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Une histoire de l’hépatite C : il était une fois un virus, un hépatologue et un généraliste… Volume 14, numéro 7, Septembre 2018

Avertissement. Note de la rédaction

Les dernières recommandations et positions officielles sur le dépistage et la prise en charge de l’hépatite C ont pour objectif la généralisation du dépistage et l’ouverture aux non spécialistes de la prescription des traitements en vue d’une éradication de l’infection en France avant 2025. Cet article un peu décalé quant au style et à ces préconisations, par des auteurs largement impliqués dans la recherche et la prescription des traitements anti-VHC, a retenu l’intérêt de la rédaction par les questions « fondamentales et bien légitimes » qu’il pose et que ne manqueront pas de se poser les médecins généralistes, « nouveaux acteurs désignés » de cette politique.

Introduction

C’est dans les années 1970-1980 que les cas d’hépatites dites non-A non-B ont été rapportés avec une incidence croissante, liés à des transmissions sanguines ou nosocomiales. Le virus a été isolé au début des années 1990. Les premiers traitements, peu efficaces et agressifs, ont été mis sur le marché dans les années 2000 et moins de vingt ans plus tard, nous avons à notre disposition des médicaments par voie orale en traitement bref permettant des éradications virales définitives dans plus de 95 % des cas. Ces traitements étant bien supportés, faciles à prendre et à surveiller, il devient alors possible de proposer un traitement universel et une prise en charge dans un parcours simplifié impliquant l’hépatologue, l’infectiologue mais aussi le médecin généraliste. Même si les prix de ces traitements ont beaucoup baissé, ils ne dispensent pas du raisonnement thérapeutique habituel : Pourquoi traiter ? Qui traiter ? Quand traiter ? Comment surveiller avant et après traitement ?

La version du virus

Moi, virus de l’hépatite C, personne ne sait vraiment quand je suis apparu sur terre. Au début, je n’avais pas de nom, on m’appelait « non-A, non-B » et on me rattachait à des hépatites aiguës ou chroniques pour lesquelles on ne trouvait pas d’agent viral causal connu. Puis, mon heure de gloire a commencé dans les années 1970-80 où j’ai pu, par transmission sanguine ou nosocomiale ou chez les usagers de drogue intraveineuse ou lors de rapports sexuels traumatisants, devenir de plus en plus transmissible et pathogène. Les épidémies nosocomiales des années 1970 et 1980 ont poussé les chercheurs à se pencher sur moi. J’ai été identifié, isolé, génotypé (de 1 à 6) et on m’a donné un nom : « hépatite C ». Être découvert a signifié la mise au point des tests de dépistage, donc des possibilités de désinfection virale empêchant la transmission nosocomiale ou lors de transfusions sanguines.

Les années 2000 ont été marquées par l’arrivée successive d’options thérapeutiques avec des annonces triomphalistes de ceux qui croyaient me détruire ! Successivement, j’ai dû combattre en 2001 l’interféron, puis l’interféron pégylé à 10 000 € le traitement, prétendant me tuer dans 30 % des cas, avec finalement des taux de succès inférieurs à 15 %. Puis, très vite, est arrivée l’association interféron pégylé + ribavirine à 18 000 € le traitement, avec une tolérance bien médiocre, des injections hebdomadaires mal supportées, des thrombopénies et là encore, des résultats annoncés de plus de 50 % de guérison, très au-delà de la réalité puisqu’il n’y avait qu’à peine 30 % des malades qui étaient vraiment guéris par cette bithérapie. En 2011, l’agression antivirale est encore plus forte en rajoutant bocéprévir ou télaprévir à l’interféron pégylé + ribavirine. Les prix montent (25 000 €), l’efficacité aussi (50 %) mais je me défends plutôt pas mal. La tolérance de ces traitements prolongés sur six mois ou un an est extrêmement mauvaise.

Finalement, mon déclin a commencé en 2014 avec l’apparition du sofosbuvir d’abord associé à interféron pégylé et/ou à la ribavirine, puis associé à d’autres antiviraux oraux directs comme daclatasvir ou siméprévir. Les traitements ont été alors simplifiés (12 puis 8 semaines), extrêmement efficaces (95 % de guérisons virales prolongées) et très faciles à prendre par voie orale avec une tolérance excellente. En parallèle, le meilleur diagnostic, les campagnes de dépistage, la disparition de la contamination transfusionnelle ou nosocomiale ont fait diminuer l’incidence des nouveaux cas. Il me restait, pour continuer mes méfaits, les usagers de drogues intraveineuses, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes avec rapports sexuels traumatisants et la poursuite de l’endémie dans certains pays en voie de développement (même si là, des possibilités d’accès aux traitements à prix coûtant ont été mises en place).

