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Médecine thérapeutique

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Intoxications médicamenteuses volontaires Volume 24, numéro 1, Janvier-Février 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

Tableaux

Épidémiologie et pronostic

Selon l’Institut de veille sanitaire, plus de 10 000 personnes décéderaient chaque année par suicide en France [1]. Ce chiffre reflète des situations très différentes (pendaison, utilisation d’armes, de toxiques, etc.), parmi lesquelles l’intoxication médicamenteuse volontaire (IMV) est de loin la plus fréquente. En effet, plus de 150 000 passages aux urgences, chaque année, seraient motivés par une tentative de suicide, dont une grande majorité d’IMV [1]. Ainsi, l’incidence des IMV serait de l’ordre de 1 à 5 % dans les Samu ou les services d’urgences [2]. Il est néanmoins difficile d’établir des chiffres précis d’incidence des IMV car il n’existe pas de définition consensuelle de cette pathologie. De plus, les IMV sont largement sous-déclarées aux centres antipoison français ; les incidences observées doivent donc être interprétées avec précaution.

Plusieurs études ont défini l’IMV comme étant une absorption (entérale ou non), intentionnelle, d’une quantité suprathérapeutique d’au moins un médicament [2, 3]. Le caractère intentionnel de l’absorption la différencie des surdosages et des intoxications criminelles. L’incidence des IMV varie selon la région géographique d’intérêt, le sexe (il existe un sex-ratio de deux femmes pour un homme) et l’âge (pics d’incidence entre 15 et 20 ans puis entre 35 et 45 ans) [4]. Enfin, il faut préciser que les IMV de la personne âgée sont largement sous-estimées [4] et que les intoxications médicamenteuses de l’enfant sont en très grande majorité d’origine accidentelle.

La grande fréquence des IMV et la consommation de soins importante associée à cette pathologie en font un enjeu majeur de santé publique. Cependant, la mortalité des IMV est faible, globalement inférieure à 1 % [4], et dépend des toxiques ingérés ainsi que des comorbidités des patients. Par exemple, La mortalité associée aux intoxications par psychotropes est de l’ordre de 1 ‰ tandis que celle liée aux intoxications par cardiotropes varie entre 5 et 25 % [4]. Parmi des tableaux cliniques le plus souvent bénins, il est donc primordial d’identifier quelques rares intoxications associées à une surmortalité non négligeable et à un risque d’évolution défavorable. Le caractère dynamique des intoxications participe également à la complexité de la prise en charge des patients. Ainsi, 5 % des patients sans détresse vitale initiale présentent secondairement une complication mettant en jeu le pronostic vital [2, 3]. Les facteurs de risques de dégradation secondaire d’un patient admis pour IMV dépendent essentiellement des caractéristiques de l’intoxication (tableau 1). Certains facteurs de risques moins fréquents sont également associés à une surmorbidité : l’insuffisance respiratoire chronique, ou encore les suicidants professionnels de santé.

Les principales complications des IMV sont le coma et ses conséquences (hypoventilation, pneumopathie d’inhalation ou rhabdomyolyse) et les troubles du rythme cardiaque. La pneumopathie d’inhalation consécutive aux troubles de conscience est associée à une augmentation des admissions en réanimation, de la durée de séjour hospitalier et de la mortalité [5]. Les troubles du rythme cardiaque sont redoutés parce qu’ils peuvent survenir chez des patients exempts de tout symptôme clinique alarmant, et concernent de nombreuses molécules via leur effet stabilisant de membrane (cf. infra : Sémiologie toxicologique) Enfin, certains toxiques particuliers sont responsables de complications spécifiques : l’intoxication au paracétamol, qui peut induire une hépatite cytolytique, l’intoxication à l’insuline et l’hypoglycémie, l’IMV au valproate de sodium provoquant une encéphalopathie hyperammoniémique et une hépatite toxique, etc.

