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ANALYSE D'ARTICLE

Bisphénol A et santé reproductive : synthèse des connaissances actuelles

La revue des études de reprotoxicité du bisphénol A ainsi que des études chez l’homme, publiées entre 2007 et 2013, permet de conclure à des effets sur l’ovaire, l’utérus et la prostate avec un niveau de preuve élevé.

This review examines studies published from 2007 and 2013 about the reproductive toxicity of bisphenol A, including in humans. It provides a high levelof evidence justifying the conclusion that this chemical affects the ovary, the uterus, and the prostate.

Une première revue de la littérature visant à évaluer la dangerosité du bisphénol A (BPA) pour la reproduction humaine a été réalisée par un groupe d’experts réunis à Chapel Hill (Carolinedu Nord) en novembre 2006. L’information épidémiologique était alors limitée à quelques études présentant des faiblesses. Les études in vivo chez l’animal montraient des résultats contradictoires mais permettaient de conclure, dans leur ensemble, à des effets sur le système reproducteur mâle. Les données chez les femelles étaient moins probantes et nécessitaient confirmation.

Cette revue des études publiées postérieurement (entre 2007 et 2013) a été effectuée dans l’objectif de synthétiser l’information récente concernant les effets expérimentaux de l’exposition au BPA sur une vingtaine de paramètres : ovogenèse et folliculogenèse, stéroïdogenèse dans les deux sexes, quantité et qualité des gamètes produites, qualité de l’endomètre, implantation et développement embryonnaire, distance anogénitale, etc. Les auteurs ont pris en compte l’espèce exposée, la dose administrée, la voie d’administration et la fenêtre d’exposition. Lesrésultats des études chez l’homme ont été comparés aux observations chez l’animal et l’existence d’un éclairage mécanistique a été systématiquement recherchée.

Le niveau de preuve a été jugé élevélors qu’un effet similaire était retrouvé dans de nombreuses études effectuées dans plusieurs espèces, même si la concordance n’était pas de 100 % (la sensibilité au BPAet donc la relation dose-réponse, ainsi que l’importance de la réponse pouvant varier d’une espèce à l’autre). Les auteurs ont conclu à un niveau de preuve limité quandquelques études seulement, mais pas la majorité, retrouvaient un même effet, et/ou en cas de discordance des données in vitro, in vivo et chez l’homme. Enfin, les données ont été jugées peu probantes lorsqu’elles provenaient d’études trop peu nombreuses, d’études in vitro uniquement ou d’études in vivo dans une seule espèce.

 

 

Toxicité ovarienne et utérine

Les études dans des modèles animaux ou des systèmes in vitro montrent que l’exposition développementale au BPA affecte l’entrée en méiose des cellules germinales dans l’ovaire fœtal, puis la croissance et la maturation des follicules au cours de la vie génitale (en particulier accélération de la transition folliculaire et formation de follicules multiovocytaires). À ces effets sur l’ovogenèse et la folliculogenèse s’associent des perturbations de la stéroïdogenèse ovarienne, qui ont étémises en évidence chez l’homme, mais dans un petit nombre d’études seulement et dans des populations particulières (fécondation in vitro [FIV], syndrome des ovaires polykystiques [SOPK]). Dans leur ensemble, les études expérimentales soutiennent un effet du BPA sur la production d’hormones sexuelles femelles, avec des différences qui peuvent être mises sur le compte de la période d’exposition (gestationnelle, néonatale ou postnatale), de la dose ou de l’espèce. Dans les études in vitro, l’effet du BPA sur la stéroïdogenèse semble dépendre de sa concentration dans le milieu et des cellules en culture : follicules antraux entiers ou cellules de la thèque ou de la granulosa isolées. Enfin, quelques études chez des femmes engagées dans des protocoles de FIV indiquent uneffet du BPA sur la qualité des ovocytes, ce qui est corroboré par les études expérimentales et in vitro, qui montrent une altération de la maturation ovocytaire. L’ensemble de ces arguments permet de considérer qu’il existe un niveau de preuve élevé pour une toxicité ovarienne du BPA.

Il en est de même pour la toxicité utérine, sur la base d’études chez l’animal qui montrent que l’exposition au BPA altère la prolifération de l’endomètre et diminue la réceptivité utérine ainsi que les chances d’implantation embryonnaire. Les études in vitro soutiennent des effets sur les cellules endométriales. Jusqu’à présent, ces effets n’ont pas été correctement étudiés chez la femme, et une seule étude, toujours chez des patientes en FIV, montre une augmentation du risque d’échec d’implantation dans le dernier quartile de concentration urinaire du BPA.

 

Autres effets

Avec l’ovaire et l’utérus, la prostate est le troisième organe de l’appareil reproducteur pour lequel il existe un niveau de preuve élevé de la toxicité du BPA, qui provient d’études dans des modèles animaux (perturbations de la réponse stéroïdogénique et altérations morphologiques des lobes ventraux et dorsaux). Lesétudes chez l’homme sont manquantes.

Certains résultats expérimentaux suggèrent une toxicité testiculaire du BPA mais les études chez l’homme sont discordantes, aboutissant à un niveau de preuve limité. Ce même niveau de preuve peut être attribué à l’hyperandrogénisme (association avec le SOPK chez la femme non soutenue par les études chez l’animal), aux effets sur la durée de la gestation, le nombre de naissances et le poids de naissance (mis en évidence dans plusieurs études chez le rongeur tandis que d’autres sont négatives), ainsi qu’à la diminution des capacités sexuelles des mâles. Les preuves d’effets sur l’oviducte, le placenta et le développement pubertaire sont insuffisantes.

 

Progrès attendus

Les résultats des études épidémiologiques restent difficiles à interpréter pour diverses raisons d’ordre méthodologique, en particulier la nature majoritairement transversale des études qui ne permet pas d’établir une relation temporelle entre l’exposition et la réponse, et la faiblesse de l’évaluation de l’exposition qui repose généralement sur une seule mesure urinaire. Les futurs travaux devraient s’efforcer d’utiliser des méthodes de mesure de l’exposition plus représentatives de l’exposition à long-terme, et d’évaluer les effets du BPA selon la voie d’exposition, la fenêtre d’exposition et l’étape de la vie de l’individu.

Les études expérimentales passées en revue étaient difficilement comparables du fait de la diversité des protocoles, mais les auteurs soulignent qu’elles ont, pour la plupart, évalué l’effet de faibles doses de BPA, inférieures à la LOAEL (Lowest Observable Adverse Effect Level) de 50 mg/kg. Outre la nécessité d’examiner les effets du BPA pour des niveaux de dose interne compatibles avec l’exposition humaine, les études devraient inclure des témoins positifs, considérer les périodes critiques de différenciation des organes reproducteurs ainsi que la vie reproductive sur toute sa durée, et mieux distinguer les effets transitoires du BPA de ses effets permanents. Par ailleurs, les connaissances concernant les interactions entre le BPA et d’autres perturbateurs endocriniens, ou encore l’alimentation et le stress, doivent être améliorées.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Peretz J1, Vrooman L, Ricke WA, Hunt PA, EhrlichS, Hauser P, et al. Bisphenol A and reproductivehealth: Update of experimental and human evidence, 2007-2013. Environ Health Perspect 2014; 122: 775-86. doi: 10.1289/ehp.1307728


1 Comparative Biosciences, University of Illinois, Urbana, États-Unis.