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Médecine de la Reproduction

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Santé des enfants nés après transfert d’embryons congelés Volume 21, numéro 4, Octobre-Novembre-Décembre 2019

Tableaux

La congélation embryonnaire a constitué un progrès technique considérable pour la prise en charge des couples en assistance médicale à la procréation (AMP). Celle-ci a en effet permis d’offrir aux couples des chances supplémentaires de grossesse et de naissance, sans avoir à reprendre, pour chaque tentative, un nouveau cycle complet de traitement de fécondation in vitro (FIV). La notion de taux de naissances cumulées a ainsi pris le pas sur celle de taux de naissance par transfert, afin de considérer les chances de naissance à l’issue du transfert de l’ensemble des embryons frais et congelés obtenus lors d’une tentative de FIV.

Le recours à la congélation embryonnaire est de plus en plus fréquent, avec un pourcentage croissant d’embryons congelés lors de chaque tentative de FIV (25,5 % en 2016, contre 20,1 % en 2012) [1]. Les indications du freeze all, c’est-à-dire de la congélation de toute la cohorte embryonnaire lors d’une FIV, se sont dans le même temps élargies. Ces évolutions ont conduit à un pourcentage croissant d’enfants nés après congélation embryonnaire. En France, 6 774 enfants sont nés après transfert d’embryon congelé (TEC) en 2016, soit 25,7 % des naissances après AMP. De la même façon que la santé des enfants nés après FIV est une préoccupation constante de la communauté médicale depuis l’introduction de ces techniques, dans les années 1980, celle-là s’interroge désormais sur les éventuels impacts des procédés de congélation/décongélation sur l’avenir des enfants qui en sont nés. Ces interrogations sont d’autant plus légitimes que les techniques de congélation ont évolué depuis les années 2000, avec l’introduction de la vitrification embryonnaire. Du fait d’une efficacité plus élevée en termes de taux de survie embryonnaire et de taux de naissances par transfert, cette technique s’est imposée face à celle, « historique », de congélation lente, justifiant un vif intérêt pour ce sujet.

État des lieux sur les données publiées

Plusieurs études se sont intéressées aux données néonatales et à la santé des enfants après TEC. La très grande majorité de celles-ci sont rétrospectives et uniquement orientées sur les situations néonatales, mais quelques données sont disponibles sur la santé des enfants à plus long terme.

Données néonatales

Une série rétrospective a comparé 6 647 enfants nés après TEC (congélation lente d’embryons clivés) à 42 242 enfants nés après transferts d’embryons frais (TEF) et à 288 542 enfants nés après grossesse obtenue naturellement. Les résultats ont mis en évidence un risque de petit poids de naissance et de prématurité après TEC significativement inférieur à celui après transfert frais [2]. Néanmoins, les issues néonatales demeuraient moins favorables qu’après une grossesse naturelle [2]. Par ailleurs, le pourcentage de macrosomie fœtale relevé après TEC était plus élevé qu’après TEF [2].

Ces résultats ont ensuite été confirmés et complétés par d’autres études rétrospectives. Les données pour la période allant de 2008 à 2010 du registre japonais montrent que le risque d’hypotrophie et de prématurité était inférieur, et celui de macrosomie fœtale supérieur, chez 18 478 enfants nés après TEC par vitrification que chez 34 545 enfants nés après TEF [3]. L’évaluation du registre du Massachusetts entre 2004 et 2013 conduisait à des conclusions similaires chez 2 101 enfants nés après TEC (congélation lente et vitrification) et 12 390 enfants après TEF, avec ajustement sur les caractéristiques maternelles [4]. Elles retrouvent ainsi la diminution du risque d’hypotrophie et l’augmentation du risque de macrosomie après TEC, déjà connues. Elles mettent également en évidence, pour la première fois, une augmentation des risques de pathologies infectieuses, respiratoires et neurologiques à la naissance, que les auteurs attribuent à l’augmentation du poids moyen des nouveau-nés [4].

