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Médecine thérapeutique

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Diagnostic positif et étiologique des polyneuropathies distales des membres inférieurs Volume 24, numéro 6, Novembre-Décembre 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Tableaux

Épidémiologie

Les polyneuropathies sont un problème fréquent et touchent environ 1 % de la population générale et jusqu’à 7 % de la population âgée, selon une large étude néerlandaise [1]. Chaque médecin sera donc confronté à cette problématique à un moment donné de son exercice.

Les formes chroniques représentent la très grande majorité des polyneuropathies et peuvent avoir de nombreuses causes différentes, ce qui complique leur classification et le bilan étiologique [2, 3]. Elles sont le sujet principal de cet article. Les formes aiguës sont en effet nettement plus rares et généralement liées au syndrome de Guillain-Barré (ou exceptionnellement à une vascularite ou une intoxication). Leur diagnostic positif et étiologique pose généralement moins de problèmes.

Classifications (polyneuropathie distale, axonale, polyradiculonévrite, neuronopathie, etc.)

La classification des polyneuropathies chroniques est souvent difficile à appréhender du fait de la cohabitation de différentes catégories qui se recouvrent plus ou moins. Elle est pourtant importante pour comprendre le lien entre la physiopathologie et la clinique et pour guider le diagnostic étiologique.

Les maladies diffuses globalement symétriques du système nerveux périphérique sont généralement appelées polyneuropathies, par opposition aux maladies monofocales (mononeuropathies tronculaire, plexuelle ou radiculaire) ou multifocales asymétriques (multinévrite = mononeuropathies multiples) (figure 1).

La première classification des polyneuropathies est clinique, fondée sur le caractère longueur-dépendant ou non de l’atteinte [2]. Elle est encore utilisée en première intention, du fait de sa simplicité, mais elle est moins adaptée à un bilan approfondi. Elle distingue :

  • les polyneuropathies à prédominance distale ou longueur-dépendante (de loin les plus fréquentes), dans lesquelles les symptômes sont sensitifs et moteurs à prédominance sensitive. Ils débutent aux extrémités des membres avant d’évoluer vers les racines au bout de plusieurs années. Ces polyneuropathies distales sont historiquement appelées aussi polynévrites dans la terminologie francophone, bien qu’il soit très rare qu’une infection ou une inflammation soient impliquées,
  • les autres polyneuropathies (nettement plus rares) non longueur-dépendantes, aussi appelées polyradiculonévrites.

Selon une variante, certains auteurs restreignent le terme polyneuropathie aux formes à prédominance distale et considèrent les formes non longueur-dépendantes comme des « polyradiculoneuropathies ». Comme il n’existe pas de différence histologique entre les troncs et les racines nerveuses », cette distinction n’est pas vraiment justifiée sur le plan physiopathologique.

Cette classification clinique va souvent évoluer, après électromyogramme (EMG) et/ou avis neurologique, en une seconde classification, basée sur la physiopathologie, qui permet d’avancer dans le bilan (figure 1) [3]. Celle-ci distingue les polyneuropathies liées aux atteintes :

  • du transport axonal (les plus fréquentes; qui altèrent en premier les nerfs les plus longs; souvent par un mécanisme métabolique ou toxique, voire génétique),
  • de la myéline (mécanisme auto-immun ou génétique; la plupart du temps non longueur-dépendant mais pas toujours),
  • des corps cellulaires des neurones (mécanisme dégénératif, auto-immun ou génétique; symptômes soit sensitifs, soit moteurs, le plus souvent non longueur-dépendant) (= neuronopathie),
  • uniquement les petites fibres peu ou pas myélinisées (mécanismes variés, sensitif pur, longueur-dépendant ou non).

Diagnostic positif

Le tableau clinique typique de la polyneuropathie distale [1-4] est important à connaître :

  • d’abord des paresthésies/dysesthésies (fourmillements, picotements, coups d’électricité, etc.) des orteils puis des pieds et des chevilles. Le caractère neuropathique peut être vérifié par le questionnaire DN4 (pour « douleur neuropathique en quatre questions ») [2]. Les symptômes peuvent remonter dans les jambes et apparaître au niveau des doigts et des mains, mais pas avant plusieurs années,
  • puis un déficit sensitif objectif (épicritique ou pallesthésique), qui suivra le même cheminement. Dans les formes sévères/tardives, avec destruction d’une grande partie des nerfs sensitifs des membres inférieurs, une ataxie proprioceptive (aggravée à la fermeture des yeux et non latéralisée) peut apparaître,
  • puis un déficit moteur,qui concernera d’abord la dorsiflexion des pieds, avec amyotrophie des muscles de la loge antérieure des jambes. L’atteinte motrice des muscles intrinsèques des pieds est en effet peu parlante cliniquement. Dans les formes sévères/tardives, un déficit de la flexion plantaire des pieds et de l’écartement des doigts peut apparaître,
  • avec une diminution des réflexes ostéotendineux dans les zones concernées (réflexes achilléens ++).

L’EMG ± avis spécialisé neurologique n’est pas indiqué si les symptômes sont typiques, peu évolutifs et associés à une cause bien identifiée (tableau 1, figure 2) [2-5].

L’EMG réalisé dans le cas d’une polyneuropathie distale typique montrera le plus souvent des anomalies sensitives et motrices prédominant sur les amplitudes, ce qui permettra de la classifier comme polyneuropathie axonale et de rechercher des maladies, principalement métaboliques ou toxiques. Plus rarement (mais d’autant plus souvent qu’il y avait des atypies cliniques), l’EMG sera l’occasion de la reclassifier en polyneuropathie démyélinisante ou par atteinte du corps cellulaire, ce qui modifiera le bilan étiologique. L’EMG peut aussi être normale, soit parce qu’on n’est qu’au début de l’évolution, soit parce qu’on est en présence d’une neuropathie des petites fibres non explorées par cet examen.

