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Prise en charge des adolescents appareillés par corset pour une scoliose Volume 14, numéro 7, Septembre 2018

Introduction

La prise en charge des adolescents porteurs de scolioses idiopathiques repose sur de faibles niveaux de preuve [1] car l’absence d’alternative thérapeutique ou de traitement « gold standard » ainsi que l’impossibilité à traiter en insu [2] rend impossible la réalisation d’études de haut niveau de preuve. Néanmoins l’expérience des nombreux experts rapportée dans la littérature porte sur le traitement orthopédique. La complexité du traitement orthopédique et l’expertise que celui-ci demande imposent par contre que ces enfants soient pris en charge par des équipes pluridisciplinaires hautement spécialisées.

Dans un premier article1 nous avions vu que le médecin généraliste avait un rôle essentiel à jouer en ce qui concerne le dépistage. Garde-t-il un rôle dans le suivi, particulièrement à l’adolescence où se déploie le maximum de la prise en charge ?

Méthode

Objectifs

Cette étude s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche financée par la fondation MACSF en partenariat avec l’équipe Triangle de l’ENS Lyon, l’équipe transversale d’éducation thérapeutique du patient et l’Unité Rachis du service de Médecine Physique et de Réadaptation du CHU de Saint-Étienne. Cette enquête intitulée « Scoliose et adolescence : vers une compréhension réciproque des attentes des soignants, des patients et de leurs familles » comprenait un volet évaluant le rôle joué par la médecine de ville dans ce type de prise en charge, notamment du point de vue de l’éducation thérapeutique.

Données et méthode

Deux sources de données ont été utilisées : une revue narrative de la littérature et une enquête qualitative. La revue de la littérature utilisait une équation de recherche avec les mots clés suivants : « médecine générale, scoliose, corset ». L’enquête, par entretien semi-directif (grille en Encadré 1), visait à recueillir les pratiques des médecins généralistes (MG), leurs attentes, leurs liens avec les unités de soins.

Population

La population étudiée correspondait à des médecins de soins primaires dans la région stéphanoise, essentiellement des MG, pédiatres et médecins du sport (tableau 1). Le choix s’est effectué en sélectionnant aléatoirement des dossiers de patients dans les archives du service de l’Unité Rachis.

Analyse, triangulation

Les entretiens étaient ensuite retranscrits. L’extraction des données s’est effectuée manuellement par codification puis conceptualisation en respectant le principe de théorisation ancrée. L’analyse a été faite en groupe de travail avec le département de médecine générale (DMG) de l’université de Saint-Étienne. Les résultats intermédiaires ont été travaillés à partir des recommandations HAS 2008 actualisées en juillet 2017, de la revue de la littérature, confrontant avis des MG, des rééducateurs, des chirurgiens et des patients. Les résultats finaux ont été relus par des généralistes et des équipes pluridisciplinaires.

Éthique

Cette étude a obtenu l’accord du comité « terre d’éthique » du CHU de Saint-Étienne (n̊ IRBN602016/CHUSTE).

Essai autour d’un guide de pratique

Au total, 31 médecins ont été contactés, cinq n’ont jamais revu le patient depuis son appareillage, deux n’ont pas souhaité participer à l’étude, deux sont partis à la retraite depuis et sept ont accepté de participer (tableau 1). Les autres n’ont pas donné suite aux sollicitations auprès de leurs secrétariats. Dix médecins généralistes ont relu les résultats finaux. Dans l’enquête princeps, 11 adolescents, 11 parents et 14 soignants ont été interviewés.

Un rôle essentiel du généraliste dans le dépistage des scolioses ?

Le rôle du MG apparaît essentiel dans le champ du dépistage et du diagnostic des cas princeps ou des cas familiaux. Ce temps de dépistage est souvent limité aux seules consultations annuelles de rédaction des certificats de non contre-indication à la pratique sportive, cette population de jeunes ne bénéficiant plus de visite systématique et consultant rarement leur médecin. « C’était lors d’une consultation de début d’année pour un certificat de sport. C’est souvent là que l’on en parle, cette occasion constitue souvent le mode d’entrée. » Cette consultation dédiée, hors de toutes pathologies aiguës, permet au praticien de faire le point sur la croissance, l’évolution d’une déviation minime repérée dans l’année et sur diverses démarches de prévention (vaccination, obésité). L’allongement de la durée de validité des certificats médicaux pour la pratique sportive fait redouter aux praticiens l’espacement des consultations systématiques et des aggravations possibles de la maladie dans l’intervalle.