Je suis donc en train de disparaître mais j’aurai fait des dégâts : le caractère pauci-symptomatique de mon infection, son évolution chronique et sournoise me permettent, chez certains patients, notamment en cas de comorbidité hépatique (alcool, stéatose, co-infection…) d’évoluer vers la fibrose, la cirrhose avec risque de carcinome hépatocellulaire. Même s’il est facile de surveiller mon évolution en faisant tous les ans un dosage des transaminases et une mesure indirecte de la fibrose hépatique par FibroTest ou par élastométrie, il n’en reste pas moins qu’en l’absence de dépistage, je vais pourvoir évoluer silencieusement chez certains malades et entraîner une fibrose définitive.

À l’inverse de mon grand frère le virus de l’hépatite B qui s’intègre dans le génome et persiste dans l’organisme, même pendant le traitement, moi, virus à ARN, je peux désormais être facilement éradiqué par 8 semaines de traitement quel que soit mon génotype. L’éradication est définitive sauf en cas de ré-infestation. En traitant tous les porteurs ou au moins toutes les personnes contaminées risquant de transmettre la maladie (notamment les usagers de drogues intraveineuses et les personnes ayant des rapports sexuels traumatisants à risque de transmission sanguine), je vais disparaître de la planète et ma mort est annoncée, en tout cas en France, dans les 10 à 20 ans à venir [1]. Entre-temps, j’aurais quand même plombé le budget de la Sécurité Sociale avec des coûts qui ont pu atteindre 700 millions d’euros de remboursement par an mais surtout j’aurais, chez 10 à 20 % des malades contaminés, entraîné des lésions hépatiques fibrosantes chroniques qu’il faudra surveiller attentivement car certaines vont évoluer vers la cirrhose voire le carcinome hépatocellulaire.

La version de l’hépatologue

Moi, hépatologue, je viens de vivre des moments intenses !

En moins de 30 ans, j’ai réussi à identifier ce virus qui donnait des hépatites chroniques mal étiquetées, je l’ai dépisté, diagnostiqué, identifié. J’ai participé au développement, évalué et utilisé des médicaments de plus en plus efficaces et je peux raisonnablement espérer voir disparaître cette maladie moins de 30 ans après l’avoir découverte.

Moi, hépatologue, spécialiste perçu comme intellectuel plutôt peu prescripteur de médicament, je voyais mes amis cardiologues, oncologues, spécialistes du VIH et surtout mes frères gastro-entérologues prescripteurs d’inhibiteur de la pompe à protons et d’anti-TNF, extrêmement sollicités par les laboratoires pharmaceutiques. Grâce au virus C j’ai eu, à mon tour, le plaisir de goûter à ces sollicitations. Il faut dire qu’avec des traitements en ATU à 70 000 € par patient, puis à 48 000 €, il y avait de quoi me dérouler le tapis rouge ! J’avoue parfois avoir été un peu impatient en m’échinant à traiter dans les années 2010 les patients avec des associations thérapeutiques peu efficaces et très mal supportées. Certains de ces malades peu fibrosants (F1, F2, peut-être même F3) auraient bien pu attendre 5 ou 6 ans de plus pour bénéficier aujourd’hui des associations thérapeutiques orales recommandées qui auraient été bien plus efficaces et bien mieux supportées.

Mais je suis content qu’il existe maintenant des traitements pangénotypiques, actifs sur tous les génotypes du virus C qui me permettent donc de traiter ces malades sans même avoir à savoir le génotype en cause et quel plaisir de pouvoir guérir en 12 semaines une infection virale chronique avec une seule prise par jour d’un médicament bien supporté [2].

