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Revue de neuropsychologie

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Impact des altérations de la substance blanche liées à l’âge sur les performances cognitives : études en imagerie par tenseur de diffusion Volume 10, numéro 2, Avril-Mai-Juin 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

Introduction

Le vieillissement est un phénomène démographique majeur dans les sociétés actuelles puisque l’espérance de vie ne cesse de s’allonger. De nombreux changements physiques, biologiques, socioaffectifs, et cognitifs s’opèrent durant cette période [1]. Ces changements peuvent avoir des conséquences négatives et amener à une perte d’autonomie. C’est pourquoi il est important de mieux comprendre leur origine. Au cours des dix dernières années, de nouvelles techniques d’exploration des faisceaux de substance blanche cérébrale utilisant l’imagerie par résonance magnétique de diffusion [2, 3] ont permis de mettre en lien les altérations de la microstructure de la substance blanche et les troubles cognitifs. Nous décrirons tout d’abord l’imagerie par tenseur de diffusion (diffusion tensor imaging [DTI]) et ses modalités d’exploration, puis les effets du vieillissement sur la substance blanche et, enfin, l’impact de ces altérations sur les fonctions cognitives, avec une emphase particulière sur la mémoire prospective (MP), mémoire qui renvoie à la capacité de se souvenir d’une action à réaliser dans le futur, et ses substrats neuronaux.

L’imagerie par tenseur de diffusion

L’imagerie par résonance magnétique par tenseur de diffusion est une technique d’imagerie anatomique non invasive basée sur les propriétés de la diffusion des molécules d’eau dans les tissus cérébraux. Elle repose sur la théorie du mouvement brownien qui prévoit que, dans un milieu sans contraintes, les molécules d’eau peuvent diffuser dans n’importe quelle direction de manière aléatoire, ou « isotrope ». C’est le cas dans des milieux relativement homogènes comme la substance grise ou le liquide cérébrospinal, mais non dans la substance blanche cérébrale qui est traversée de milliers d’axones organisés en faisceaux de fibres parallèles. Ces axones sont entourés d’une gaine de myéline fabriquée par les oligodendrocytes afin d’amplifier le signal électrique. La mobilité des molécules d’eau dans ces fibres dépend de la microstructure des tissus biologiques (i.e., myéline, cytosquelette, membrane cytoplasmique) qui va limiter et contraindre la diffusion des molécules d’eau. Le terme de milieu cellulaire anisotrope est alors employé (figure 1).

L’imagerie par tenseur de diffusion implique l’application de gradients dans au moins six directions. Elle permet de modéliser en trois dimensions l’anisotropie des tissus en partant du fait que les gradients des trois axes principaux sont corrélés. Cette corrélation est décrite par une matrice 3 × 3 dans laquelle se trouvent neuf coefficients de diffusion pour chaque voxel (ou élément unitaire) de l’image. Chaque voxel est estimé comme étant un ellipsoïde où les orientations sont caractérisées par les vecteurs de directions appelés eigenvectors – v1, v2, v3 et les amplitudes de ces eigenvectors appelées eigenvalues – λ1, λ2, λ3. Lorsque les voxels sont isotropiques, l’ellipsoïde est une sphère car λ1 ≈ λ2 ≈ λ3 ; au contraire, lorsque les voxels sont anisotropiques, l’ellipsoïde est allongé selon l’axe principal λ1 (figure 1). Le coefficient de diffusion apparente (apparent diffusion coefficient [ADC] ou mean diffusivity [MD]) est issu de la moyenne des eigenvalues reflétant la diffusivité dans chaque voxel. L’ADC est élevé dans le liquide céphalospinal ou la substance grise, car la diffusivité des molécules d’eau est isotropique. Dans la substance blanche, un ADC élevé peut indiquer, selon les cas l’altération du faisceau, un effet de volume partiel (artefact sur la mesure de densité du voxel), ou un croisement de fibres. La diffusivité axiale (appelée également longitudinale) est issue de l’eigenvalue λ1, reflétant l’intégrité du faisceau. La diffusivité radiale (appelée aussi transversale) est calculée à partir de λ2 et λ3, reflétant l’intégrité de la myéline recouvrant l’axone.

La mesure la plus répandue est l’anisotropie fractionnelle (fractional anisotropy [FA]). Elle est aussi dérivée des eigenvalues. La valeur de FA est comprise entre 0 (diffusion non homogène entre les molécules = isotropie) et 1 (diffusion homogène = maximum d’anisotropie). La valeur de FA est proche de 0 dans les ventricules et dans la substance grise, et tend vers 1 dans la substance blanche lorsqu’il y a une orientation prédominante des fibres comme dans le corps calleux (figure 2). Toutefois, lorsqu’il y a une altération des fibres, un effet de volume partiel ou un croisement des faisceaux, la valeur de FA est plus faible.

