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ANALYSE D'ARTICLE

Concentrations plasmatiques de PBDE et d’hormones thyroïdiennes : quelle relation ?

Le manque de cohérence des études décrivant la relation entre les concentrations sériques de polybromodiphényléthers (PBDE) et d’hormones thyroïdiennes s’explique en partie par des différences de niveaux d’exposition, selon cette étude.

According to this study, the lack of consistency in studies describing the relation between serum concentrations of polybrominated diphenyl ethers (PBDE) and thyroid hormones is partly explained by differences in exposure levels.

Présents dans les équipements électriques et électroniques, les textiles et le mobilier en tant que retardateurs de flamme, les PBDE sont devenus des contaminants ubiquitaires de notre environnement domestique et professionnel. Ces composés persistants, lipophiles et bioaccumulables, dont il existe 209 congénères, sont détectés de manière courante dans l’organisme des individus exposés par voies respiratoire et orale. Ils posent la question de leurs effets sur la fonction thyroïdienne, qu’ils pourraient perturber à différents niveaux selon les études expérimentales.

La parenté de structure chimique entre les métabolites hydroxylés des PBDE et la thyroxine (T4) les mettrait en compétition pour les sites récepteurs de la protéine de transport de l’hormone (la transthyrétine), ce qui expliquerait une diminution des taux circulants de T4. Son élimination biliaire pourrait être accélérée par l’activation d’enzymes hépatiques communes aux voies métaboliques des PBDE et de la T4. À l’inverse, l’activité de la déiodinase, qui convertit la T4 en tri-iodothyronine (T3), serait inhibée, aboutissant à une diminution du rapport T3 sur T4. Par ailleurs, l’observation d’un niveau élevé d’anticorps anti-thyroglobuline chez les sujets ayant une forte charge corporelle en PBDE suggère qu’ils pourraient favoriser la survenue d’une thyroïdite auto-immune, avec ses propres conséquences sur le fonctionnement de la glande. Chez l’animal de laboratoire, l’administration de PBDE induit des anomalies histologiques de la thyroïde susceptibles de conduire à son hypofonctionnement. L’exposition aux PBDE pourrait donc entraîner des effets de deux types : directs, immédiats, et indirects, retardés. L’importance de l’exposition et sa durée pourraient être des facteurs déterminants, comme le moment de l’exposition ainsi que l’âge et le sexe de l’individu.

Postulant que ces facteurs expliquent les résultats discordants des études épidémiologiques qui ont examiné les relations entre les concentrations plasmatiques de PBDE et d’hormones thyroïdiennes, les auteurs de ce travail ont passé en revue les articles publiés dans ce domaine jusqu’en août 2014.

 

Analyse qualitative

Quatre bases de données ont été consultées à la recherche d’articles rapportant les résultats d’études dans la population générale (celles réalisées chez des sujets présentant une pathologie thyroïdienne susceptible d’affecter les sécrétions hormonales ont été exclues). Dans l’objectif d’une méta-ana-lyse quantitative, la relation entre les taux sériques de PBDE et d’hormones thyroïdiennes devait être matérialisée par un coefficient de corrélation de Pearson. À défaut, l’article devait fournir un autre résultat permettant son calcul (coefficient de corrélation de Spearman ou coefficient de régression, avec leurs intervalles de confiance à 95 %).Au total, 16 articles rapportant les résultats de 19 analyses ont été retenus. Leur qualité méthodologique a été jugée très bonne pour quatre d’entre eux (score allant de 18 à 22 [maximal]) et bonne pour sept autres (score allant de 13 à 17) sur la base de la grille proposée par l’Agency for Health-care Research and Quality étatsunienne pour les études transversales.

