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Médecine thérapeutique

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Tocilizumab : le nouveau Graall de la maladie de Horton Volume 24, numéro 6, Novembre-Décembre 2018

La maladie de Horton, ou artérite temporale, est une maladie inflammatoire du sujet âgé caractérisée par une artérite gigantocellulaire [1]. Il s’agit de la vascularite la plus fréquente de l’adulte de plus de 50 ans. Histologiquement, elle est caractérisée par une panartérite inflammatoire à cellules géantes, de topographie segmentaire et focale, touchant les artères de moyen ou grand calibre. Une de ses localisations préférentielles réside au niveau des branches de la carotide externe, responsable des manifestations cliniques les plus fréquentes, et permettant un site d’accès biopsique aisé : l’artère temporale superficielle.

Cliniquement, le tableau associe principalement une altération de l’état général et des symptômes crâniens (céphalées, hyperesthésie du cuir chevelu, claudication de la mâchoire et de la langue), parfois un souffle perceptible au niveau des gros troncs artériels [1]. Les complications vasculaires sont essentiellement visuelles (ischémie aiguë du nerf optique et oblitération de l’artère centrale de la rétine) et neurologiques (accidents vasculaires cérébraux), mais peuvent également toucher le cœur (infarctus du myocarde) ou l’aorte (anévrysme, dissection). La maladie de Horton s’associe fréquemment à une pseudo-polyarthrite rhizomélique (arthromyalgies inflammatoires des ceintures).

En l’absence de test diagnostique formel et devant la présentation polymorphe de la maladie, le diagnostic est posé sur un faisceau d’arguments cliniques, biologiques et histologiques [1]. L’American College of Rheumatology a proposé les critères diagnostiques suivants :

  • âge supérieur ou égal à 50 ans,
  • maux de tête localisés et d’apparition récente,
  • sensibilité ou diminution de pulsatilité d’une artère temporale,
  • vitesse de sédimentation (VS) supérieure à 50 mm à la première heure,
  • biopsie (incluant du matériel artériel) révélant une artérite nécrosante avec une prédominance de cellules mononucléées ou un granulome à cellules géantes.

L’existence de trois de ces cinq critères permet d’affirmer le diagnostic avec une sensibilité de 94 % et une spécificité de 91 %.

La physiopathologie de l’artérite gigantocellulaire reste relativement peu connue, mais des progrès considérables ont été faits dans ce domaine ces dernières années. Il existe probablement une prédisposition génétique, et, de la même façon que dans d’autres rhumatismes inflammatoires, une rupture de tolérance immunitaire [2]. L’hypothèse pathogénique communément admise est celle d’une stimulation antigénique par un antigène viral ou bactérien, ou peut-être un autoantigène. Chez ces patients prédisposés, une stimulation antigénique, probablement au niveau des cellules dendritiques de l’adventice des artères de gros calibre, aboutit à l’activation de ces dernières et à une rupture de la tolérance immunologique. La maturation de ces cellules dendritiques pourrait être induite par certaines cytokines (facteur de nécrose tumorale alpha [TNF-α] ou interleukine 1 [IL-1]). S’ensuivra la sécrétion de chimiokines (CCL-18, CCL-19, CCL-20 et CCL-21) et de cytokines (IL-6, IL-12 et IL-18) permettant de recruter des lymphocytes T (LT) CD4+. Les cellules dendritiques resteraient piégées au niveau de la media de l’artère sous l’influence des chimiokines (notamment CCL-21), participant à l’auto-entretien de la réaction inflammatoire. Ces lymphocytes subissent une expansion clonale qui reste localisée au niveau de l’artère. Dans un premier temps, les LTh1 sécrètent l’IL-1, le TNF-α ainsi que l’IFN-γ, aboutissant au recrutement de macrophages qui fusionnent et forment les cellules géantes constituant les granulomes. Par ailleurs, les LTh17 sécrètent l’IL-17 aboutissant à une réaction inflammatoire locale et systémique via la production d’IL-6 et de TNF-α par les macrophages recrutés préalablement. Les cellules géantes sécrètent elles-mêmes, dans un second temps, des facteurs cytokiniques tels que l’IL-1β et l’IL-6. Cette dernière agit au niveau du foie et entraîne la sécrétion de plusieurs facteurs inflammatoires, dont la protéine C réactive, biomarqueur de l’activité de la maladie de Horton [2]. Ces cellules géantes se localisent à la jonction intima/media de l’artère concernée et entraînent la destruction de la limitante élastique interne via la sécrétion de radicaux libre (espèces réactives de l’oxygène [ROS], NO) et de métalloprotéinase matricielle. Les cellules musculaires lisses vasculaires de la media subissent quant à elles un processus apoptotique. La fragmentation de la limitante élastique interne reste un marqueur anatomopathologique hautement spécifique de l’artérite à cellule géante.