Les données de DTI permettent d’analyser les faisceaux de substance blanche, dont il existe trois types : les fibres commissurales qui connectent les deux hémisphères, les faisceaux d’association qui relient les régions d’un même hémisphère et les faisceaux de projection connectant les régions corticales aux régions sous-corticales ou extracérébrales. L’analyse des faisceaux peut se faire soit par une analyse des mesures de diffusion (FA/MD) via un atlas, s’il existe des hypothèses a priori, soit par des analyses voxel par voxel dans le cas contraire.

L’utilisation d’un atlas exige la délimitation préalable de régions d’intérêt (regions of interest [ROI]), consistant à sélectionner, manuellement ou automatiquement, des faisceaux spécifiques selon les hypothèses de travail. L’un des atlas les plus répandus est le John Hopkins University International Consortium for Brain Mapping White Matter Atlas (JHU-ICBM) as implemented in the FSL neuroimaging toolbox (https://fsl.fmrib.ox.ac.uk/fsl/fslwiki/Atlases). La méthode des ROI est classiquement employée pour traiter des données de diffusion. L’intérêt est d’analyser l’intégrité de la substance blanche dans les faisceaux d’intérêt pour connaître leur évolution au cours du vieillissement. Néanmoins, la mesure peut être biaisée, surtout pour des longs faisceaux, quand les altérations ne couvrent pas tout le faisceau en question. Les altérations volumétriques de la substance blanche peuvent être mises en évidence grâce à la voxel-based morphometry (VBM) [4]. Cette méthode consiste à étudier la concentration locale des tissus cérébraux, voxel par voxel, sans hypothèse a priori, par des mesures volumétriques sur l’ensemble du cerveau. Cette méthode a été conçue afin d’obtenir des informations sur le volume de différentes régions cérébrales, mais peut être aussi utilisée pour évaluer les cartes de FA. Cependant, la VBM a deux limites : la précision de l’alignement lors de la normalisation dans un espace connu (Montreal Neurological Institute [MNI]) et le choix libre du filtre, pouvant engendrer des effets de volumes partiels.

La méthode Tract-Based Spatial Statistics (TBSS) combine les avantages de la méthode des régions d’intérêts et ceux d’une analyse voxel par voxel. Elle consiste à :

  • normaliser les cartes FA dans l’espace MNI ;
  • calculer la moyenne de toutes les cartes FA normalisées et créer un squelette de cette image moyenne ;
  • créer une image « squelettisée » pour chaque sujet sur la base du squelette moyen ;
  • réaliser des analyses statistiques sur ces cartes individuelles « squelettisées ».

Une autre méthode, différente des deux précédentes, est la tractographie, qui permet de reconstruire les faisceaux de substance blanche (« tracts ») connectant différentes régions de la substance grise. Il existe trois types de faisceaux de substance blanche :

  • les fibres commissurales qui connectent les deux hémisphères ;
  • les faisceaux d’association qui relient les régions d’un même hémisphère ;
  • les faisceaux de projection connectant les régions corticales aux régions sous-corticales ou extracérébrales.

Cette connectivité peut être construite de deux façons : déterministe ou probabiliste. La méthode déterministe consiste à calculer la direction probable du faisceau, voxel par voxel, sur la base de l’orientation principale de diffusion. Néanmoins, cette méthode est très sensible au bruit. La méthode probabiliste, quant à elle, demande à reconstruire le faisceau en estimant la diffusion dans chaque direction via la représentation de sphères numériques dans chaque voxel [5]. Cette méthode est plus robuste au bruit que la précédente et permet de mieux gérer la reconstruction des croisements.

La tractographie est néanmoins critiquée puisqu’elle se base uniquement sur des représentations mathématiques et ne reflète pas parfaitement la réalité de l’anatomie cérébrale car elle peut engendrer des faux positifs (i.e., reconstruction de faisceaux inexistants). Elle nécessite donc la réalisation d’un contrôle qualité a posteriori pour éviter ce type de désagréments.

Le choix de la méthode d’analyse dépendra de la question de départ. Si les auteurs n’ont pas d’hypothèses a priori, une méthode sur l’ensemble du cerveau, voxel par voxel, comme la TBSS sera privilégiée. Au contraire, s’il existe de fortes hypothèses, la tractographie sera utilisée et permettra d’analyser la connectivité entre différentes régions.