Le seul essai randomisé disponible dans la littérature évaluant le risque de prématurité et le poids de naissance ne rapportait aucune différence concernant le risque de prématurité, mais montrait un poids de naissance dans le groupe freeze all suivi de TEC significativement supérieur à celui du groupe TEF [5].

Finalement, deux méta-analyses récentes concluent à des issues néonatales plus favorables en TEC, au regard du risque de prématurité et d’hypotrophie, mais plus favorables en TEF pour ce qui concerne le risque de macrosomie fœtale [6, 7].

La technique de congélation utilisée ne semble pas influencer les résultats. Une étude rétrospective a ainsi évalué la santé néonatale de 2 065 enfants nés après TEC de blastocystes congelés par congélation lente, de 4 955 enfants nés après TEC de blastocystes congelés par vitrification et de 13 049 enfants nés après TEF [8]. De meilleures issues néonatales étaient observées dans les deux groupes de TEC, avec moins de prématurité et d’hypotrophie, mais un risque significativement supérieur de macrosomie [8]. Une série chinoise récente rapportait les mêmes conclusions [9].

Données sur la croissance des enfants

Une étude rétrospective française a montré que la cinétique de croissance fœtale diffère dès le deuxième trimestre en fonction de la technique d’AMP utilisée pour obtenir la grossesse [10]. Le poids estimé était supérieur aux références lors du deuxième trimestre pour toutes les techniques, alors qu’il était au-dessus des courbes de référence lors du troisième trimestre uniquement après TEC. La même équipe a mis en évidence des volumes placentaires supérieurs, dans le groupe TEC, à ceux des groupes TEF et de grossesses naturelles [11], suggérant une invasion placentaire excessive. Les auteurs soulignent le rôle central de l’épigénétique dans les effets placentaires et fœtaux des différents protocoles utilisés en AMP, et en particulier ceux de préparation endométriale. Il est également possible que l’exposition à des cryoprotecteurs, lors de la congélation puis de la décongélation, modifie le potentiel développemental des embryons.

Une série rétrospective écossaise a évalué les poids et tailles de 2 095 enfants nés après TEF, 519 après TEC et 10 507 conçus naturellement [12]. Elle montre que les enfants nés après TEF grandissent et grossissent moins vite in utero qu’en cas de TEC ou de grossesse naturelle, mais que leurs poids et tailles sont comparables à l’entrée à l’école, suggérant un rattrapage postnatal. Les auteurs insistent sur l’importance du suivi à long terme de ces enfants, l’hypotrophie et le rattrapage de poids postnatal constituant deux facteurs de risque indépendants de pathologies cardiovasculaires à l’âge adulte.

Données à plus long terme

Concernant le risque d’anomalies congénitales, quatre études rétrospectives ne montrent pas d’effet du TEC, par comparaison avec le TEF, sur l’incidence des malformations, que cela soit par congélation lente [13], par vitrification [14, 15] ou les deux [4]. Globalement, le taux de malformation majeure était de 3,4 % après AMP, contre 2,9 % chez les enfants conçus naturellement [16], et il était comparable entre les différents types d’AMP.

Les rares données publiées sur la santé des enfants à plus long terme sont favorables, ne mettant en évidence ni surrisque de pathologie chronique à 18 mois [17], ni surrisque d’hospitalisation pendant les trois premières années de vie [18]. Enfin, une étude récente est également rassurante quant au développement neuropsychologique des enfants, les performances scolaires d’adolescents de 15-16 ans nés après TEF (n = 6 072) ou TEC (n = 423) étant strictement comparables [19].

Hypothèses physiopathologiques

Prématurité et hypotrophie

Plusieurs hypothèses physiopathologiques ont été proposées pour expliquer le risque moindre de prématurité et d’hypotrophie après TEC. Certains ont suggéré que les techniques de congélation/décongélation élimineraient les embryons les plus « faibles » et sélectionneraient des embryons plus aptes à un devenir périnatal optimal [20]. Plus vraisemblablement, l’hyperœstrogénie induite par la stimulation ovarienne pourrait exercer un effet délétère sur l’endomètre, les incidences de la prématurité et de l’hypotrophie étant comparables en TEC versus en TEF, dans le modèle du don d’ovocytes [20]. En revanche, cette hypothèse ne permet pas d’expliquer le risque accru de macrosomie fœtale après TEC.

