JLE

Médecine thérapeutique

MENU

Dorsalgies fébriles chez une jeune femme Volume 4, numéro 6, Juin-Juillet 1998

Auteurs

Madame J, 27 ans, d'origine antillaise mais vivant en métropole depuis son enfance et sans antécédent particulier, est hospitalisée en janvier 1998 pour dorsalgies fébriles. Les douleurs dorsales sont apparues en août 1997 après un effort de soulèvement s'accentuant lors des semaines suivantes, devenant permanentes, vives, mal calmées par les antalgiques puis par les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Deux mois plus tard, les dorsalgies s'intensifient, persistant la nuit, avec irradiation en hémiceinture à gauche, accompagnées d'une fièvre à 38 °C, de sueurs nocturnes, d'une perte de poids de 2 kg et d'une asthénie importante. Les radiographies dorso-lombaires effectuées avant l'hospitalisation sont normales, cependant la douleur s'intensifie et la patiente est adressée aux urgences puis hospitalisée. À son entrée dans le service, la patiente est asthénique, son poids est de 47 kg, la température à 38 °C et elle se plaint de sueurs nocturnes. L'examen du rachis ne retrouve pas de raideur rachidienne mais une douleur élective à la palpation des épineuses de D9 à D12 avec irradiation en hémiceinture à gauche, accentuée par l'inspiration profonde, et une discrète contracture paravertébrale gauche. L'examen neurologique est normal sans signes de compression médullaire. Le reste de l'examen physique est sans particularités. La numération formule sanguine montre 7 500 globules blancs, dont 5 500 polynucléaires neutrophiles, 12,2 g d'hémoglobine, une microcytose à 74 m3 en rapport avec une drépanocytose hétérozygote et des plaquettes augmentées à 597 000/mm3. On retrouve un syndrome inflammatoire avec une protéine réactive C élevée, à 136 mg/l (N : inférieure à 5 mg/l), une fibrinémie à 7,1 g/l, une hyper alpha-2 globulinémie à l'électrophorèse des protides sériques avec une albumine et des gammaglobulines normales. Les fonctions rénale et hépatique sont normales ainsi que la calcémie et les lacticodéshydrogénases. Une intradermo-réaction à la tuberculine pratiquée s'avère fortement positive avec un aspect phlycténulaire. Les prélèvements bactériologiques (hémocultures et examen cytobactériologique des urines) sont stériles. La recherche de bacilles acido-alcoolo-résistants dans les tubages gastriques et dans les urines pendant trois jours consécutifs est négative. La sérologie VIH l'est également, ainsi que le sérodiagnostic de Wright à la recherche d'une brucellose. Sur la radiographie du thorax, le parenchyme pulmonaire est normal, il n'existe pas d'épanchement pleural ni d'adénopathies médiastinales, mais on note un aspect de fuseau paravertébral dorsal gauche (figure 1A). La radiographie du rachis dorsal ne montre pas d'autre anomalie que ce fuseau (figure 1B). Les clichés du rachis cervical, lombaire et du bassin sont normaux. Un examen tomodensitométrique du rachis dorsal montre une lyse osseuse des plateaux vertébraux de D6 et de D7 associée à une atteinte du disque intervertébral ainsi qu'à une épidurite en regard, de 8 mm, intracanalaire et refoulant la moelle, accompagnée d'un fuseau paravertébral gauche s'étendant de D4 à D9 (figure 2). L'arc postérieur de la vertèbre est respecté. En conclusion, l'aspect radiologique est celui d'une spondylodiscite accompagnée d'abcès paravertébral et d'une épidurite. La seule approche diagnostique est l'examen anatomopathologique des lésions vertébrales. Une biopsie discovertébrale sous contrôle scanographique est alors effectuée : l'examen anatomopathologique retrouve une lésion spécifique d'ostéite caséo-folliculaire avec des plages de nécrose granuleuse d'allure caséeuse entourées de quelques cellules épithélioïdes et de cellules géantes associées à un infiltrat inflammatoire lymphocytaire. Cet aspect évoque, en premier lieu, une spondylodiscite tuberculeuse évolutive. Les colorations de Ziehl et à l'auramine sont négatives. L'examen bactériologique au direct du pus et de la biopsie osseuse ne retrouve pas de germes, la recherche de bacilles acido-alcoolo-résistants au direct est négative mais les cultures en milieux solides et liquides permettront de retrouver, au vingtième jour, quelques colonies. L'hybridation par sonde spécifique (Gene probe BioMérieux) permettra d'identifier une mycobactérie du complexe tuberculosis. Les caractères macroscopiques et biochimiques de la culture confirmeront qu'il s'agit d'un Mycobacterium tuberculosis. L'antibiogramme effectué trouve une sensibilité à tous les antituberculeux testés. Est alors retenu le diagnostic de spondylodiscite tuberculeuse dorsale s'accompagnant d'une épidurite et d'un abcès paravertébral. Les examens destinés à retrouver d'autre lésions tuberculeuses montrent, sur le scanner thoracique, la présence d'adénopathies prétrachéales se poursuivant en avant de la bronche souche droite associées à une adénomégalie postérieure venant au contact de la masse vertébro-épidurale (figure 2). On retrouve également un syndrome micronodulaire du segment antérieur du lobe supérieur droit avec un minime épanchement péricardique antérieur. L'échographie abdomino-pelvienne est normale. La scintigraphie osseuse montre une hyperfixation des vertèbres D6 et D7 ainsi que de l'arc postérieur de la septième côte. Une quadrithérapie antituberculeuse associant rifampicine, isoniazide, éthambutol et pyrazinamide est débutée dès le lendemain de la biopsie discovertébrale, sur les données anatomopathologiques, et permet d'obtenir une apyrexie en 48 h et une amélioration de la symptomatologie douloureuse en une semaine. En l'absence de signes neurologiques d'irritation médullaire, aucun geste chirurgical n'est indiqué. L'atteinte rachidienne dorsale ne nécessitant pas l'immobilisation plâtrée, la patiente est mise au repos strict en position couchée durant 1 mois. L'évolution est favorable et la patiente devient asymptomatique 2 mois après le début du traitement. La tolérance clinique et biologique du traitement est bonne. La radiographie de contrôle montre une régression partielle du fuseau paravertébral gauche.