Altérations cérébrales au cours du vieillissement sain : études en imagerie

Les études en voxel-based morphometry

De nombreuses études en imagerie anatomique ont montré l’effet de l’âge sur le volume de la substance grise. Les réductions de volume de substance grise sont situées principalement dans les lobes frontaux, suivis des lobes temporaux et occipitaux (pour revue [6]). Des pertes de volume au niveau des lobes frontaux (i.e., cortex préfrontal incluant la partie orbitofrontale), du cortex temporal, du cortex pariétal supérieur, des lobes occipitaux supérieurs (i.e., le cuneus), et du cervelet ont été mises en évidence [7, 8]. Une atrophie a également été observée dans l’insula et le thalamus chez les sujets âgés, comparés à des sujets jeunes [9].

Les études transversales montrent que les pertes de substance blanche sont situées principalement au niveau du lobe frontal (pour revue [10]), mais aussi de manière symétrique dans le cingulum et le corps calleux [9].

Les études longitudinales utilisant la VBM permettent de mettre en évidence le changement volumétrique de la substance blanche au cours du vieillissement. Elles ont montré que le volume de la substance blanche augmente durant l’enfance et l’adolescence (de 4 à 18 ans), se stabilise ensuite (pour revue [11]), puis décline à partir de 65 ans [12]. Les faisceaux frontaux sont les premiers atrophiés, suivis des faisceaux temporaux, pariétaux, occipitaux et de la substance blanche du cervelet.

La VBM est néanmoins une technique limitée puisqu’elle fournit uniquement une mesure sur la morphologie des structures du cerveau et ne donne pas accès aux informations sur les altérations de la microstructure de la substance blanche, à savoir s’il s’agit d’une démyélinisation ou de mort neuronale.

Les études en imagerie par tenseur de diffusion

La perte d’intégrité des faisceaux de substance blanche est classiquement rapportée dans les études dans le vieillissement normal utilisant l’imagerie du tenseur de diffusion. En effet, au cours du vieillissement, la myéline des axones dégénère, le nombre d’axones diminue ainsi que leur longueur, se traduisant par une augmentation de la diffusion et une diminution de l’anisotropie [13]. Cette dégénérescence rend non homogène la direction de diffusion des molécules d’eau et fait diminuer le pouvoir anisotropique des faisceaux.

Le résultat majeur qu’apportent les études utilisant la DTI est une diminution de la FA au niveau de la substance blanche du lobe frontal [14, 15]. La partie antérieure du cerveau semble en effet être plus sensible aux effets de l’âge comparée à la partie postérieure [16].

Des études se sont intéressées aux modifications de faisceaux spécifiques au cours du vieillissement. Le corps calleux, région importante pour l’intégration inter-hémisphérique des informations sensorielles, motrices et cognitives, est rapidement affecté par l’âge. L’altération des fibres du corps calleux (indices d’anisotropie et de diffusivité) est la plus fréquemment mise en évidence davantage dans sa partie antérieure, appelée le genou, que dans sa partie postérieure, le splénium. La capsule interne (située entre le thalamus et le noyau caudé, d’une part, et le noyau lenticulaire, d’autre part), la capsule externe, entre le noyau lenticulaire et l’insula, la corona radiata (qui connecte le thalamus et le cortex par des fibres de projection), notamment dans sa partie supérieure, le cingulum (qui relie le gyrus cingulaire au complexe hippocampique), le fornix, le faisceau cingulaire antérieur, les faisceaux longitudinal supérieur et inférieur (qui relient les cortex frontal, temporal, pariétal et occipital), le forceps postérieur et le forceps frontal du corps calleux sont également sensibles aux effets de l’âge [14-21]. De manière globale, l’ensemble de ces travaux montre, d’une part, une diminution de l’anisotropie et, d’autre part, une augmentation de la diffusivité chez les sujets âgés par rapport aux sujets jeunes, de manière prépondérante dans les régions antérieures du cerveau. En revanche, les faisceaux postérieurs et occipitaux semblent peu sensibles aux effets de l’âge [14, 21].

Conséquences des altérations de la substance blanche sur les fonctions cognitives

Les travaux en DTI soulignent le lien entre certains paramètres DTI et des déficits cognitifs associés à l’âge, en particulier dans les domaines des fonctions exécutives et de la mémoire (pour revue [20]). Le gradient antéropostérieur cérébral, se caractérisant par une atteinte préférentielle des régions antérieures, a été largement mentionné par les chercheurs et concorde avec le fait que les fonctions cognitives sous-tendues au moins en partie par le cortex frontal, incluant les fonctions exécutives (flexibilité et inhibition, notamment) et la mémoire de travail, sont les plus touchées dans le vieillissement [22]. Le déclin de ces fonctions cognitives se répercute aussi sur le fonctionnement de la mémoire épisodique. Par ailleurs, le vieillissement se caractérise par un ralentissement cognitif qui peut engendrer des difficultés dans différents domaines cognitifs.