Au niveau intimal, la sécrétion de ces facteurs par les macrophages aboutit à un processus de cicatrisation impliquant des facteurs de croissance tissulaire, au premier rang desquels le facteur de croissance dérivé des plaquettes (PDGF) et celui de l’endothélium vasculaire (VEGF) [2]. Le premier induit la prolifération et la migration des cellules musculaires lisses vasculaires depuis la media jusqu’à l’intima. Le second, dont la sécrétion est favorisée par une hypoxie tissulaire relative, induit la prolifération des cellules endothéliales et la formation de néo-vasa vasorum. Les vaisseaux nouvellement formés permettent d’entretenir la réaction inflammatoire locale, ce d’autant plus que les cellules endothéliales, sous l’influence des facteurs cytokiniques précédemment cités, produisent des facteurs d’adhésion (sélectine, protéine d’adhésion cellulaire vasculaire 1 [VCAM-1]) favorisant la diapédèse des LTh1. L’hyperplasie intimale gagne progressivement en volume, aboutissant à une sténose significative au niveau des artères de taille moyenne, voire à une thrombose, générant les symptômes cliniques et les complications mentionnées précédemment. Par ailleurs, la disparition de la limitante élastique interne fragilise considérablement la paroi artérielle, faisant le lit de possibles dissections et anévrysmes.

Les schémas thérapeutiques actuels en France reposent toujours, en priorité, sur la corticothérapie. Les recommandations de l’European League Against Rheumatism (Eular) concernant l’artérite temporale retiennent la posologie initiale de 1 mg/kg/j d’équivalent prednisone, avec un objectif de réduction rapide de dose pour arriver entre 10 et 15 mg/j à trois mois [3, 4]. La corticothérapie est maintenue sans modification posologique jusqu’à disparition des douleurs et de l’enraidissement, et amélioration des paramètres biologiques. L’utilisation de bolus de méthylprednisolone est prônée par certains auteurs, notamment en cas de manifestations visuelles voire vasculaires ischémiques.

La diminution posologique se fait ensuite par paliers, jusqu’à atteindre rapidement la posologie minimale efficace, si possible inférieure à 10 mg/j (diminution de 2,5 mg toutes les deux à quatre semaines lorsque la posologie est supérieure à 10 mg/j, puis de 1 mg tous les mois lorsqu’elle est inférieure à 10 mg) [4]. La durée de la corticothérapie varie de un à trois ans.

Cependant, la corticothérapie à fortes doses est à l’origine d’effets indésirables majeurs, en premier lieu : ostéoporose et fractures, déséquilibre glycémique, voire diabète, rétention hydrosodée et hypertension artérielle, hypokaliémie, cataracte, ostéonécroses aseptiques, surrisque infectieux. La plupart de ces effets iatrogènes augmentent considérablement le risque cardiovasculaire.

Parmi les autres thérapeutiques expérimentées ces dernières années, une méta-analyse consacrée au rôle du méthotrexate dans l’artérite gigantocellulaire montre une réduction du risque de première rechute de 35 % chez les patients traités par méthotrexate, sans différence significative d’effets indésirables, mais avec un bénéfice qui n’apparaissait qu’après six mois de traitement [3, 4]. Devant ce bénéfice modéré pour une faible toxicité, ces résultats tendent à faire envisager l’introduction de méthotrexate chez les patients corticodépendants.

