler les autres éléments d’ordre sanitaire nécessaires à l’évaluation : âge moyen au décès (69 ans pour le cancer du poumon, 77 ans pour les maladies cardiovasculaires et 79 ans pour la BPCO), nombre de cas incidents annuel (2 388 cas de cancers du poumon, 10 006 cas de maladies cardiovasculaires et 10 390 cas de BPCO) et survie moyenne après le diagnostic (respectivement 1,5, 13 et 12 ans). En l’absence de données de morbidité spécifiques, le nombre de cas incidents imputable aux particules dans l’air intérieur a été calculé à partir des rapports morbidité/mortalité pour la pathologie en général, quelle qu’en soit la cause. Ainsi, pour le cancer du poumon, 30 651 nouveaux cas et 26 624 décès avaient été enregistrés en 2005, soit un rapport égal à 1,15, qui a été appliqué au nombre de décès estimé (2 074 cas) pour obtenir l’incidence (2 388 cas).

Volet socio-économique

Pour chaque polluant, l’évaluation a pris en compte deux types de coûts pour la société : ceux (dits coûts « externes ») engendrés par les pertes en vies humaines (mortalité prématurée), en qualité de vie (morbidité), ainsi que les pertes de production associées, et les impacts sur les finances publiques. En revanche, elle n’a pas intégré les coûts privés, supportés par les individus et les entreprises privées.

Tenant compte d’une espérance de vie moyenne de 80 ans en 2004, l’âge moyen au décès a servi à calculer le nombre d’années de vie perdues. Le coût de cette mortalité prématurée a été chiffré sur la base de la valeur de l’année de vie humaine proposée par la commission Quinet (115 000 €). Pour la perte en qualité de vie, les auteurs ont appliqué les facteurs d’invalidité propres à chaque maladie, tels que définis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour le calcul des DALY (disability-adjusted life years). Les données et méthodes de l’INCa ont été utilisées pour les pertes de production liées à un cancer. Sur ces bases, des hypothèses ont été formulées pour les autres maladies affectant le même organe cible (le niveau des pertes de production dues à une BPCO a, par exemple, été fixé au quart de la valeur établie pour un cancer du poumon). Les données de l’INCa ont également été utilisées pour le coût des traitements des cancers, et diverses sources ont été exploitées pour les autres maladies (littérature en économie de la santé, coût des soins par pathologie selon le programme de médicalisation des systèmes d’information [PMSI]). Deux autres éléments ont été pris en compte pour le calcul des impacts sur les finances publiques : les frais (salaires et charges) liés à la recherche sur la pollution de l’air intérieur et les économies liées au non-paiement de pensions de retraite du fait des décès prématurés.

Le coût socio-économique total a été estimé à 19,4 milliards d’euros pour l’année 2004. Les PM2,5 y contribuent à hauteur de 14,3 milliards d’euros et le poids du radon est évalué à 2,7 milliards. Viennent ensuite la FTE (1,2 milliards), le benzène (883 millions), le CO (308 millions) et le trichloréthylène (30,7 millions).

Une analyse de sensibilité selon une approche probabiliste a été réalisée pour les PM2,5. La fourchette des valeurs est large, reflétant les incertitudes qui affectent les données entrées ainsi que les hypothèses de travail. L’estimation de 14,3 milliards d’euros correspond au 35e percentile de la distribution. La valeur moyenne est égale à 15,1 milliards et le 95e percentile à 18,3 milliards.

 


Publication analysée :

*Boulanger G1, Bayeux T, Mandin C, et al. Socio-economic costs of indoor air pollution: a tentative estimation for some pollutants of health interest in France. Environ Int 2017 ; 104 : 14-24. doi : 10.1016/ j.envint.2017.03.025.

1 French Agency for Food, Environmental and Occupational Health and Safety (Anses), Maisons-Alfort, France.