Fonctions exécutives

Flexibilité

O'Sullivan et al. [23] ont réalisé une étude en DTI, incluant dix sujets jeunes (23-37 ans) et 20 sujets âgés (56-85 ans) en utilisant la méthode des ROI sur l’ensemble de la substance blanche cérébrale. Ils ont montré que les temps de réponse au Trail Making Test chez les âgés étaient négativement corrélés à l’augmentation de la diffusivité au niveau frontal. Il n’y avait, en revanche, aucune corrélation significative chez les sujets jeunes.

Des travaux plus récents de Madden et al. [24] ont testé les capacités de flexibilité de sujets sains, jeunes et âgés, par une tâche de catégorisation. Les participants devaient juger le nom d’un objet, soit par la catégorie de l’objet (fabriqué ou naturel), soit par la longueur du mot (long ou court). Les données comportementales montrent que les sujets âgés ont des performances inférieures à celles des sujets jeunes. Des analyses de régression, réalisées, au sein de chaque groupe, entre les scores de flexibilité et les faisceaux de substance blanche ont révélé que les valeurs de FA du corps calleux (i.e., genou et splénium) ainsi que de la partie antérieure et centrale du faisceau longitudinal supérieur sont corrélées positivement aux scores obtenus à cette tâche, uniquement chez les sujets âgés. Des résultats similaires ont été retrouvés pour l’indice de diffusivité radiale.

Davis et al. [25] ont proposé à 20 sujets âgés de réaliser un test de flexibilité (i.e., test Intra-Extra Dimensional Set Shifting de la batterie CANTAB, test analogue au Wisconsin Card Sorting Test). Les données comportementales ont été corrélées aux données de tractographie obtenues dans différentes régions d’intérêt (i.e., faisceau unciné, genou et splénium du corps calleux, cingulum et faisceau longitudinal inférieur). Seuls les paramètres de FA et RD du faisceau unciné droit sont corrélés aux scores de flexibilité.

Gold et al. [26] ont demandé à des sujets jeunes et à des sujets âgés de réaliser une tâche de catégorisation impliquant les processus de flexibilité. Dans cette tâche, un indice apparaît (« Lettre » ou « Nombre »), indiquant la catégorisation à effectuer sur la paire chiffre/lettre qui est ensuite présentée. Si l’indice est « Lettre » alors le sujet doit indiquer si la lettre de la paire qui suit est une consonne ou une voyelle (e.g., pour la paire « 4e », il doit indiquer que « e » est une voyelle). Si l’indice est « Nombre », le sujet doit dire si le nombre de la paire qui suit est pair ou impair (e.g., dans cet exemple, il doit répondre que 4 est un chiffre pair). En réalisant des analyses de régression au sein de chaque groupe, les auteurs mettent en évidence une corrélation entre l’anisotropie du faisceau frontopariétal (i.e., frontal péricalleux, le genou du corps calleux, le faisceau longitudinal supérieur et le cingulum) et les scores à la tâche uniquement dans le groupe de sujets âgés. Grieve et al. [27] ont mis en évidence, tout comme dans l’étude précédente, mais sur l’ensemble de l’échantillon comprenant des participants jeunes et âgés, une corrélation positive entre l’anisotropie des faisceaux fronto-temporopariétaux et les scores au Trail Making Test.

Les réseaux antérieurs semblent davantage associés aux déficits dans les tâches de flexibilité que les réseaux postérieurs. Les capacités de flexibilité sont également associées aux faisceaux du corps calleux reflétant ainsi le recrutement des deux hémisphères via des fibres commissurales.

