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L’angiogenèse existe-t-elle dans les métastases ganglionnaires ? Volume 11, numéro 1, Janvier 2016

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Cette question émerge de la constatation, maintes fois mise en avant, qu’aucun des grands essais de phase III de médicaments anti-angiogéniques en situation adjuvante, essentiellement dans les cancers du côlon [2, 3] et du sein [4], n’a obtenu de résultats positifs, et qu’en outre la thérapie anti-angiogénique est inactive ou peu active sur la croissance des métastases ganglionnaires [5, 6, 7]. Cela renvoie à la question fondamentale du rôle réel des métastases ganglionnaires dans l’évolution des cancers : témoignent-elles simplement de la capacité des cellules cancéreuses à migrer et à se disséminer, ou sont-elles à l’origine des métastases viscérales subséquentes ?

Les auteurs ont utilisé, pour répondre à la question de la présence d’une angiogenèse « classique » par bourgeonnement (sprouting), cinq différentes lignées tumorales murines représentant trois grands types tumoraux (adénocarcinomes du sein, carcinome épidermoïde de la muqueuse buccale et mélanome), transplantés dans des lignées de souris syngéniques et développant des métastases ganglionnaires au niveau inguinal. Ils ont mis au point une technique de visualisation in vivo des ganglions lymphatiques pendant une période d’environ deux semaines grâce à une fenêtre implantée de façon chronique à travers laquelle ils pouvaient voir, sous microscope multiphotonique, l’envahissement du ganglion par les cellules tumorales et la mise en place éventuelle de leur vascularisation (figure A).

C’est certainement le premier travail qui montre la vascularisation de base d’un ganglion lymphatique (figure B), son invasion progressive par des cellules cancéreuses, qui forment de petits agrégats, qui grossissent d’abord sous la capsule, puis plus profondément près des vaisseaux sanguins qui lui apportent oxygène et nutriments (figure C). Grâce au marquage des cellules cancéreuses par des protéines fluorescentes de diverses couleurs, on peut voir que tous les clones de la tumeur primitive sont susceptibles d’envahir, de manière simultanée, le ganglion (figure D), alors qu’un seul à la fois forme des métastases pulmonaires (figure E).

Une série d’arguments convergents montre que les cellules tumorales de la métastase ganglionnaire se nourrissent à partir des vaisseaux existants et qu’aucune néo-angiogenèse n’est mise en place pour subvenir à leurs besoins, au contraire des métastases viscérales :

• Des arguments morphologiques directs : la vascularisation sanguine du ganglion envahi est inchangée durant la croissance de la métastase ganglionnaire ; la densité vasculaire du ganglion envahi, évaluée par immunomarquage du CD31, est légèrement inférieure à celle du ganglion controlatéral ou à des ganglions de souris non tumorales (ce qui laisse supposer que le nombre total de vaisseaux dans le ganglion n’a pratiquement pas changé) ; et la densité en vaisseaux lymphatiques du ganglion envahi, évaluée par immunomarquage du LYVE-1, est diminuée par rapport à celle du ganglion controlatéral ;

• Des arguments biochimiques : les concentrations en VEGF-A sont identiques dans les ganglions envahis, les ganglions controlatéraux et ceux de souris non tumorales, et les concentrations en VEGF-C et -D sont inférieures dans les ganglions envahis, ces mesures étant en parfait accord avec les observations morphologiques quant à l’absence de néovascularisation sanguine et à la régression de la vascularisation lymphatique intra-ganglionnaire ;

• Des arguments moléculaires : l’expression des gènes pro-angiogéniques n’est pas augmentée dans les ganglions envahis, et des gènes anti-angiogéniques (Timp1, Thbs1) y sont même surexprimés ;

• Des arguments pharmacologiques : le traitement des métastases au stade où elles dépassent 100 à 125 mm de diamètre, par un anticorps anti-VEGFR2 ou par le sunitinib, n’affecte pas la croissance des ganglions métastatiques ni leur densité vasculaire.

Qu’en est-il en situation réelle, en clinique ? Chez les patients porteurs de métastases ganglionnaires d’un cancer colique ou d’un cancer des voies aéro-digestives supérieures survenues après résection de la tumeur primitive, les auteurs ont observé par immunohistochimie une densité vasculaire plus élevée dans les ganglions normaux (220 vaisseaux par mm2) que dans les ganglions métastatiques (135 vaisseaux par mm2) et dans les ganglions dont le tissu était totalement remplacé par des cellules cancéreuses (104 vaisseaux par mm2).

Le traitement de patients porteurs d’un cancer rectal par radio-chimiothérapie en situation néo-adjuvante montre en outre que la densité vasculaire de leurs ganglions envahis ne différait pas selon qu’ils recevaient ou non du bévacizumab en plus de la radio-chimiothérapie : c’est là la première preuve directe de l’inefficacité des médicaments anti-angiogéniques sur les métastases ganglionnaires, et constitue une base rationnelle solide permettant de comprendre pourquoi les anti-angiogéniques sont inactifs en situation adjuvante, malgré tous les espoirs qui avaient été mis dans cette approche thérapeutique.

Liens d’intérêts : L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.