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Médecine thérapeutique

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Comment traiter une arthrite septique à pyogène du genou chez l’adulte ? Volume 24, numéro 6, Novembre-Décembre 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Tableaux

L’arthrite septique à pyogène du genou est une infection du tissu synovial par des micro-organismes vivants au sein de l’articulation suite, dans la plupart des cas, à une dissémination hématogène ou à une inoculation iatrogène, et exceptionnellement par contiguïté [1].

Le diagnostic est immédiatement évoqué devant une monoarthrite aiguë fébrile. Il s’agit d’une urgence médico-chirurgicale diagnostique et thérapeutique, car elle peut engager à la fois le pronostic fonctionnel – avec des séquelles articulaires dans la moitié des cas –, et le pronostic vital [1].

La ponction articulaire est requise avant toute antibiothérapie et l’identification du germe est cruciale pour le succès thérapeutique. Le traitement repose sur une antibiothérapie efficace et des drainages articulaires. Le pronostic dépend essentiellement du délai de mise en route du traitement.

Le but de cet article est de faire une mise au point sur les traitements de l’arthrite septique à pyogène du genou.

Épidémiologie

L’incidence des arthrites septiques à pyogènes se situe entre 2 et 10/100 000 habitants dans la population générale [2]. Elles peuvent survenir à tout âge, mais sont plus fréquentes chez les enfants et les personnes âgées. Elle touche plus les hommes que les femmes [2].

Les facteurs de risques associés à l’arthrite septique identifiés dans la littérature sont l’âge avancé, le diabète, la polyarthrite rhumatoïde, l’existence d’une chirurgie articulaire récente, d’une prothèse du genou, d’une infection cutanée ou d’une arthropathie préexistante, l’hémodialyse, la toxicomanie et le VIH [1-3].

Le staphylocoque S. aureus est le germe le plus fréquemment identifié – présent dans les deux tiers des cas, méticilline-résistant dans 10 % –, suivi par le streptocoque B, qui représente 20 % des cas, les bacilles à Gram négatif (15 à 20 %), et enfin le gonocoque. Dans 20 % des arthrites septiques, aucun germe n’est identifié [1, 2, 4, 5].

Physiopathologie

La physiopathogénie de l’arthrite septique est complexe. Elle dépend de l’interaction entre l’agent invasif et les réponses immunitaires de l’hôte. L’évolution passe par plusieurs étapes : dans un premier temps, les germes adhèrent par liaison des bactéries à des protéines de la matrice extracellulaire [6, 7]. Cette adhésion provoque une colonisation bactérienne, les germes se multiplient et provoquent la réponse immunitaire innée et adaptative.

L’activation de ce système immunitaire est déclenchée par un récepteur PRR (pour pattern recognition receptor) qui reconnaît des antigènes bactériens tels que les PAMPS (pour pathogen associated molecular pattern) et les peptidoglycanes. Certains des PRR sont solubles, comme le système du complément, et d’autres sont transmembranaires, comme le TLR (Toll-like-receptor), qui est un récepteur de signalisation.

La liaison entre l’antigène bactérien et le TLR déclenche une réponse inflammatoire immédiate, en activant la voie de signalisation NF-κB qui va induire la transcription de nombreux gènes codant des cytokines pro-inflammatoires telle que le facteur nécrosant les tumeurs (TNFα), les interleukines (IL) IL-1β, IL-6… pour lutter contre l’infection [6].

La destruction ostéocartilagineuse résulte de l’action du système immunitaire via la production de cytokines pro-inflammatoires, des métalloprotéases et des superoxydes.

Anatomopathologie

Schématiquement, l’arthrite septique évolue selon trois stades [8] :

  • stade liquidien : c’est le stade initial de l’infection, où la présence de germes dans le liquide articulaire provoque une réaction inflammatoire de la synoviale, avec œdème et épanchement,
  • stade synovial : les synoviocytes macrophagiques amplifient la réaction inflammatoire avec la réalisation d’une prolifération abcédée. Les synoviocytes fibroblastiques se prolifèrent et créent de véritables pannus synoviaux,
  • stade de l’ostéoarthrite : il est secondaire à la diffusion de l’infection dans l’os à travers les zones d’insertion de la synoviale sur l’os, créant une ostéite.

Diagnostic positif de l’arthrite septique du genou

Le diagnostic de l’arthrite septique du genou est immédiatement évoqué devant une monoarthrite aiguë fébrile du genou avec altération de l’état général chez un patient ayant des tares associées.

La douleur du genou est d’horaire inflammatoire. L’arthrite s’installe brutalement et est parfois rapidement explosive. L’examen clinique trouve un genou gonflé, douloureux, chaud et rouge. Une fièvre élevée ou un simple fébricule, avec parfois des frissons, peuvent s’observer.