Inhibition

Sullivan et al.[28] ont mené une étude couplant DTI et scores au test de Stroop chez dix sujets âgés et dix sujets jeunes. Ils rapportent une diminution de la FA et une augmentation de la MD au niveau des parties antérieures du corps calleux chez les sujets âgés mais pas chez les sujets jeunes. Les auteurs ont ensuite divisé le corps calleux en six sous-champs via la tractographie (sous-champ préfrontal, précentral/prémoteur, post-central, pariétal postérieur, temporal supérieur et temporal/occipital inférieur). Ils rapportent, chez les sujets âgés, une corrélation positive entre la performance à la condition d’interférence du Stroop et la FA des sous-champs prémoteur et post-central, ainsi qu’une corrélation négative avec le sous-champ prémoteur pour l’indice MD. Les résultats sont cependant à nuancer étant donné la petite taille de l’échantillon. D’autres auteurs ayant réalisé des corrélations sur un échantillon de 52 sujets âgés de 19 à 81 ans ont montré que l’altération au cours du vieillissement (i.e., hausse de la diffusion et baisse de l’anisotropie) des faisceaux des aires postérieures (e.g., faisceaux pariétaux, splénium, faisceaux occipitaux) est corrélée aux scores d’une tâche de Stroop [29]. Enfin, une étude utilisant la tractographie sur une cohorte de 52 sujets de 25 à 82 ans a montré que les performances à une tâche de Go/No Go étaient positivement corrélées avec le faisceau unciné (indices MD et AD) et le faisceau longitudinal supérieur (indices MD et RD) [30].

Ainsi, les réductions des capacités d’inhibition chez les sujets âgés semblent liées à l’altération de faisceaux antéropostérieurs (i.e., faisceaux frontaux et pariétaux) contrairement aux capacités de flexibilité qui dépendraient davantage de l’intégrité de faisceaux antérieurs.

Mémoire

Mémoire épisodique

Kennedy et Raz [29] ont évalué la mémoire épisodique de 52 sujets (19-81 ans) grâce à trois tests : le California Verbal Learning Test, le subtest mémoire logique de l’échelle de Wechsler, et un test d’association images-noms issu de la batterie Woodcock-Johnson. La MD dans la capsule interne et au niveau pariétal (faisceau longitudinal supérieur, fronto-occipital supérieur) est corrélée négativement aux performances de rappel libre de listes de mots. Les scores de rappel d’histoire sont, quant à eux, corrélés positivement à la FA au niveau temporal (e.g., le parahippocampe, les faisceaux uncinés, fronto-occipital inférieur, et longitudinal inférieur) et de la capsule interne postérieure. Les scores au test d’association images-noms sont également corrélés à la FA des faisceaux temporaux. Kantarci et al. [19] rapportent également une corrélation positive entre les tâches de rappel libre et le faisceau longitudinal inférieur ainsi que le cingulum (antérieur et postérieur) chez 71 sujets âgés sains. Metzler-Baddeley et al. [31] ont observé une corrélation positive entre la FA mesurée au niveau du fornix et les performances en rappel libre immédiat au test de Grober et Buschke, au sein d’un groupe de 46 sujets âgés (53-93 ans). En outre, le ratio d’erreurs au test d’association de paires de mots (e.g., papier et stylo) corrèle positivement avec le faisceau unciné.

Ces résultats suggèrent que le déclin des performances en mémoire épisodique lié à l’âge est associé à la dégradation de l’ensemble de faisceaux dont une grande partie chemine dans la profondeur du lobe temporal (i.e., fornix, faisceau unciné, splénium du corps calleux, faisceau inférieur fronto-occipital et faisceau longitudinal inférieur) [29-31].

Mémoire de travail

Les études mentionnées ci-dessous ont toutes administré un test d’empan de chiffres ou d’empan de lettres. Selon les travaux de Kennedy et Raz [29], l’altération des faisceaux des aires antérieures (i.e., préfrontales) est associée à un déclin de la mémoire de travail dans le vieillissement. D’autres études ont mis l’accent sur le rôle du faisceau unciné [31, 32]. L’étude de Charlton et al. [32] a été réalisée auprès de 106 participants âgés de 50 à 90 ans. Les données DTI ont été analysées en tractographie via des régions d’intérêts puis mises en relation avec les scores de mémoire de travail par une analyse de régression. Les auteurs ont observé des corrélations positives entre les scores de mémoire de travail verbale et l’intégrité des faisceaux temporopariétaux, temporofrontaux et frontopariétaux qui relient le faisceau unciné, le cingulum, le thalamus, le cortex frontal et le cortex temporal (paramètres FA et MD). Les déficits aux tâches de mémoire de travail visuelle sont associés à un déclin de l’anisotropie (FA) et à une augmentation de la diffusivité radiale des faisceaux temporaux comme le cingulum gauche, les faisceaux longitudinaux inférieurs, et le splénium du corps calleux [25, 29, 31].