Paradoxalement, le principal toxique des IMV est l’alcool. En effet, l’ingestion d’alcool est présente dans 40 à 50 % des IMV, et peut potentialiser les effets toxiques des médicaments, notamment au niveau du système nerveux central [2, 3]. Par ailleurs, la toxicocinétique des intoxications est influencée par le fait que la moitié des IMV associent plusieurs médicaments [2, 3]. Bien qu’il existe des disparités entre pays, les psychotropes, au premier rang desquels les benzodiazépines, sont les principales classes de médicaments ingérés (figure 1) [3, 4]. Les autres psychotropes absorbés sont les antidépresseurs et les antipsychotiques. Viennent ensuite, selon les pays, le paracétamol et les antalgiques morphiniques. Les cardiotropes (antiarythmiques et antihypertenseurs) sont plus rares, mais la fréquence de leur utilisation tend à augmenter du fait de l’augmentation du nombre de prescriptions de ces molécules au sein de la population. Il s’agit là d’une constante : l’épidémiologie des toxiques varie en fonction des « modes » de prescription, et les suicidants ingèrent généralement des molécules qui leur ont été prescrites [6]. On peut citer par exemple l’apparition depuis quelques années des intoxications au baclofène, suite à l’utilisation de cette molécule dans l’aide au sevrage alcoolique [7]. Parmi les antidépresseurs, les inhibiteurs de recapture de la sérotonine sont devenus très largement majoritaires alors que, dans les années quatre-vingt-dix, les antidépresseurs imipraminiques étaient prépondérants [8]. Enfin, il existe une proportion non négligeable de toxiques habituellement classés dans la rubrique « autres » du fait de leur très faible incidence, mais dont la toxicité n’est pas négligeable : insuline, chloroquine, antibiotiques, digoxine, anticonvulsivants, etc.

Sémiologie toxicologique

Les recommandations de 2006 définissent un toxidrome, ou syndrome toxique, comme un ensemble de symptômes cliniques, biologiques et/ou électrocardiographiques évocateurs d’une pathologie toxique [9]. Le toxidrome dépend donc des molécules ingérées, et son intensité varie en fonction des quantités de substances ingérées et des comorbidités du patient (par exemple une hypoventilation sévère avec coma hypercapnique chez un patient insuffisant respiratoire ayant ingéré une faible quantité d’opiacés). D’après l’épidémiologie décrite ci-dessus, les toxidromes les plus fréquemment rencontrés sont :

  • coma calme des benzodiazépines (associées ou non à l’alcool),
  • coma agité hypertonique des antipsychotiques parfois associé à un syndrome anticholinergique,
  • syndrome sérotoninergique des antidépresseurs,
  • coma calme bradypnéique des opiacés (tableau 2).

L’identification des toxidromes est primordiale, car elle permet de s’assurer de la cohérence entre l’anamnèse toxicologique et les symptômes cliniques du patient. En cas d’incohérence, l’absorption d’un autre toxique, non retrouvé à l’anamnèse, est à redouter. Lorsque l’IMV est polymédicamenteuse, les toxidromes peuvent êtres frustes. Néanmoins, l’identification de substances ingérées à partir des toxidromes est fiable dans plus de 80 % des IMV – les analyses toxicologiques devenant le plus souvent inutiles dans ces cas [9].

L’analyse de l’électrocardiogramme (ECG) fait partie intégrante de l’examen du sujet intoxiqué. Cette analyse doit s’intégrer dans la recherche des toxidromes. Deux complications sont particulièrement recherchées : les torsades de pointes et les troubles du rythme lié à l’effet stabilisant de membrane (figure 2). Sans surprise, certains antiarythmiques (amiodarone, flécaïnide, sotalol) et les antipsychotiques sont les drogues les plus souvent impliquées dans la survenue de torsade de pointes après intoxication [10]. Le risque de survenue de torsades de pointe est corrélé à l’allongement de l’intervalle QT [10]. L’utilisation du nomogramme de Fossa permet l’identification des patients avec un intervalle QT allongé et un risque de trouble du rythme [11]. L’effet stabilisant de membrane est lié à l’inhibition partielle de la phase G0 (entrée rapide de Na+ dans la cellule) du potentiel d’action au niveau de la membrane extracellulaire du cardiomyocyte. En conséquence, la conduction membranaire est altérée, ralentie. Au niveau de l’ECG, l’intervalle QT est allongé et l’onde T aplatie (repolarisation des fibres rapides), les complexes QRS sont élargis avec une onde R ample en aVR (dépolarisation des fibres rapides). Ces modifications ECG favorisent la survenue de troubles du rythme ventriculaires potentiellement létaux. Le traitement de l’effet stabilisant de membrane repose sur l’administration de sels de sodium molaire ou semi-molaire afin de favoriser l’entrée intracellulaire de sodium [12]. Certains toxiques (antiarythmique de classe I, antidépresseurs tricycliques, antipaludéens, certains antipsychotiques ou antihistaminiques notamment) sont particulièrement associés à la survenue d’un effet stabilisant de membrane (tableau 3).