La plupart des praticiens se trouvaient à l’origine du diagnostic de scoliose bien que la majorité d’entre eux reconnaissaient ne pas être très à l’aise avec l’examen clinique spécifique, certains avouant même effectuer un diagnostic au « coup d’œil » : « Tous les enfants que je vois pour un certificat médical, je les fais se plier en deux pour chercher une déviation ». Cette question conduit à un certain malaise « prendre un poids, une tension, on sait faire… Mais… ». L’examen clinique de dépistage de la scoliose n’est que survolé au cours des études de médecine : « Lors de mon installation, je ne peux pas dire que j’étais très doué sur les dépistages des problèmes de colonne. Je ne sais pas si les choses ont changé de ce point de vue là… »

Les dernières recommandations américaines de l’US Préventive Services Task Force (USPSTF), équivalent de la HAS aux États-Unis, publiées dans le JAMA en janvier 2018 pourraient tranquilliser ces praticiens. Elles ne traitent cependant que de la question du dépistage de masse de la scoliose et reviennent sur leur proposition de 2004 en déclassant de niveau D à insuffisant, son intérêt pour les adolescents asymptomatiques. L’USPSTF conclut qu’il n’y a pas suffisamment de preuves actuellement pour évaluer la balance bénéfice/risque pour des patients asymptomatiques entre 10 et 18 ans, excluant ainsi de ce cadre les patients présentant des douleurs du rachis, des problèmes respiratoires, ou une déformation flagrante du rachis. L’USPSTF affirme que la détection des scolioses s’avère plus efficace en utilisant simultanément trois techniques différentes : test à la flexion antérieure du rachis, utilisation d’un scoliomètre ou inclinomètre et le recours aux imageries, type « topographie de moiré » (morphométrie 3D). La sensibilité restait bien inférieure quand une seule technique était utilisée et exposait aux risques de faux positifs avec des conséquences à distance liées au suivi ou à un traitement inutile, aux irradiations radiologiques, enfin aux conséquences psychologiques. L’USPSTF n’a pas trouvé de preuve directe des bénéfices d’une détection précoce ou d’un traitement [3].

Ces recommandations ne sont finalement pas si éloignées de la pratique courante en médecine générale en France. Comme le faisait remarquer une praticienne interrogée dans l’étude : « avant il y avait la médecine scolaire qui effectuait ce travail, maintenant c’est abandonné ! » Avec la réduction des missions de la médecine scolaire, le dépistage de masse tel qu’il est décrit dans le référentiel américain n’a plus cours aujourd’hui. Les praticiens opèrent un dépistage plus ciblé visant les enfants présentant une gibbosité flagrante ou des douleurs lombaires, qui pratiquent une activité sportive ou qui sont amenés par les parents pour un contrôle de routine. Sont exclus ceux qui viennent lors d’épisodes infectieux aigus, en raison des conditions de pratique des soins primaires et du manque de temps pour pratiquer systématiquement l’examen du rachis.

Cependant il faut souligner pour les praticiens que la scoliose idiopathique est asymptomatique avant une déformation sévère ; ainsi les MG français devraient veiller au moins une fois par an, particulièrement pour les adolescents qui ne pratiquent pas de sport en club, à s’imposer un examen du rachis en sous-vêtements, voire à l’imposer car : « ce sont des enfants qui sont très pudiques, les ados ne se déshabillent pas devant les parents ! Vous savez comment c’est : “on n’a pas vu” alors que cela se voit même à l’œil nu et une fois qu’on le montre, les parents disent “ce n’est pas possible, je ne l’avais pas vu ! ». Excepté s’ils possèdent une piscine, les parents ne regardent pas forcément le dos de leurs enfants. Parfois lors d’un voyage au bord de la mer, ils remarquent une bosse dans le dos. Pour aider au dépistage familial, à la manière de l’autopalpation des seins, l’académie de médecine et la fondation Cotrel ont mis en ligne un spot vidéo didactique : https ://www.youtube.com/watch?v=bHyIsmY1RAc.