Vitesse de traitement

Sasson et al. [30] ont réalisé des corrélations au sein d’un groupe de 52 sujets âgés de 25 à 82 ans, et mis en évidence que la vitesse de traitement lors d’une tâche de résolution de calculs mathématiques simples était corrélée positivement aux mesures d’anisotropie dans le cingulum et le fornix gauche, ainsi que dans les faisceaux inférieurs et supérieurs longitudinaux de façon bilatérale. Ces résultats sont en accord avec l’étude de Bendlin et al. [33] qui a montré, par analyses de corrélations sur un échantillon de 120 personnes (18-83 ans), une corrélation positive entre la vitesse de traitement au Trail Making Test et la FA au niveau de la corona radiata postérieure, des faisceaux supérieurs longitudinaux, des deux capsules internes et du cingulum postérieur, des faisceaux fronto-occipitaux. Kennedy et Raz [29] ont évalué les capacités de vitesse de traitement de 52 sujets (19-81 ans) en administrant un test non verbal, de comparaisons de figures, Pattern Comparison, et un test verbal, de comparaisons de lettres, Letter Comparison. Les scores obtenus aux deux tâches sont corrélés négativement à la FA dans les fibres préfrontales et positivement à la MD au genou du corps calleux.

Le déclin de la vitesse de traitement semble associé plutôt à des faisceaux postérosupérieurs du cerveau. La corona radiata est la zone de substance blanche sous-jacente au cortex où se déploient en éventail toutes les fibres de projection se dirigeant vers ou provenant des capsules internes, externes et extrêmes. La capsule interne renferme entre autres des faisceaux reliant dans les deux sens le cortex au thalamus, structure-clé dans le monitoring attentionnel. Les faisceaux allant du cortex frontal au cortex occipital (i.e., cingulum) vont intégrer les informations attentionnelles, spatiales et visuelles.

En conclusion, la DTI permet d’observer l’impact du vieillissement sur l’intégrité de la substance blanche, et de montrer que l’altération des faisceaux est en lien avec le déclin des fonctions cognitives. Ce déclin implique à la fois des faisceaux communs (i.e., faisceaux fronto-occipitaux supérieurs et inférieurs) et des faisceaux relativement spécifiques. Ainsi, la baisse des capacités exécutives est en lien avec la dégradation des faisceaux frontaux (i.e., genou du corps calleux, faisceau unciné) et du faisceau supérieur fronto-occipital. La mémoire épisodique et la mémoire de travail dépendent plutôt de l’intégrité des faisceaux temporaux, notamment du faisceau inférieur fronto-occipital, tandis que la vitesse de traitement est associée à des faisceaux postérieurs (figure 3).

Apport de la DTI dans les tâches de mémoire prospective

Définition de la mémoire prospective

La MP est définie comme la mémoire des intentions des actions futures. Elle comporte deux composantes : une composante prospective qui représente la remémoration de l’intention à un moment précis et une composante rétrospective représentant la remémoration du contenu de l’intention à réaliser [34]. Elle se distingue également par deux formes de récupération liées à la nature de l’indice déclenchant la récupération. Une tâche de MP est dite event-based lorsque la récupération de l’intention est déclenchée par l’apparition d’un indice dans l’environnement, ou time-based lorsque l’intention doit être réalisée à un horaire donné ou après une durée précise. Elle est classiquement évaluée par une épreuve comprenant une tâche principale, dite « tâche en cours » (e.g., catégorisation sémantique) associée à une tâche de MP. La MP est essentielle pour réaliser les actions de la vie quotidienne (pour revue [35]).

La réalisation d’une action programmée se fait en plusieurs étapes. La première étape consiste en la formation d’une intention et à son encodage en mémoire. La planification joue un rôle important afin de préparer la mise en place de l’intention. La deuxième étape concerne la rétention de l’intention entre l’encodage et sa réalisation ultérieure. La troisième étape est caractérisée par la récupération de l’intention en mémoire, suivie d’une étape de vérification permettant de comparer l’intention effectuée avec celle de départ. Si l’action réalisée correspond bien à l’intention, celle-ci est alors supprimée en mémoire.

Effets de l’âge sur la mémoire prospective

Bien que la MP fasse l’objet de plaintes fréquentes chez les personnes âgées, les résultats des études expérimentales sont contradictoires. Certaines montrent une diminution des performances en MP [36] tandis que d’autres n’ont pas reproduit ces résultats [34]. Ces discordances peuvent s’expliquer par le type de tâche utilisée (i.e., event-based ou time-based) car toutes les tâches n’impliquent pas la même stratégie : les tâches time-based font beaucoup appel à des processus auto-initiés (i.e., contrôlés) car elles impliquent une surveillance temporelle (i.e., horloge), tandis que les tâches event-based reposent sur des processus plus automatiques, pour autant que les caractéristiques de la tâche s’y prêtent (indice focal, familier, saillant) [34]. Les premières sont donc généralement plus sensibles aux effets de l’âge que les secondes [37]. En outre, le contexte dans lequel est réalisée la tâche explique également en partie les discordances entre les études. En effet, les tâches réalisées en laboratoire sont sensibles aux effets de l’âge alors qu’en milieu naturel les sujets âgés ont souvent de meilleures performances que les sujets jeunes. En fait, dans cette dernière condition, les sujets peuvent utiliser des aides externes (i.e., réveil, notes) afin de compenser leurs difficultés.