J’ai donc publié en mars 2018 mes dernières recommandations [3] incitant à un dépistage universel de l’infection par le virus de l’hépatite C, et à une prise en charge dans un parcours simplifié par le médecin généraliste pour les patients simples sans comorbidité avec traitement systématique par sofosbuvir + velpatasvir 12 semaines ou glécaprévir + pibrentasvir [3] pendant 8 semaines et contrôle de l’éradication virale 12 semaines après l’arrêt du traitement par mesure d’une charge virale par PCR, qui doit être négative. Moi, l’hépatologue, je ne me réserve que les patients co-infectés, insuffisants rénaux ou hépatiques ayant une fibrose évoluée ou une maladie hépatique sévère ou en échec d’un traitement antérieur. Chez ces malades, comme chez ceux ayant une comorbidité hépatique, je vais privilégier une stratégie thérapeutique pangénotypique comme celle évoquée ci-dessus et instituer un suivi hépatologique à long terme avec notamment un dépistage semestriel du carcinome hépatocellulaire par échographie pour tout patient ayant une maladie hépatique sévère avec fibrose supérieure à 10 kPa en élastométrie.

Je vais continuer ma surveillance, notamment dans les populations à risque de ré-infestation. Je considère néanmoins que « l’affaire de l’hépatite C » est en voie de résolution et j’en tire une légitime fierté. Maintenant, je vais pouvoir m’attaquer à la NASH (Non-Alcoholic Steato-Hepatitis) mais là c’est une autre affaire car les possibilités thérapeutiques restent, à ce jour, bien hypothétiques…

La version du généraliste

Moi, médecin généraliste, j’ai pris connaissance avec beaucoup de satisfaction des dernières recommandations AFEF (Association Française pour l’Étude du Foie) de mars 2018 pour l’élimination de l’infection par le virus de l‘hépatite C en France. Elle préconise le dépistage universel et la prise en charge dans un parcours simplifié des patients porteurs du virus de l’hépatite C avec une PCR ARN du virus C positive témoignant de la réplication virale. En l’absence de co-infection VHB ou VIH, d’insuffisance rénale sévère, de comorbidité hépatique mal contrôlée, si le malade n’a jamais été traité pour son hépatite C et s’il n’a pas de fibrose hépatique sévère, je devrai le traiter par un médicament pangénotypique antiviral direct par voie orale soit EPCLUSA® (sofosbuvir + velpatasvir) [4] pendant 12 semaines, soit MAVIRET® (glécaprévir + pibrentasvir) [5] pendant 8 semaines. Douze semaines après l’arrêt du traitement, je vérifierai la guérison virologique par mesure de la charge virale plasmatique qui devra être indétectable.

Cela fait 30 ans que j’entends parler de ce virus. J’ai adressé aux hépatologues ou aux infectiologues les malades que j’ai découverts, a fortiori quand il existait des symptômes (asthénie, arthralgies ou symptômes variés liés à la présence d’une cryoglobulinémie…).

Pourtant dans cette affaire, il y a deux, trois petites choses qui me chiffonnent… Dans les 27 pages de recommandations AFEF de mars 2018, on parle de dépistage et de traitement universel mais pas une ligne sur la possibilité de ne pas traiter certains patients. Or, je m’interroge réellement sur la nécessité de traiter tous les porteurs du virus C. S’il est évident qu’il faut traiter les malades symptomatiques, asthéniques ou évolutifs ou ayant des comorbidités ou une fibrose évoluée pour stopper la maladie et s’il est aussi évident qu’il faut traiter sans attendre les patients possiblement contaminants (usagers de drogues intraveineuses, hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes), ce ne sont pas ceux-là que les hépatologues m’ont confiés. Moi, j’aurai à prendre en charge des patients asymptomatiques sans fibrose et sans risque de contamination. La plupart de mes patients seront ceux qui ont été contaminés dans les années 1970-80, par contamination nosocomiale ou par transfusion sanguine. S’ils n’ont pas d’autre maladie, s’ils sont porteurs du virus depuis 30 ou 50 ans, s’ils ne sont pas usagers de drogues intraveineuses ou homosexuel masculin actif, ils ne contamineront personne. Il n’y a pas de transmission fœto-maternelle ni hétérosexuelle. Si en 40 ans de portage du virus, ces patients ne sont ni cytolytiques, ni fibrosants, on ne comprend pas bien la nécessité d’une éradication systématique sachant que je peux tranquillement les surveiller en faisant chaque année, pour moins de 100 € par an, un dosage des transaminases ALAT et une élastométrie hépatique. Si la fibrose ou la cytolyse apparaît, il sera toujours temps de les traiter mais il n’y a pas de risque pour eux ni pour l’entourage à être porteur sain de ce virus.