La principale préoccupation sanitaire ayant motivé la recherche jusqu’à présent étant l’impact, sur le développement fœtal, d’un dysfonctionnement thyroïdien de la mère, la relation PBDE-hormones thyroïdiennes a essentiellement été examinée chez des femmes enceintes (sang maternel) ou des nouveau-nés (sang du cordon). Seules deux études concernaient des enfants (vivant dans des villages chinois où sont traités les déchets d’équipements électriques et électroniques) et une avait inclus une population masculine (habitants de la région des Grands lacs consommant le produit de leur pêche). La littérature intéressant des enfants et des hommes était donc trop pauvre pour explorer les effets de l’âge et du sexe sur la relation PBDE-hormones thyroïdiennes. En revanche, l’éventail des concentrations plasmatiques de PBDE mesurées a permis d’effectuer des analyses stratifiées selon l’importance de l’exposition.

 

Relation entre les taux sériques de PBDE et de TSH

Quinze articles rapportaient le résultat de 18 analyses de la relation PBDE-thyréostimuline (TSH). Après conversion des coefficients de corrélation « r » de Pearson en une variable « z » de Fischer suivant une distribution normale, la méta-analyse (modèle à effets aléatoires) montre une très importante hétérogénéité : I2= 90,7 %.Les auteurs ont classé les études en quatre groupes en fonction de la valeur médiane de la concentration de PBDE, puis procédé à des méta-analyses dans chacun d’entre eux. Dans le premier groupe (PBDE < 30 ng/g de lipide), le niveau de PBDE est inversement corrélé à celui de la TSH : z = -0,07 (IC95 : -0,14 à 0). Il n’existe pas de corrélation (z = -0,01 [-0,07 à 0,06]) dans le deuxième groupe (concentration médiane comprise entre 30 et 100 ng/g), puis la corrélation est positive dans les deux derniers : z = 1,09 (IC95: 0,91-1,27) pour une concentration médiane de PBDE comprise entre 100 et 500 ng/g, et z = 0,43 (IC95: 0,24-0,62) à partir de 500 ng/g. Dans chaque groupe, l’hétérogénéité est limitée (I2< 30 %).Ces résultats, qui indiquent que la différence des niveaux d’exposition est une source d’hétérogénéité importante entre les études (expliquant ici 46,34 % de la variance), suggèrent une relation approximativement « en U », compatible avec la complexité d’un mécanisme de perturbation endocrinienne. Un nombre d’études plus important est toutefois nécessaire pour vérifier et préciser l’allure de la courbe. Dans l’hypothèse d’un effet global résultant d’effets aigus et chroniques, leurs contributions respectives pourraient être démêlées par des études longitudinales.

 

Relation entre les PBDE et la T4

Les 11 analyses disponibles de la relation PBDE-T4 ont été réparties en deux groupes selon qu’elles concernaient des populations faiblement (niveau médian de PBDE < 35 ng/g) ou fortement (entre 35 et 100 ng/g) exposées. L’hétérogénéité, notable entre les 11 études (I2= 57,6 %) n’existe pas dans chaque groupe (I2= 0). La corrélation entre la concentration plasmatique de PBDE et la T4 apparaît négative dans le premier groupe (z = -0,08 [-0,15 à -0,01]) et positive dans le second (z = 0,15 [0,06 à 0,24]), ce qui renforce l’impression d’une relation complexe, qui nécessite des éclaircissements.

Les tests d’Egger et de Begg ne montrent pas de biais de publication évident, pour la relation PBDE-T4 (p= 0,696) comme pour la relation PBDE-TSH (p= 0,068).

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Zhao X, Wang H, Li J, Shan Z, Teng W, Teng X. The correlation between polybrominated diphenyl ethers (PBDEs) and thyroid hormones in the general population: a meta-analysis. PLoS ONE 10(5): e0126989.

Department of Endocrinology and Metabolism, Institute of Endocrinology, The First Affiliated Hospital, China Medical University, Liaoning Provincial Key Laboratory of Endocrine Diseases, Shenyang, Chine.

doi: 10.1371/journal.pone.01269891