Processus cognitifs impliqués dans le déclin de la mémoire prospective

La MP implique une préparation attentionnelle afin de reconnaître l’indice prospectif qui déclenchera la récupération de l’intention. L’attention nécessite donc la contribution de la mémoire de travail. Plusieurs études ont montré que les performances des sujets âgés en mémoire de travail prédisent leurs performances à une tâche de MP [33, 38, 39], mais ce résultat n’est pas systématiquement retrouvé [40]. Récemment, Lecouvey et al. [41] ont mis l’accent sur l’implication d’une altération des processus de binding, dans le déclin de la MP event-based et time-based au cours du vieillissement.

Plusieurs recherches ont établi qu’une altération de certaines fonctions exécutives comme l’inhibition, la planification ou la flexibilité était impliquée dans le déclin lié à l’âge des performances aux tâches event-based[40, 42] mais aussi time-based[42]. Le contrôle inhibiteur est important dans les tâches de MP puisqu’il faut inhiber la tâche en cours lorsque l’indice prospectif apparaît afin d’effectuer l’action prévue. Plusieurs études montrent que les performances d’inhibition prédisent le déficit aux tâches de MP time-based chez des sujets âgés [43]. La flexibilité constitue également une variable intéressante à contrôler lors de tâches de MP. L’étude de Schnitzspahn et al. [40] a pu mettre en évidence, grâce à une analyse de régression, que les performances en flexibilité (évaluées par une tâche de catégorisation couleur ou forme inspirée du Wisconsin Test et par une tâche de changement de catégorie où les participants doivent classer les mots tantôt selon leur longueur tantôt selon leur appartenance à la catégorie vivants ou non-vivants) prédisent les scores à une tâche de MP event-based. Enfin, Lecouvey et al. [41] ont montré que chez les sujets âgés les scores à une tâche de planification sont corrélés aux performances à une tâche de MP event-based.

Les études sur les substrats cérébraux de la MP event-based chez des sujets jeunes mettent principalement en évidence l’activation de la partie rostrale du cortex préfrontal (pour revue [44]), suggérant la mise en jeu de processus attentionnels. D’autres activations ont été mises en évidence au niveau du cortex préfrontal antérieur, du cortex cingulaire antérieur et postérieur, du lobe pariétal, et du précuneus [45]. Ces résultats sont confirmés par l’étude de Kalpouzos et al. [8] mettant en évidence l’activation du réseau frontopariétal, du précunéus et du cortex préfrontal dorsolatéral. Les paradigmes time-based activeraient eux-aussi le cortex préfrontal antérieur [46].

Gonneaud et al. [47] ont réalisé une étude en IRMf d’activation chez des sujets jeunes. Les participants devaient réaliser une tâche en cours de catégorisation sémantique (dire si l’objet qu’ils voyaient était naturel ou fabriqué en appuyant sur un bouton) et une tâche de MP. Cette dernière comprenait deux conditions : une condition event-based (appuyer à gauche lorsqu’il y a un cadre bleu) et une condition time-based (appuyer à droite toutes les 30 s). Les résultats en imagerie fonctionnelle ont mis en évidence, d’une part, des réseaux communs aux deux tâches, notamment des activations dans l’hémisphère droit au niveau du gyrus frontal et du gyrus pariétal et des désactivations au niveau temporal et frontal dans l’hémisphère gauche, et, d’autre part, des réseaux spécifiques pour chaque tâche. La condition time-based active le réseau frontopariétal droit alors que la condition event-based entraîne des activations au niveau des régions corticales postérieures (gyrus occipital moyen, gyrus lingual, gyrus fusiforme). Ces résultats sont cohérents avec l’implication d’un vaste réseau incluant les régions frontales et pariétales dans l’allocation de ressources attentionnelles permettant le maintien de l’intention [48].

À notre connaissance, très peu d’études se sont intéressées à l’effet de l’âge sur l’activité fonctionnelle lors d’une tâche de MP. Gao et al. [49] montrent que les sujets âgés activent plus fortement, de manière compensatoire selon les auteurs, les aires frontales et pariétales ainsi que l’aire motrice supplémentaire par rapport aux sujets jeunes lors de la réalisation d’une tâche event-based.