Trois essais contrôlés randomisés évaluant le traitement par anti-TNF-α dans l’artérite gigantocellulaire ont été conduits selon une méthodologie rigoureuse. Les résultats n’ont cependant pas été concluants, ne montrant pas de bénéfice significatif [3, 4]. Parmi les anti-TNF-α, l’infliximab a été le plus étudié. Une étude ouverte avait noté une bonne tolérance et une certaine efficacité en termes d’épargne cortisonique chez des patients présentant une maladie de Horton corticodépendante. Néanmoins, un essai comparatif versus placebo n’a pas retrouvé de bénéfice en termes d’épargne cortisonique ou de meilleur contrôle de la maladie à 22 semaines, avec en revanche un surcroît d’infection dans le groupe infliximab. Le nombre d’étude concernant les anti-TNF reste faible, mais les effets secondaires associés à ce type de traitement, notamment l’augmentation du risque infectieux, et le peu de bénéfice thérapeutique prouvé n’encouragent pour le moment pas leur utilisation dans la maladie de Horton.

L’apparition d’une maladie de Horton chez deux patients traités par ipilimumab, anticorps monoclonal ciblant le CTLA-4 (pour cytotoxic T-lymphocyte antigen-4), a fait envisager l’implication de CTLA-4 dans la pathogenèse de la maladie de Horton. Un premier essai contrôlé randomisé testant l’abatacept (abatacept IV + prednisone versus placebo + prednisone) montre un nombre et une durée de rémission plus importants chez les patients traités par abatacept que chez les patients recevant le placebo, ceci sans effets indésirables majeurs [4]. Le traitement adjuvant par abatacept semble donc être une solution peu risquée et intéressante pour réduire le risque de rechute.

Parme les autres biothérapies disponibles, comme l’ustekinumab, les anti-IL-1, le rituximab, il faut souligner qu’à ce jour aucun de ces traitements n’est recommandé (absence de données suffisantes, effet non soutenu dans le temps ou effets secondaires potentiellement graves) [4].

Le tocilizumab est un anticorps monoclonal qui se lie au récepteur soluble et membranaire de l’IL-6, agissant par inhibition compétitive et empêchant la transmission du signal de l’Il-6 [3, 4]. Il s’administre à la dose de 8 mg/kg par voie intraveineuse lente tous les mois, ou par voie sous-cutanée hebdomadaire à la dose de 162 mg. Ce traitement a fait la preuve de son efficacité dans la polyarthrite rhumatoïde, et plus récemment dans l’arthrite juvénile idiopathique. Au vu de l’implication de l’IL-6 dans le recrutement des lymphocytes, la différenciation des macrophages en cellules géantes et la production par ces dernières de substances cytotoxiques dans la maladie de Horton, l’utilisation de cette molécule a été envisagée très tôt. Dès 2011, des cas cliniques isolés ont rapporté l’efficacité du tocilizumab dans la maladie de Horton, aboutissant à l’initiation d’un essai de phase II [5].

Il s’agit d’une étude monocentrique, contrôlée versus placebo, randomisée et en double aveugle ; elle a recruté des patients âgés de plus de 50 ans présentant une maladie de Horton nouvellement diagnostiquée, prouvée histologiquement au centre hospitalier de Bern [5]. Vingt patients ont été assignés au groupe corticoïde + tocilizumab et dix au groupe placebo + corticoïdes. Les patients ont bénéficié de treize cures à quatre semaines d’intervalle jusqu’à la semaine 52 (S52). La corticothérapie a été administrée par voie orale à la dose de 1 mg/kg/j, avec une décroissance programmée selon un protocole préétabli. Le critère de jugement principal était la proportion de patients dans chaque groupe en rémission de la maladie à S12 avec une dose de corticoïdes de moins de 0,1 mg/kg/j. Les analyses ont été réalisées en intention de traiter.

In fine, 85 % des patients du groupe tocilizumab et 40 % des patients du groupe placebo ont atteint le critère de jugement principal (p = 0,0301) à S12 [5]. La proportion de patients sans récidive à S52 était également plus faible dans le groupe tocilizumab que dans le groupe placebo, respectivement 85 et 20 % (p = 0,0010). La durée moyenne avant récidive était augmentée de douze semaines dans le groupe tocilizumab (p < 0,001), aboutissant à une dose cumulée de corticoïde de 43 mg/kg dans le groupe tocilizumab versus 110 mg/kg dans le groupe placebo (p = 0,0005), à cinquante-deux semaines.