Un tableau franchement septicémique avec choc et coagulation intravasculaire disséminée peut s’installer, nécessitant un transfert immédiat en soins intensifs. Une fois l’arthrite septique envisagée, on recherche systématiquement une porte d’entrée qui conforte le diagnostic et oriente vers le germe en cause, ainsi qu’une autre localisation infectieuse (abcès cutané, spondylodiscite, méningite ou endocardite) [9].

La ponction articulaire du genou est impérative et urgente, avant tout traitement antibiotique. Le prélèvement doit être fait sous asepsie rigoureuse et adressé au laboratoire sans délai. L’ensemencement du liquide articulaire dans des flacons d’hémocultures aérobies et anaérobies est nécessaire, pour augmenter la sensibilité et ainsi détecter les germes fragiles ou ceux associés à une infection à faible inoculum bactérien.

Le liquide articulaire prélevé doit faire l’objet d’une analyse de :

  • l’aspect macroscopique, qui montre habituellement un liquide trouble ou franchement purulent,
  • l’analyse cytologique, qui objective un taux de globules blancs aux alentours de 20 000 éléments/mm3 ou plus, à prédominance de polynucléaires neutrophiles (PNN), parfois altérés. Cependant, un liquide paucicellulaire n’exclut pas une arthrite septique, surtout chez les toxicomanes, en cas de néoplasie, de traitement immunosuppresseur ou si l’arthrite septique est récente [10],
  • l’analyse bactériologique, avec examen direct et culture pour isoler le germe et effectuer l’antibiogramme ; elle est systématique.
  • la PCR, pour amplifier le matériel génomique bactérien et identifier des agents infectieux difficiles à cultiver comme le gonocoque, le méningocoque, le mycoplasme et la chlamydiae, ou quand l’arthrite septique est décapitée par des antibiotiques [11].

Les hémocultures doivent être systématiquement réalisées ainsi que les prélèvements sur la porte d’entrée supposée : cutanée (staphylocoque), génitale (gonocoque, streptocoque), urinaire (bacille à Gram négatif), pulmonaire, oto-rhino-laryngologique (pneumocoque), infiltration (staphylocoque, entérocoque) ou sur cathéter veineux (staphylocoque) [2, 4].

D’autres examens biologiques sont à réaliser, tels que la numération-formule sanguine, qui montre habituellement une hyperleucocytose à PNN, ainsi que la vitesse de sédimentation et la protéine C réactive (CRP), qui sont augmentées au cours de l’arthrite septique [9].

La radiographie standard comparative des deux genoux est normale au début ; une déminéralisation sous-chondrale, un pincement global de l’interligne articulaire et des érosions y apparaissent tardivement (figure 1). L’échographie articulaire montre une synovite avec un épanchement du genou (figure 2). Elle a aussi un intérêt pour guider la ponction, si le liquide articulaire est minime ou cloisonnée [12], et la réalisation d’une éventuelle biopsie synoviale.

Traitement

L’arthrite septique est une urgence thérapeutique car le pronostic vital est mis en jeu : tout retard de prise en charge augmente le risque de survenue de séquelles ostéoarticulaires. L’hospitalisation avec mise en condition du patient s’impose. Le traitement repose sur une antibiothérapie efficace et le drainage articulaire. Le traitement reste mal codifié, du fait de la rareté de l’arthrite septique, et de la difficulté consécutive de réaliser des études prospectives sur elle. Nous disposons pour cela des moyens médicaux pharmacologiques, non pharmacologiques et chirurgicaux.

Les moyens médicaux pharmacologiques

Traitement médical symptomatique

  • Les antalgiques de paliers I et II sont à éviter pour ne pas interférer avec la courbe thermique naturelle.
  • Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont contre-indiqués car ils peuvent masquer l’infection et favoriser l’évolution vers une nécrose cutanée s’il existe une dermoépidermite associée [13].
  • Le tramadol, les dérivés de la codéine et la morphine sont autorisés.

L’antibiothérapie

Le choix de la molécule antibiotique et de sa voie d’administration sont fonction de plusieurs critères (tableau 1) :

  • la bactérie en cause et son profil de résistance,
  • les caractéristiques de l’antibiotique : biodisponibilité et pharmacodynamique (diffusion osseuse et articulaire),
  • les caractéristiques du patient (âge, tares, intolérances ou allergies),
  • une biantibiothérapie est justifiée car :
    • l’infection articulaire est grave,
    • pour renforcer la bactéricidie par un effet synergique,
    • surtout : pour limiter l’émergence de souches résistantes.

