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Médecine thérapeutique

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Editorial - Le prélèvement d’organes dans une perspective de santé publique : de l’autorisation au devoir Volume 5, numéro 6, Juin - Juillet 1999

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La greffe est une méthode thérapeutique dont l’efficacité est aujourd’hui largement établie. Elle prolonge la vie de nombreuses personnes et offre à beaucoup de malades une qualité de vie supérieure à celle des autres thérapeutiques possibles. Il s’agit d’une thérapeutique particulière puisqu’elle introduit entre le médecin et son malade la nécessité de pouvoir disposer d’un greffon viable et donc le recours à une tierce personne. Dans la grande majorité des cas, celle-ci est décédée dans des conditions très inhabituelles qui autorisent justement le prélèvement d’un greffon viable. Prélever un élément du corps d’une personne décédée en vue d’une greffe n’est pas un acte banal. La société a bien compris qu’en autorisant des médecins à effectuer ce type de prélèvement, elle acceptait une transgression dont la seule justification devait être l’intérêt thérapeutique supérieur pour un ou plusieurs malades. La société a donc organisé, à travers la loi et les règlements, les conditions dans lesquelles des médecins sont autorisés ainsi à dépasser l’interdit traditionnel qui relève du respect du corps d’une personne décédée. Afin de permettre à ces médecins d’éviter de tomber sous le coup de la loi pénale, une loi d’exception, la loi de bioéthique promulguée en 1994, définit très précisément les principes rendant possible un tel prélèvement au nom de la dignité de la personne humaine et du respect dû à son corps : le consentement au prélèvement, la gratuité des éléments prélevés et le respect de l’anonymat entre le donneur et le receveur. Le début du processus est particulièrement encadré en ce qui concerne les conditions du diagnostic de la mort dans la perspective d’un éventuel prélèvement, et le recueil du consentement, avec, depuis septembre 1998, l’interrogation obligatoire du Registre national des refus. Les arguments sanitaires en faveur du prélèvement d’organes et de tissus sont au premier plan. La valeur thérapeutique de la greffe n’est guère aujourd’hui contestée. En effet, celle-ci est en mesure de prolonger la vie de personnes qui sont menacées par la défaillance aiguë ou progressive d’un organe ou d’un tissu vital. C’est le cas en particulier lorsque la défaillance organique se trouve au-delà de toute ressource thérapeutique, qu’elle soit médicamenteuse, chirurgicale ou autre. Les exigences éthiques ou pratiques n’ont en général pas permis d’en apporter une démonstration scientifique formelle par la comparaison méthodique et prospective de groupes de malades, les uns étant greffés et les autres ne l’étant pas. Un faisceau d’arguments très convaincants quant à la capacité de la greffe de prolonger la vie de certains malades a pu cependant être rassemblé. Cette prolongation se fait le plus souvent au prix d’un risque chirurgical et d’un traitement immunosuppresseur dont les complications de nature infectieuse ou tumorale sont connues. Par ailleurs, la réaction immunologique de rejet explique la dégradation, parfois brutale, en général progressive au fil des années, de la fonction du greffon jusqu’à ce que son bénéfice soit parfois annulé. C’est le cas en particulier pour les greffes d’organes. Si l’évolution des thérapeutiques en cardiologie est venue, au cours des années récentes, réduire la place de la transplantation cardiaque, il n’en n’est pas de même en hépatologie. En raison de progrès récents, les transplantations pulmonaires, aujourd’hui encore peu nombreuses, semblent promises à une extension. Les greffes de tissus font preuve d’une efficacité encore plus facilement démontrable, dès lors qu’il s’agit de tissus pouvant jouer un rôle vital, comme la peau, les valves cardiaques, les vaisseaux, dans certaines indications urgentes. Le bénéfice de la greffe de rein, du point de vue sanitaire, est également lui aussi incontestable, même s’il ne porte pas sur la prolongation de la durée de vie. De nombreuses études ont rapporté le fait que la qualité de vie après transplantation rénale est en moyenne supérieure à celle liée à la poursuite du traitement par dialyse, quelle qu’en soit la modalité. La durée moyenne de fonction du greffon rénal est d’environ 10 ans. Sur le plan de la qualité de vie, la greffe de cornée apporte aussi un bénéfice très important en redonnant une autonomie à des personnes d’âge parfois avancé dont la vie quotidienne est fortement handicapée par une cécité. A ces avantages sanitaires s’ajoute, pour certains types de greffe, un avantage en termes de dépenses de santé. Si un tel avantage est difficile à établir pour des greffes telles que celles de cœur, de foie ou de poumon, il apparaît, en revanche, plus évident pour la greffe de rein ou de cornée. En matière de greffe de rein, de nombreux travaux ont montré que, au-delà de la première année après la greffe, le coût de l’année de greffe est très inférieur au coût de l’année de traitement par dialyse. Compte tenu des besoins croissants en matière de prise en charge thérapeutique de l’insuffisance rénale, il est compréhensible dès lors que, du strict point de vue économique aussi, tous les efforts soient faits pour tenter de développer l’activité de greffe rénale. Cette exigence est d’ailleurs reconnue aujourd’hui, comme en témoigne le rapport stratégique de la Caisse nationale d’assurance maladie publié en mars 1999. Par l’autonomie retrouvée et la possibilité d’une reprise d’activité professionnelle ou simplement d’une vie dans des conditions normales, la greffe de cornée, au prix d’un acte chirurgical simple et relativement peu coûteux, est susceptible également de constituer un bénéfice important en termes de dépenses de sécurité sociale. La greffe s’est ainsi transformée, au fil des ans, d’une thérapeutique révolutionnaire en une entreprise médicale cohérente, à l’évidence utile. Il n’y a pas de greffe sans greffons. A cette mutation de la greffe doit faire écho celle du prélèvement qui, d’un acte inhabituel longtemps jugé facultatif, doit se transformer en la mission exigeante mais nécessaire de près de 300 établissements de santé en France.