Macrosomie

Certains auteurs ont avancé l’hypothèse que le risque de macrosomie correspondrait en réalité à un simple décalage de la courbe de distribution des poids de naissance [21]. Néanmoins, la constatation que le risque de macrosomie est plus élevé en TEC qu’après conception naturelle contredit cette hypothèse. Plus probablement, des altérations épigénétiques au niveau de l’embryon préimplantatoire pourraient être responsables du surrisque de macrosomie. Ces altérations seraient liées à une perturbation de l’empreinte lors de certaines étapes des techniques de congélation et décongélation, en particulier celles qui impliquent l’exposition des embryons à des concentrations non négligeables de cryoprotecteurs [22]. L’observation de modifications des profils d’expression placentaire de certains micro-ARN en cas de TEC va dans ce sens [23], bien que les mécanismes impliqués restent encore obscurs.

Quelle est l’influence des protocoles de préparation endométriale ?

Plusieurs protocoles de préparation endométriale sont utilisés en routine lorsqu’un TEC est prévu : cycles naturel, stimulé et artificiel. La supériorité éventuelle de l’un de ces procédés en termes de taux de naissance fait toujours l’objet d’une controverse, et le choix du protocole est généralement lié au contexte clinique de la patiente, mais aussi aux politiques de centre. Les fluctuations hormonales induites par ces différentes méthodes sont extrêmement différentes, en particulier en termes d’hyperœstrogénie, ce qui pourrait avoir une influence sur les issues périnatales.

Une série rétrospective suédoise a ainsi récemment évalué les issues néonatales des TEC réalisés entre 2005 et 2015 (6 297 cycles naturels, 1 983 cycles stimulés et 1 446 cycles artificiels) [24]. Aucune différence n’a été mise en évidence quant au risque de prématurité ou d’hypotrophie entre les différents protocoles utilisés pour la préparation endométriale, mais le cycle artificiel était associé à une augmentation des risques de complications hypertensives de la grossesse, d’hémorragies du post-partum, de naissances post-terme et de macrosomie fœtale. Les cycles stimulés avaient des issues comparables à celles des cycles naturels, suggérant un lien entre l’absence de corps jaune et une issue obstétricale défavorable. Une étude chinoise formulait une conclusion similaire, en comparant les issues de 1 025 naissances après TEC en cycle artificiel à 3 872 naissances après TEC en cycle naturel [25].

Conclusion et perspectives

Trente-six ans après la première naissance rapportée après congélation embryonnaire [26], et alors que le nombre de TEC ne cesse d’augmenter, les données disponibles dans la littérature sont globalement rassurantes quant à la santé des enfants. Différentes études et méta-analyses confirment que les issues obstétricales et périnatales après TEC sont comparables, ou même plus favorables qu’après TEF (tableau 1). Les études publiées présentent cependant plusieurs limites, qui doivent être soulignées : il s’agit pour l’immense majorité d’observations rétrospectives, avec très peu de données à long terme, et comparant des enfants nés après TEC à ceux nés après TEF. Or, la constitution du groupe contrôle est, dans ce type d’études, une question clé. Pour certains, ce dernier devrait idéalement être constitué d’enfants conçus naturellement chez des couples subfertiles, afin de tenir compte de l’infertilité en tant que facteur participant potentiellement aux issues de santé des enfants [27]. Les études de ce type sont très rares, et aucune, à ce jour, n’a inclus les TEC. Enfin, le surrisque de macrosomie identifié chez les enfants nés après TEC soulève des inquiétudes concernant la sûreté d’utilisation de la congélation embryonnaire, notamment car les conséquences de la macrosomie sur la santé ultérieure des enfants sont encore mal connues. Ceci souligne l’importance d’études prospectives afin de poursuivre les efforts de suivi des enfants nés après congélation embryonnaire, et plus globalement après AMP.

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