La durée du traitement

Un traitement de quatre à six semaines est habituellement recommandé [15], mais il faut prendre en considération (tableau 2) :

  • le germe : un traitement plus bref en cas de gonocoque (dix jours),
  • l’état articulaire : un traitement plus prolongé en cas d’ostéoarthrite, d’infection sur prothèse et d’arthropathie préexistante,
  • l’ancienneté de l’arthrite et l’évolution clinique et biologique.

Les moyens médicaux non pharmacologiques [13]

Les ponctions articulaires itératives

Il s’agit d’un geste médical simple réalisé au lit du patient, sans anesthésie, permettant d’évacuer l’épanchement articulaire afin de soulager le patient en diminuant la pression intra-articulaire génératrice de douleur.

L’immobilisation

L’immobilisation a un effet bénéfique, à la fois antalgique et cicatrisant. Son principe repose sur une immobilisation en position de fonction, la plus brève possible, cependant, pour éviter l’enraidissement articulaire

La rééducation

La rééducation avec mobilisation passive isométrique et active est entreprise rapidement, dès que la douleur le permet. Elle se fait généralement progressivement, en deux à quatre semaines selon l’état local.

Les moyens chirurgicaux

Le drainage arthroscopique

L’arthroscopie permet une irrigation importante et plus complète, ainsi que la réalisation de biopsies synoviales et de nombreux prélèvements microbiologiques.

La synovectomie

Elle consiste en l’excision totale de la synoviale, qui constitue une éponge de microabcès inaccessible au traitement antibiotique ou au lavage articulaire simple. La réussite de ce geste est conditionnée par la précocité de sa réalisation.

La synovectomie par arthrotomie est préférée à la voie arthroscopique qui reste plus invasive [16]. La synovectomie est couplée à un drainage articulaire.

L’arthrodèse

L’arthrodèse est réalisée en cas d’ostéoarthrite. Elle n’est jamais proposée en première intention, sauf en cas d’arthrite septique tardive chez des patients en échec de multiples traitements. La fusion de l’articulation supprime la mobilité mais assure la stabilité et l’indolence [17].

La résection articulaire-coaptation ou distraction

Elle consiste en la création d’une néoarticulation fibreuse entre deux fragments osseux, en appliquant une distraction à l’aide d’un fixateur externe le temps de la cicatrisation comme proposé R. Judet [17].

L’arthroplastie du genou

La prothèse du genou après une arthrite septique donne de moins bons résultats que celles réalisées sur gonarthrose. Elle est proposée en cas de destruction totale de l’articulation infectée. Des prélèvements bactériologiques doivent être systématiquement réalisés avant et durant l’intervention. Certaines équipes recommandent de respecter un intervalle sans récidive infectieuse de plus de cinq ans entre l’arrêt de l’antibiothérapie et l’implantation de la prothèse chez un patient avec des paramètres biologiques normaux – tout particulièrement la CRP [18].

Les indications

  • Stade liquidien (≤ 7 jours d’évolution en général) liquide articulaire sans pannus synovial. On préconisera une antibiothérapie adaptée + drainage du liquide articulaire médical ou arthroscopique.
  • Stade synovial : on préconise une antibiothérapie adaptée + une synovectomie + un lavage articulaire.
  • Stade d’ostéoarthrite : la résection articulaire suivie ou non d’arthrodèse ou d’arthroplastie s’impose.

La surveillance

La surveillance de l’arthrite septique à pyogènes est clinicobiologique :

  • sur le plan clinique, il faut surveiller l’amélioration de la douleur, la régression de l’épanchement, des signes inflammatoires locaux et de la température, sans oublier de surveiller l’état général du patient et la toxicité des antibiotiques,
  • sur le plan biologique, la normalisation des paramètres biologiques de l’inflammation et surtout de la CRP est un bon élément de surveillance de l’efficacité du traitement. La CRP sera analysée chaque 48 h jusqu’à sa normalisation, puis chaque semaine jusqu’à la fin du traitement.

Évolution et pronostic

La mortalité des arthrites infectieuses reste élevée, deux études l’estiment à 11 et à 13 % respectivement [19, 20].

Les séquelles fonctionnelles de l’arthrite septique sont observées chez près de la moitié des patients. Elles sont plus fréquentes chez les sujets âgés, en cas d’arthropathie préexistante ou d’infection sur prothèse.

Conclusion

L’arthrite septique demeure une urgence médico-chirurgicale diagnostique et thérapeutique. Sa prise en charge doit être effectuée par une équipe multidisciplinaire habituée à prendre en charge cette pathologie.

La recherche obstinée et rigoureuse du germe est essentielle avant toute antibiothérapie.

Le traitement sera le plus souvent un simple drainage évacuateur, associé au traitement antibiotique dans les stades débutants, sans retarder une prise en charge chirurgicale car un retard dans la mise en place d’un traitement efficace dégrade significativement les résultats.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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