Il est à noter que, dans cette étude, 35 % des patients du groupe tocilizumab et 70 % des patients du groupe placebo ont présentés des effets indésirables graves.

Plus récemment, suite aux résultats encourageant de cet essai de phase II, une étude de phase III a été conduite [6]. Il s’agissait d’un essai de supériorité, multicentrique, contrôlé, randomisé en quatre groupes selon un ratio 2/1/1/1, en double aveugle, analysé en intention de traiter, qui a comparé, durant un an :

  • un groupe recevant le tocilizumab par voie sous-cutanée toutes les semaines à la dose de 162 mg associé à une corticothérapie pendant vingt-six semaines (n = 100),
  • un groupe recevant le tocilizumab toutes les deux semaines à la dose de 162 mg associé à une corticothérapie pendant vingt-six semaines (n = 50),
  • un groupe recevant un placebo en sous-cutané associé à une corticothérapie pendant vingt-six semaines (n = 50),
  • un groupe recevant un placebo en sous-cutané associé à une corticothérapie pendant cinquante-deux semaines (n = 51).

Le critère de jugement principal (CJP) était la proportion de patients sans corticoïdes et en rémission, cette dernière étant définie par l’absence de récurrence de signes cliniques de la maladie de Horton, d’une élévation de la VS de plus de 30 mm ou plus par heure attribuable à la maladie de Horton à S52 dans les groupes tocilizumab toutes les semaines ou toutes les deux semaines et dans le groupe placebo avec décroissance des corticoïdes sur vingt-six semaines. Les critères de jugements secondaires étaient la proportion de patients en rémission et sans corticoïdes à S52, par rapport au placebo, associé à la décroissance de corticoïdes sur cinquante-deux semaines, la dose cumulée de prednisone à S52, la qualité de vie et la tolérance.

Le CJP était atteint chez :

  • 56 % des patients sous tocilizumab toutes les semaines,
  • 52 % des patients sous tocilizumab toutes les deux semaines,
  • 14 % des patients sous placebo avec décroissance de corticoïdes en vingt-six semaines (p <0,001),
  • 18 % des patients sous placebo avec décroissance des corticoïdes en cinquante-deux semaines (p < 0,001) [6].

La dose cumulée de prednisone sur les cinquante-deux semaines était de :

  • 1 862 mg (IC95% 1 582-1 942) dans le groupe tocilizumab toutes les semaines,
  • 1 862 mg (IC95% 1568-2240) dans le groupe tocilizumab toutes les deux semaines,
  • 3 296 mg (IC95% 2 730-4 204) dans le groupe placebo avec décroissance des corticoïdes sur vingt-six semaines,
  • 3 818 mg (IC95% 2 818-4 426) dans le groupe placebo avec décroissance des corticoïdes sur cinquante-deux semaines [6].

Dans le sous-groupe de patients inclus après une récidive de la maladie et ayant déjà été exposés aux corticoïdes, seul le groupe tocilizumab toutes les semaines différait de façon statistiquement significative des deux groupes placebos, ce qui n’était pas le cas dans le sous-groupe de malades nouvellement diagnostiqués, où chacun des deux protocoles de traitement était supérieur à chaque groupe placebo. Le score SF-36 évaluant la qualité de vie a augmenté de 4,10 points dans le groupe tocilizumab toutes les semaines, de 2,76 points dans le groupe tocilizumab une semaine sur deux alors qu’il a diminué de 0,28 point dans le groupe placebo avec décroissance de la corticothérapie sur vingt-six semaines et de 1,49 point dans le groupe placebo avec décroissance de la corticothérapie sur cinquante-deux semaines.

Le pourcentage de patients ayant présenté des effets indésirables était similaire dans l’ensemble des groupes ; aucun patient n’est décédé pendant l’année qu’a duré le protocole. Il est à noter qu’un patient du groupe tocilizumab toutes les deux semaines a présenté un infarctus cérébral.

Au regard de ces résultats, il semble légitime de s’interroger : avec le tocilizumab a-t-on trouvé le Graall de la maladie de Horton ? Doit-on modifier les recommandations et nos pratiques ? Ou au contraire, ne va-t-on pas plus vite que la musique ?

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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