Examens complémentaires

La prise en charge des IMV est très souvent uniquement symptomatique [9]. Dans la très grande majorité des cas, les patients ne bénéficient pas d’examens complémentaires ni d’une prise en charge spécifique. L’approche du patient admis pour IMV est schématisée en figure 3.

La prescription d’examens complémentaires n’a d’intérêt que dans quelques situations :

  • incertitude diagnostique (discordance clinique et anamnestique ou coma inexpliqué),
  • intoxication avec critères de gravité (admission en réanimation),
  • diagnostic d’une complication (pneumopathie d’inhalation),
  • situation la plus fréquente : si le résultat d’un dosage toxicologique quantitatif peut influencer la prise en charge du patient (e.g., paracétamolémie ou digoxinémie pour guider le traitement antidotique).

Les dosages toxicologiques spécifiques les plus utiles en pratique courante sont la paracétamolémie, la lithémie, la digoxinémie et la salicylémie. Le screening toxicologique large (grâce à l’analyse des composés par chromatographie) est réservé aux situations d’intoxications graves ou en cas de demande médico-légale. La réalisation d’un prélèvement sanguin à visée conservatoire peut être utile. Ce prélèvement permettra la réalisation d’analyses toxicologiques ciblées en cas de mauvaise évolution du patient.

Traitements

Le traitement des IMV est avant tout symptomatique : prise en charge des détresses vitales et surveillance médicale adaptée. L’insuffisance respiratoire et/ou le coma seront traités par oxygénothérapie et/ou intubation orotrachéale. La survenue de convulsions sera traitée par l’administration de benzodiazépines et, bien souvent, l’intubation orotrachéale et l’anesthésie générale. En cas de défaillance hémodynamique, l’utilisation d’amines est recommandée et les techniques d’assistance circulatoire sont à discuter en cas de choc réfractaire [13]. Le traitement des troubles du rythme cardiaque, notamment ventriculaires, est basé sur les algorithmes standard de prise en charge. Néanmoins, toute suspicion d’un effet stabilisant de membrane doit aboutir à l’administration, sans délai, de sels de sodium. [12]

Les traitements spécifiques des IMV sont de trois ordres : décontamination, élimination et antidotique. Bien que la littérature scientifique soit très prolixe sur ce sujet, la décontamination par lavage gastrique ou charbon activé n’a jamais prouvé son efficacité [9]. L’utilisation de ces thérapeutiques doit être réservée aux intoxications associées à une mortalité élevée. Le rapport entre bénéfice (hypothétique) et risque (notamment de pneumopathie d’inhalation) doit être évalué de façon pluridisciplinaire (urgentiste et/ou réanimateur et/ou toxicologue). L’élimination par diurèse forcée, bien que possible, n’a que peu d’intérêt. En effet, si l’élimination rénale d’un toxique doit être accélérée, la dialyse reste la technique de référence du fait de son efficacité. Les toxiques concernés sont essentiellement les salicylés et le lithium.

Le traitement antidotique est par nature très spécifique d’un toxique. Les antidotes les plus courants dans la prise en charge des IMV sont recensés dans le tableau 4. Il est primordial de comprendre que l’utilisation d’un antidote doit s’accompagner d’une surveillance médicale très rapprochée. En effet, la pharmacocinétique de l’antidote n’est généralement pas la même que celle du toxique et des effets rebonds de toxicité peuvent être observés. Par exemple, la naloxone a une demi-vie de 30 min tandis que la plupart des opiacés ont une demi-vie de plusieurs heures. Les modifications de toxicocinétique induites par une IMV polymédicamenteuse peuvent également modifier l’action des antidotes. Ces éléments sont à prendre en considération avant d’utiliser un antidote. Par exemple, le rapport bénéfice/risque ne sera pas souvent en faveur d’un traitement par flumazénil lors des intoxications aux benzodiazépines. La levée de l’effet neuroprotecteur des benzodiazépines pourrait favoriser la toxicité neurologique d’autres médicaments absorbés. Ainsi, en cas de coma après IMV polymédicamenteuse incluant des benzodiazépines, le recours à l’intubation après induction séquence rapide sera le plus souvent la meilleure option thérapeutique [9].