Le diagnostic en MG repose à la fois sur la clinique et sur un examen radiologique permettant de mesurer l’angulation de la courbure, dite « angle de Cobb ». Il correspond à l’angle que forment les lignes tangentielles d’une part au plateau vertébral supérieur de la vertèbre limite supérieure de la courbe (la plus inclinée de face) et au plateau vertébral inférieur de la vertèbre limite inférieure de la courbe (la plus inclinée de face). Le diagnostic est posé lorsque cette angulation est supérieure ou égale à 10̊, associée à une rotation des vertèbres participant à la courbure. La rotation est définie par une asymétrie de l’image projetée des pédicules et une épineuse qui quitte la ligne médiane [4]. L’évolutivité de la scoliose est caractérisée par une aggravation de 5̊ de l’angulation sur deux radiographies à 4-6 mois d’intervalle. Toute courbure supérieure à 30̊ chez le sujet jeune, enfant ou adolescent, est considérée comme évolutive [5]. Dès lors un avis spécialisé est nécessaire.

Le MG garde aussi un rôle important dans l’accompagnement du traitement notamment vis-à-vis de l’observance (kinésithérapie et/ou corset) et du maintien de la pratique sportive qu’il doit largement encourager ; il n’y a aucune contre-indication sportive dans la scoliose idiopathique : « on garde un rôle en ce qui concerne la pratique sportive, surveiller qu’ils font bien leur kiné et qu’ils portent leur corset ». De l’avis des experts et des sociétés savantes (SOSORT : Society on Scoliosis Orthopaedic and Rehabilatation Treatment), la pratique sportive doit être encouragée, quel que soit le traitement mis en place.

Dans le cadre du traitement orthopédique, il n’existe pas de restrictions à la pratique sportive [6]. Concernant la prise en charge chirurgicale, il est admis une distinction en fonction du sport sur les délais de reprise d’activités. On peut retenir synthétiquement comme délai : six à huit semaines pour la natation, trois mois pour les sports sans contacts (course à pied), six mois pour les sports avec contact et un an pour les sports avec collision [7, 8].

Articulation Ville-Hôpital

Au cours de cette enquête réalisée dans la Loire, il est apparu que « l’Unité Rachis » (unité spécialisée de traitement médical de la scoliose) est une destination historiquement préférentielle des MG pour adresser leurs patients. Ce type de structure n’est pas accessible dans toutes les régions. D’autres parcours de soins, notamment avec les services de chirurgie pédiatrique ou de rééducation pédiatrique (Médecine physique et rééducation spécialisée en pédiatrie), permettent la réalisation de plâtres ou corsets et assurent un suivi pluridisciplinaire. La plupart des patients qui présentent une scoliose idiopathique sont adressés par leur MG. Plus rarement, c’est lors d’une prise en charge pour une autre pathologie que le dépistage peut être effectué par un spécialiste et adressé secondairement à l’équipe spécialisée.

Les délais de prise en charge souvent longs mettent les praticiens face à un paradoxe :

  • d’un côté on attend d’eux qu’ils soient vigilants lors de leurs examens cliniques et rapides dans leurs diagnostics, car la pathologie évolue rapidement surtout à la puberté ;
  • mais d’autre part ils ont le sentiment d’être confrontés à des délais de prise en charge de l’ordre du semestre.

Les spécialistes interrogés confirment le risque évolutif au cours de la puberté mais la nécessité de juger de l’évolutivité de la courbure avant toute décision thérapeutique. Certes, la demande importante allonge le délai de consultation, mais ce délai peut être mis à profit pour la réalisation d’un deuxième examen radiologique qui permettra de juger de l’attitude thérapeutique, alors que les patients adressés tôt sont ensuite pour la plupart convoqués dans un délai de quatre à six mois avec de nouvelles radiographies. Toutefois en cas d’urgence, c’est-à-dire une angulation élevée avec une maturation osseuse peu avancée, une prise en charge rapide est facilement possible après exposition de la situation au correspondant. La majorité des cas ne nécessitent cependant pas d’être vus avant 6 mois.

Finalement, interrogés sur leur rôle dans la prise en charge des adolescents par corset, les MG se sentaient effectivement acteurs du dépistage et du diagnostic : « au centre pour le dépistage et après il n’est qu’un satellite. » « On n’a pas vraiment de place dans le suivi ».

Pour les praticiens spécialisés, la place du MG est effectivement essentielle dans le dépistage initial, mais pas uniquement. Le MG conserve aussi un rôle dans le suivi au long cours de la prise en charge orthopédique : vérification de l’observance et de la tolérance du corset à chaque occasion, soutien et surveillance psychologiques de ces adolescents.

Bien qu’il soit difficile de concéder une place au MG dans le suivi initial des patients opérés, il est important qu’ils soient vigilants dans l’identification des complications précoces : infection, accident mécanique lié au matériel.