Bien sûr, les prix des médicaments ont baissé mais ils sont encore autour de 28 000 € par cure, soit le coût de 280 années de surveillance ! Une minorité d’entre eux aura finalement une maladie évolutive et pourra être traitée dans 5 ou 10 ans, mais alors les médicaments seront mieux connus, possiblement génériqués donc encore moins chers et je ne fais courir aucun risque à ces malades non-évolutifs en les surveillant annuellement. Certains d’entre eux ont aujourd’hui plus de 80 ans voire 90 ans. Si en 50 ans de portage viral, rien ne s’est passé pour eux, il y a bien peu de risque que la maladie s’emballe. Je ne suis pas là pour traiter un portage infectieux. Je ne traite pas les candidas dans les selles ni les staphylocoques sur la peau, pourquoi traiterais-je à 28 000 € la cure un virus asymptomatique et non-évolutif chez des patients ne risquant pas de contaminer leur entourage ?

Je trouve les hépatologues un peu condescendants à me confier les malades simples et faciles à traiter depuis qu’il existe des médicaments pangénotypiques c’est-à-dire actifs sur tous les génotypes du virus C. À eux, les situations compliquées mais quand le paysage thérapeutique se simplifie, c’est pour moi ! Pourtant, mon cerveau de généraliste a réussi à comprendre qu’il existait six familles d’antihypertenseurs, à savoir préférer les diurétiques chez les patients Africains, les bêta-bloquants chez les coronariens, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion chez les diabétiques. Ce même cerveau aurait pu donner le médicament 1 dans le génotype 1 et le médicament 2 dans le génotype 2… Car après tout le fait d’avoir une molécule pangénotypique n’a d’intérêt que pour simplifier notre mémorisation des noms des médicaments. Dès lors que les malades sont contaminés par un et un seul génotype du virus C, il n’y a pas d’intérêt, pour le malade, à avoir une molécule qui agisse simultanément sur plusieurs génotypes.

Je suis ravi de cette nouvelle mission confiée à la médecine générale, mais j’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi je devrais traiter avec un médicament à 28 000 € un malade asymptomatique de 80 ans porteur d’un virus depuis plus de 40 ans ? En sélectionnant les malades, en attendant lorsqu’on peut attendre, on utilisera moins souvent un médicament restant très cher et on pourra tranquillement attendre que la maladie disparaisse ou que les génériques fassent encore baisser les prix.

Conclusion

L’histoire de l’hépatite C est donc belle mais il y a plusieurs façons de la raconter : le virus a bien résisté mais a compris qu’il avait perdu la bataille, l’hépatologue a triomphé mais s’est un peu pris pour Zorro, éradiquant sans mesure un virus parfois non pathogène et le généraliste entre en scène tout en revenant à des questions fondamentales bien légitimes : est-il vraiment nécessaire de traiter tous les porteurs du virus C, pourquoi traiter, quand traiter et quel est le risque à ne pas traiter ? Grâce au dépistage et aux traitements remarquablement efficaces, cette maladie va disparaître mais ceci ne justifie pas les traitements inutiles chez les patients non symptomatiques, non évolutifs et non contaminants.

Pour la pratique

  • L’hépatite C n’est contagieuse que par voie sanguine ou homosexuelle.
  • Les nouveaux traitements par voie orale sont efficaces à plus de 95 %.
  • Le dépistage de chaque adulte, au moins une fois dans sa vie, est recommandé.
  • Le traitement systématique des formes évolutives, fibrosantes, cytolytiques, des patients à risque de transmission est indispensable, quel que soit le stade de la maladie.
  • Le traitement systématique de toutes les autres formes (asymptomatiques, sans asthénie, non cytolytiques, non fibrosantes, sans comorbidité ni co-infection) est proposé par les recommandations mais se devrait d’être discuté, notamment chez les sujets les plus âgés et/ou sans risque de transmission du virus.
  • Le médecin généraliste est désormais partie prenante dans le traitement de ces formes non compliquées.

Liens d’intérêts

Jean-François Bergmann et Olivier Mangin déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. Stéphane Mouly : animation d’une conférence (2016, Paris) sur le VHC. Pierre Sellier : invitation en qualité d’auditeur (EASL 2018, Paris, Gilead).

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