Focus sur quelques intoxications médicamenteuses volontaires

Paracétamol

Le paracétamol est le plus courant des traitements antalgiques, disponible sans prescription médicale, et à ce titre il est à risque de figurer comme cotoxique dans de nombreuses IMV. Sa toxicité est de type lésionnelle, donc retardée et difficilement réversible. La métabolisation du paracétamol crée notamment un composé toxique pour l’hépatocyte, le N-acétyl-p-benzoquinone imine (NAPQI). Ce métabolite est habituellement dégradé et neutralisé grâce au système de la glutathion peroxydase. Plusieurs situations conduisent à un épuisement de ce système de détoxication et donc à l’accumulation de NAPQI :

  • la prise d’une grande quantité de paracétamol (intoxication aiguë),
  • l’épuisement du stock de glutathion (intoxication chronique, dénutrition sévère),
  • le blocage des autres voies métaboliques du paracétamol – par les inhibiteurs des glucuronyl transférases comme le sulfaméthoxazole (Bactrim®) par exemple,
  • l’augmentation de la voie métabolique conduisant à la production de NAPQI (médicaments inducteurs de cytochromes ou éthylisme chronique).

La dose toxique du paracétamol pour un adulte est de 150 mg/kg. Si l’une des situations à risque décrite ci-dessus est présente, une toxicité hépatique peut être présente dès 100 mg/kg. Le risque d’évolution vers une hépatite cytolytique est évalué par un dosage plasmatique reporté sur le nomogramme de Rumack et Matthew [14] (figure 4), qui permet de tenir compte du délai entre l’ingestion et le dosage. Ce nomogramme guide l’initiation ou la poursuite d’un antidote selon que la paracétamolémie du patient se trouve au-dessus (risque de toxicité aiguë) ou en dessous (absence de risque toxicité aiguë) de la ligne B de « traitement ». La ligne C doit être utilisée en présence d’un des facteurs de risque chez le patient.

Le traitement antidotique est la N-acétylcystéine, qui, par sa capacité à « donner » de la cystéine, permet la régénération du glutathion. Il est indiqué même avant dosage plasmatique du paracétamol en cas de dose ingérée toxique ou en présence de signes cliniques d’hépatite (douleurs abdominales, vomissements, ictère, etc.). La posologie est décroissante selon le schéma : perfusion intraveineuse lente de 150 mg/kg (dans 250 mL de G5 %) en 60 min puis 50 mg/kg (dans 500 mL de G5 %) en 4 h puis 100 mg/kg (dans 1 000 mL de G5 %) en 16 h. Si le patient est vu au-delà de 24 h ou si des signes d’hépatite cytolytique sont déjà présents, la N-acétylcystéine peut être utilisée selon le même protocole, suivi de 300 mg/kg par 24 h jusqu’à la guérison [9]. Le traitement systématique par N-acétylcystéine a révolutionné le pronostic des intoxications au paracétamol qui évolue dorénavant rarement vers une insuffisance hépatique sévère nécessitant une transplantation hépatique si elle est prise en charge précocement.

Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine

Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont impliqués de façon croissante dans les intoxications médicamenteuses volontaires [15]. Leur toxicité est neurologique, à type de syndrome sérotoninergique, et cardiovasculaire, marquée par un allongement de l’espace QT. Le syndrome sérotoninergique, ou toxicité sérotoninergique, est dû à un excès de sérotonine au niveau du système nerveux central, lié à la prise de certains médicaments, et uniquement lié à une prise médicamenteuse. Il n’existe pas de définition consensuelle précise, ni de description typique du syndrome sérotoninergique, mais une série de symptômes diversement associés d’un patient à un autre. La présentation clinique va de symptômes presque imperceptibles au décès. Le diagnostic de syndrome sérotoninergique a longtemps été posé grâce aux critères de Sternabch, associant à l’ingestion d’un agent sérotoninergique la présence d’au moins trois des signes suivants : confusion ou hypomanie, fièvre, agitation, tremblements (tremor), myoclonies, frissons, hyperréflexie ostéotendineuse, incoordination motrice (ataxie), diaphorèse et diarrhée. Ces symptômes doivent survenir en l’absence d’introduction ou de modification de posologies d’un neuroleptique et en excluant une autre étiologie (infection, cause métabolique ou sevrage). Cette définition, vaste et difficile à appliquer, notamment en urgence, a été adaptée et modifié en 2003 par Dunkley sous le nom de critères (ou diagramme) de Hunter [16]. Ce diagramme repose sur les critères suivants, après l’ingestion d’un agent sérotoninergique :

  • clonus spontané,
  • ou clonus inductible et agitation ou diaphorèse,
  • ou clonus oculaire et agitation ou diaphorèse,
  • ou tremor et hyperréflexie,
  • ou hypertonie musculaire et température > 38 ̊C et clonus oculaire ou inductible.