Le protocole de Gonneaud et al. [51], décrit précédemment, a également été proposé à des sujets âgés. Ceux-ci présentent les mêmes activations que les sujets jeunes, mais aussi des activations supplémentaires au niveau de la région motrice et du précuneus. Cependant, ces activations ne sont pas compensatoires car elles ne sont pas corrélées aux scores de MP. Par ailleurs, aucune déactivation (i.e., diminution du signal BOLD mesuré en IRM fonctionnelle) n’est présente chez les âgés contrairement aux jeunes. De plus, la comparaison des conditions time-based et event-based chez les sujets âgés ne fait ressortir aucune différence d’activation. Ces résultats sont en faveur de l’hypothèse de dédifférenciation, selon laquelle les personnes âgées activent moins de réseaux spécifiques, reflétant des difficultés à mettre en place des mécanismes cognitifs propres à la tâche. De façon intéressante, Peira et al. [50] ont également montré que les sujets âgés ont plus de difficultés que les sujets jeunes à recruter des réseaux spécifiques dans une tâche de MP event-based.

Lien entre imagerie du tenseur de diffusion et mémoire prospective

Le lien entre les altérations de la substance blanche liées au vieillissement et la MP a été très peu étudié. Quelques études ont été réalisées auprès de patients atteints du VIH [52], de lésions axonales diffuses [53] et d’enfants ayant subi un traumatisme crânien [54]. Ces travaux ont recherché des corrélations entre les performances obtenues aux tâches de MP et la diffusivité au niveau des différents faisceaux de substance blanche encéphaliques. Ainsi, les valeurs de FA au niveau de la corona radiata supérieure, du corps calleux, du faisceau longitudinal supérieur, du stratum sagittal (qui connecte les capsules internes et externes, la corona radiata, et les radiations thalamiques, formant ainsi le faisceau fronto-occipital), du cingulum [52, 54] et du faisceau unciné [54] sont corrélées positivement avec les scores de MP event-based. La diminution de la FA au niveau du gyrus parahippocampique, du lobe pariétal inférieur et du faisceau cingulaire antérieur est associée à de faibles scores de MP event-based[53].

À notre connaissance, seuls Gao et al. [49] ont étudié les altérations de la substance blanche liées à l’âge au cours d’une tâche de MP en imagerie de diffusion et fonctionnelle. La tâche en cours se déroulait comme suit : les participants voyaient apparaître à l’écran un point vert et une flèche indiquant la direction droite ou gauche. Ils devaient appuyer à gauche si la flèche indiquait la direction droite et inversement. La moitié des participants a réalisé en parallèle une tâche de MP consistant à appuyer à gauche lorsqu’un point rouge apparaissait, sans tenir compte de la direction de la flèche. Les résultats comportementaux montrent tout d’abord que les pourcentages de réponses correctes sont équivalents entre les sujets jeunes et les sujets âgés mais que, dans la tâche de MP, les sujets âgés répondent moins rapidement que les sujets jeunes. Par ailleurs, les données d’IRMf mettent en évidence, chez les sujets âgés comparés aux plus jeunes, une augmentation des activations dans plusieurs régions cérébrales, notamment le cortex frontal. Enfin, les auteurs observent, en imagerie du tenseur de diffusion, une diminution de la FA et une augmentation de la diffusivité dans les régions frontales, probablement en lien avec l’altération des fibres courtes classiquement constatée au cours du vieillissement normal. Enfin, ces modifications anatomiques des fibres courtes de substance blanche sont corrélées à une diminution des performances de MP. Cependant, cette étude n’observe pas réellement l’intégrité des faisceaux de substance blanche en lien avec la cognition puisqu’elle corrèle uniquement la longueur des fibres avec les scores de MP. Ces résultats restent donc à confirmer et à approfondir, mais soulignent l’intérêt d’analyser finement les substrats cérébraux de la MP au cours du vieillissement.

Conclusion

Cette synthèse de la littérature a exposé les recherches qui se sont intéressées au vieillissement cérébral et à son impact sur les capacités neurocognitives. Cette revue révèle que l’altération des faisceaux frontaux et pariétaux sous-tend le déclin des fonctions exécutives alors que l’altération des faisceaux temporaux sous-tend le déclin de la mémoire épisodique et de la mémoire de travail. D’autres études sont nécessaires afin notamment de mettre en lien les altérations de la substance blanche dans le vieillissement normal et les performances de MP. Il sera également intéressant de mettre en lien des données DTI et des scores de MP avec des scores en neuropsychologie car les capacités en MP dépendent fortement de l’efficience de ces fonctions.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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