Après la fin du traitement orthopédique, il est recommandé de procéder tous les 5 ans à un contrôle de l’évolution de la scoliose, ainsi qu’après chaque grossesse. Le MG pourra aussi évaluer les conséquences à long terme de la scoliose : intégration sociale et professionnelle, et en deuxième partie de vie en raison du « vieillissement » du rachis pouvant ajouter une déformation dégénérative. Il pourra au besoin réadresser le patient à son centre initial ou à une structure spécialisée.

Conclusion

Au travers de cette enquête, nous avons essayé de clarifier la prise en charge de la scoliose idiopathique qui apparaît pour beaucoup de praticiens comme compliquée, car peu enseignée ou peu motivante au cours du parcours universitaire.

La littérature est encore constituée de nombreux avis d’experts et l’analyse comparée des résultats et de la qualité de vie n’intéresse que depuis peu les cliniciens. La prise en charge des patients atteints de scoliose ne peut pas être basée uniquement sur l’EBM, mais s’appuie encore beaucoup sur des données d’experts. Compte tenu de la nature des traitements utilisés, expliquant la limite des possibilités d’établir des preuves de haut niveau, l’attitude qui s’impose reste de confier ces patients à des équipes pluridisciplinaires spécialisées où les décisions sont prises collégialement et non pas effectuées par des praticiens isolés.

Les médecins généralistes ont une place essentielle en amont et en aval de la prise en charge orthopédique ou chirurgicale, dans le dépistage et le suivi à long terme. Cependant ils ont aussi une place capitale dans la surveillance de l’observance du traitement orthopédique et de ses complications, en complément des avis spécialisés.

Check-list parcours de soins scoliose en MG

Dans le cadre du dépistage :

  • Interrogatoire du patient et des parents :
    • Préciser les symptômes présents et passés.
    • Influence de traitements antérieurs, s’il y en a eu.
    • Antécédents médicaux et chirurgicaux.
    • Évaluation des pratiques sportives.
    • Préciser l’histoire familiale.
  • Examen clinique :
    • Le poids, la taille en position debout et assise permettant la mesure de la taille du tronc.
    • Recherche d’une asymétrie des plis ou de la ligne des épaules sur un bassin équilibré (absence d’asymétrie de longueur des membres) ainsi que la mesure d’une gibbosité (en mm par rapport à l’horizontale ou en degré à l’aide d’un scoliomètre), d’une translation du tronc (en centimètre par rapport au pli fessier).
    • L’aspect de profil afin de mettre en évidence une modification du profil physiologique (mesure des flèches cliniques en centimètres).
    • Recherche des caractères sexuels secondaires (classification de Tanner).
    • Analyse des courbes de poids et de taille.
    • Recherche des causes non idiopathiques de scoliose : anomalies cutanées (taches café au lait), signes neurologiques, dysmorphie, hyperlaxité.
  • En cas de suspicion clinique :
    • La radio du rachis est-elle prescrite (radiographie de rachis en entier, debout, face et profil) ?
    • Penser à privilégier les clichés faiblement irradiants.
  • Une fois le diagnostic établi :
    • Le rendez-vous avec l’équipe pluridisciplinaire est-il pris ?
    • En fonction du délai, prévoir un deuxième cliché du rachis pour juger de l’évolutivité (schématiquement 1 degré par mois en 4-6 mois).
  • Une fois le traitement orthopédique mis en place :
    • Évaluer sa tolérance : douleurs, état cutané, impact sur la qualité de vie.
    • Quantifier le port journalier et son adéquation avec les équipes de rééducateurs.
    • La prise en charge en kiné est-elle suivie ?
    • L’adolescent pratique-t-il une activité physique ? Dans tous les cas, il faut encourager la pratique sportive quelle qu’elle soit.
  • À l’issue du traitement :
    • Penser à réévaluer tous les 5 ans et après chaque grossesse pour prévenir les complications de la scoliose.

Remerciements

à Nadine Kerveillant, Hélène Krzepisz, Dr Éric Ebermeyer.

Liens d’intérêts

Ce travail, ancillaire d’une enquête financée par la fondation MACSF, n’a pas été soutenu. Aucun auteur n’a reçu de salaire ou d’avantage en nature. En ce sens, les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec le contenu de cet article. IC et BD enseignent dans le DIU Appareillage et déformations rachidiennes de l’enfant et de l’adulte.


1 Benchetrit J, Dohin B, Courtois I, Charles R. Scoliose idiopathique des adolescents. Première partie : une prise en charge pluridisciplinaire. Médecine 2018 ;14 (06) : 253-7.

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