Cette simplification permet de poser le diagnostic de toxicité sérotoninergique et de débuter une prise en charge adaptée le cas échéant. L’expression de cette toxicité sérotoninergique peut aller de symptômes peu sévères comme une insomnie, des vomissements ou une hyperréflexie, à une expression grave incluant des convulsions, un coma, et une hyperthermie, engageant le pronostic vital. Le traitement repose sur un arrêt de l’agent sérotoninergique et un traitement essentiellement symptomatique allant de l’hydratation à la sédation profonde voire la curarisation, en insistant sur la prévention de l’hyperthermie. Des traitements spécifiques, tels que la cyproheptadine par voie orale ou la chlorpromazine par voie intraveineuse, ont été proposés, mais ne reposent ni sur des essais cliniques ni sur des preuves fortes de leur efficacité.

L’autre versant de la toxicité des ISRS est représenté par des troubles rythmiques à type d’allongement de l’espace QT. Cependant, il ne s’agit pas d’un effet de classe, car cette toxicité n’est observée qu’avec deux ISRS : le citalopram et l’escitalopram. Cet allongement de l’espace QT dans le cadre d’intoxication avec l’un de ces deux ISRS doit être monitoré. Le nomogramme de Fossa semble être l’outil le plus simple à utiliser à cette fin (figure 5). En cas d’allongement de l’espace QT ou de dose de citalopram supérieure à 100 mg il semble licite de proposer au patient un monitorage cardio-vasculaire durant 13 h, ou tant que le QT reste allongé. Cependant, si la dose supposée ingérée de citalopram est inférieure 1 000 mg et que le QT est normal, aucune surveillance cardiologique n’est préconisée.

Malgré cette toxicité essentiellement sérotoninergique et potentiellement grave, le pronostic de ces intoxications est bon, et la mortalité des intoxications les plus graves reste faible, inférieure à 1 %.

Intoxications aux cardiotoxiques

Les IMV par cardiotoxiques ont une mortalité élevée, de l’ordre de 15 à 20 % en réanimation [9, 17]. Si la gravité immédiate est facilement diagnostiquée, il n’en est pas de même des IMV par cardiotoxiques sans détresse vitale évidente mais à potentiel évolutif. L’ECG est incontournable, c’est un outil diagnostique (bradycardie, effet stabilisant de membrane, allongement du segment QT, etc.) et de suivi. Le monitorage invasif de l’hémodynamique et l’échographie sont indispensables en cas d’intoxication grave. Les objectifs thérapeutiques sont de maintenir une pression artérielle moyenne supérieure à 65 mmHg, une fréquence cardiaque supérieure à 60/min (si possible sinusale et régulière) et la disparition des signes d’hypoperfusion périphérique. L’oxygénation est systématique car l’hypoxémie participe à la dégradation hémodynamique. Ainsi la ventilation invasive est d’indication large en cas de défaillance hémodynamique non contrôlée. Le remplissage vasculaire par cristalloïdes est le plus précoce possible et s’accompagne presque constamment de l’administration de catécholamines dont le choix est guidé par l’effet hémodynamique recherché (action sur la volémie, la vasoplégie et/ou la compétence cardiaque). En l’absence d’évaluation hémodynamique, l’adrénaline est la catécholamine de choix en urgence.