Diagnostic différentiel

Pathologies neurologiques

Autres polyneuropathies non distales et non axonales : présence de signes d’alerte (tableau 2).

Syndrome des jambes sans repos : besoin de bouger les jambes le soir et au décubitus.

Lésion médullaire : réflexes vifs, signe de Babinski, symptômes plus étendus et troubles sphinctériens.

Lésions radiculaires lombosacrées multiples (type canal lombaire étroit) : contexte de lombalgies et de radiculalgies. L’association avec une vraie polyneuropathie n’est pas rare.

Sclérose latérale amyotrophique débutant aux membres inférieurs : déficit moteur, amyotrophie et fasciculations sans douleurs ni hypoesthésie. Un syndrome pyramidal peut être présent dans le même territoire.

Pathologies non neurologiques

Rhumatologiques (tendinite, arthrose, aponévrosite plantaire, etc.) : douleurs mécaniques ou inflammatoires non neuropathiques. Elles peuvent être intriquées avec une vraie polyneuropathie.

Vasculaires : artériopathie oblitérante des membres inférieurs (douleurs musculaires à l’effort avec claudication) ou insuffisance veineuse (contexte de varices, douleurs vespérales soulagées par la surélévation).

Diagnostic étiologique

Les polyneuropathies distales sont donc généralement liées à une perturbation métabolique ou à un toxique qui provoque la dégénérescence des axones les plus longs. L’interrogatoire et l’examen clinique rechercheront une des nombreuses étiologies connues en commençant par les plus fréquentes (tableau 2) [2, 4, 6]. L’intolérance au glucose sans diabète n’est pas rare et doit être dépistée par des tests appropriés comme l’hémoglobine glyquée (HbA1c) et l’hyperglycémie provoquée par voir orale [2]. De même, une intoxication alcoolique doit être recherchée avec attention (consommation de plus de quatorze unités d’alcool par semaine chez la femme et vingt et une chez l’homme, sur une longue période, mais pas forcément récente).

La figure 2 propose une conduite à tenir en s’appuyant notamment sur le bilan de première ligne recommandé par la Haute Autorité de santé [2] pour éviter à la fois le sous-diagnostic et les bilans étiologiques lourds et inutiles [4-6].

La polyneuropathie distale idiopathique

Il s’agit d’une entité fréquente et réelle, qui n’est pas seulement due à une insuffisance du bilan. Aucune cause n’est en effet identifiée dans 20 à 40 % des polyneuropathies, même après un bilan poussé [1, 4, 5]. Ces polyneuropathies idiopathiques surviennent généralement après 50-60 ans et sont d’intensité modérée (sans déficit moteur ni ataxie proprioceptive) et d’évolution lente [1-4]. Tant qu’on reste dans ce cadre, la meilleure solution est de garder une surveillance plus ou moins rapprochée mais de ne pas multiplier les examens complémentaires invasifs et coûteux qui ne montrent presque jamais d’autre cause [7]. Le mécanisme de ces neuropathies reste débattu mais implique probablement de légères perturbations métaboliques multifactorielles qui altèrent le transport axonal chez certains individus prédisposés. Plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire sont en effet plus fréquemment observés chez ces patients que dans la population générale (hypertensiotn artérielle, obésité, dyslipidémie) [8-10].

Il conviendra de rassurer le patient sur le pronostic favorable, avec conservation des capacités de marche et de manipulation des objets sur au moins 5-10 ans [7]. Il n’y a pas d’étude sur le pronostic à très long terme mais l’âge élevé des patients rend plus probable la survenue d’autres maladies avant l’installation d’une polyneuropathie sévère. Les douleurs neuropathiques peuvent cependant être gênantes. Un traitement par des antalgiques dérivés des antiépileptiques et des antidépresseurs pourra être essayé. Leur efficacité et leur tolérance ne sont cependant pas parfaites [11].

Explorations complémentaires dans certains cas

En cas de signes d’alerte (tableau 1), un bilan de deuxième ligne est pratiqué [2-6]. Il inclut généralement au moins un complément de bilan biologique (vitamine B9 et B12, sérologie VIH, virus de l’hépatite C et Lyme, électrophorèse des protéines sériques avec immunoélectrophorèse, anticorps antinucléaires), un scanner thoraco-abdomino-pelvien, une biopsie de glande salivaire accessoire (recherche de maladie de Gougerot-Sjögren, sarcoïdose et amylose) et une ponction lombaire.

Un bilan de troisième ligne peut-être discuté au cas par cas, selon le tableau clinique et l’EMG, d’habitude dans des milieux très spécialisés [3, 6]. Les examens complémentaires envisageables sont indiqués dans le tableau 3. La biopsie nerveuse, invasive et qui laisse une hypoesthésie et des douleurs, est de moins en moins pratiquée. Elle est encore réalisée en cas de vascularite ou d’amylose suspectée mais non démontrée par d’autres examens, ou parfois de tumeur, d’inflammation ou d’atteinte génétique atypique [6]. La biopsie cutanée est nettement moins invasive et analyse la densité des petites fibres non explorées à l’EMG (figure 1). Cependant, la détermination des normales de densité des petites fibres est délicate et les neuropathies par hyperactivation sans destruction des petites fibres lui échappent aussi [12]. L’IRM des racines et des plexus peut être utile pour le diagnostic des neuropathies démyélinisantes inflammatoires [6, 12]. La microscopie confocale cornéenne pourrait se développer dans le futur [12].

Remerciements

Les auteurs remercient F Baltz et C Bazire pour leurs conseils.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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