Selon les toxiques, plusieurs thérapeutiques et traitements antidotiques sont proposés. Lors des intoxications aux bêtabloqueurs, l’atropine augmente brièvement la fréquence cardiaque par action sur les récepteurs anticholinergiques muscariniques. Son efficacité est souvent limitée. Le glucagon est l’antidote des intoxications aux bêtabloqueurs [18]. Il est indiqué en cas de collapsus non corrigé par le remplissage et/ou l’accélération de la fréquence cardiaque. L’administration du glucagon nécessite un bolus (5 à 10 mg en une dose), dont l’efficacité est mesurée en 10 min. En cas d’efficacité, le bolus est suivi d’une dose en débit continu (maximum de 10 mg/h). L’efficacité aléatoire et peu démontrée du glucagon, son coût élevé et l’épuisement possible rapide des stocks le place pour certains auteurs en seconde intention après la dobutamine. Les catécholamines β-agonistes (isoprénaline, dobutamine, adrénaline, etc.) s’opposent de façon compétitive à l’effet antagoniste des récepteurs β. La forte affinité pour les récepteurs β de la dobutamine rend inhabituel le recours à de très fortes doses. L’adrénaline est la catécholamine de choix après échec de la dobutamine et du glucagon [9]. Particularité de l’intoxication au sotalol, l’isoprénaline est utilisée en première intention, pour prévenir le risque de torsade de pointe en raccourcissant l’intervalle QT.

Lors des intoxications aux antagonistes calciques, l’administration de sels de calcium est toujours proposée, mais l’efficacité sur les troubles du rythme ou de la conduction est aléatoire [17]. Le chlorure de calcium (à 10 %) est plus efficace que le gluconate de calcium. L’insulinothérapie euglycémique à forte dose augmente l’inotropisme par l’augmentation du transport intracellulaire du glucose et du calcium. Cet antidote est utilisé lors des intoxications graves aux antagonistes calciques et/ou aux bêtabloqueurs, avec états de choc nécessitant des catécholamines après échec de l’injection de sels de calcium ou de glucagon.

En cas d’effet stabilisant de membrane (cf. supra), la perfusion de sels molaire de sodium est recommandée face à un bloc de conduction ventriculaire (QRS > 0,12 s) associé à une défaillance hémodynamique [12]. L’efficacité de l’utilisation de bicarbonate molaire de sodium est mesurée sur l’affinement des QRS et l’amélioration hémodynamique. L’administration peut être répétée.

L’immunothérapie par anticorps (fragments Fab), a bouleversé le pronostic des intoxications aiguës par les digitaliques [19]. La stratégie historique curative repose sur la présence de :

  • tachycardie ou de fibrillation ventriculaires,
  • bradycardie inférieure à 40/min réfractaire à l’atropine (1 mg par intraveineuse directe),
  • kaliémie supérieure à 5 mmol/L,
  • choc cardiogénique,
  • infarctus mésentérique.

Le développement d’une stratégie prophylactique en présence de facteurs de mauvais pronostic (sexe masculin, âge > 55 ans, cardiopathie préexistante, bradycardie < 60/min ou bloc auriculoventriculaire II/III résistant à l’atropine, kaliémie > 4,5 mmol/L) permet d’éviter les complications mettant en jeu le pronostic vital. L’effet du traitement par anticorps est rapide. Les symptômes digestifs et cardiovasculaires s’amendent en quelques minutes.

Les thérapeutiques par émulsions lipidiques ou inhibiteurs des phosphodiestérases myocardiques type III restent exceptionnelles et sont déconseillées en routine [20]. Du fait de leur efficacité incertaine, leur utilisation est réservée aux intoxications graves réfractaires aux traitements conventionnels.

Enfin, les indications de l’assistance circulatoire extracorporelle méritent d’être mieux précisées [13]. Cette technique doit être envisagée précocement car elle nécessite la mise en place rapide de nombreuses ressources médicales. Une filière spécifique doit être préalablement établie en relation avec les unités de proximité de chirurgie cardio-vasculaires et les services de réanimation associés. L’assistance circulatoire est proposée chez les patients intoxiqués présentant soit un arrêt cardiaque persistant survenu devant témoin et réanimé précocement, soit un choc cardiogénique réfractaire, soit une arythmie ventriculaire maligne résistante aux thérapeutiques conventionnelles maximales.

Liens d’intérêt

MM a reçu des fonds de Resmed, de Mundipharma, de Vidal, de Novartis et de Boehringer pour des projets de recherche et participations à des congrès scientifique. DV a reçu des fonds de Resmed, d’AstraZeneca, de Boehringer pour des projets de recherche et participations à des congrès scientifique. SB a reçu des fonds de Mundipharma pour des projets de recherche et participations à des congrès scientifique.

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