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Information sur les médicaments : la longue marche vers la transparence Volume 14, numéro 10, Décembre 2018

Une information claire, complète et non biaisée sur les médicaments est indispensable. Une telle information permet aux patients et aux professionnels d’effectuer les bons choix et aux décideurs d’affecter au mieux les ressources. Cette information devrait être accessible sans restriction aux soignants et aux patients.

Tous les types de données devraient être accessibles à tous, sans délai et sans difficulté : études pré-cliniques, essais thérapeutiques, études observationnelles et données de pharmacovigilance et de pharmaco-épidémiologie.

Qu’en est-il en pratique fin 2018 ? Quels sont les obstacles qui s’opposent à la transparence ?

Accès aux données des agences : le secret industriel est opposé par les fabricants

La volonté des fabricants de limiter l’accès à leurs données en arguant du secret industriel a longtemps été un obstacle à l’accès aux dossiers déposés auprès des agences chargées du médicament (EMA en Europe et ANSM en France). Depuis une dizaine d’années, on assiste à une marche vers la transparence qui se joue au niveau européen à quatre acteurs principaux : aux deux extrêmes, d’une part les firmes et leurs lobbies, d’autre part la fraction militante de la société civile représentée par des associations et des collectifs ; en arbitre les politiques, soit la Commission, le Parlement et les États ; en opérateurs, les agences.

Au fil des règlements européens et des décisions judiciaires, l’accès des citoyens aux données des essais cliniques s’est amélioré. Il en est ainsi pour une décision importante et récente de la Cour européenne de Justice : trois laboratoires pharmaceutiques avaient mis en avant, auprès de la Cour européenne de Justice, la confidentialité de certaines données pour empêcher l’accès à l’ensemble de leurs dossiers déposés à l’Agence européenne du médicament. Le tribunal a relevé que ces laboratoires n’avaient pas fourni de preuve concrète de la manière dont la publication des documents litigieux porterait atteinte à leurs intérêts commerciaux et a donc rejeté leurs demandes et a condamné les plaignants aux dépens.

L’Agence européenne du médicament s’est félicitée de cette décision et a annoncé « qu’elle continuera à évaluer avec diligence chaque demande individuelle d’accès aux documents soumis en vertu du règlement sur la transparence et conformément à sa politique en matière d’accès aux documents » [1].

Dans ce contexte, de nombreuses firmes ont élaboré des politiques de transparence, mais de façon très inégale comme le montre un audit récent [2] qui a concerné 42 laboratoires, dont 23 des plus importants :

  • pour les essais passés, 17 laboratoires s’engageaient à partager les résumés des résultats ;
  • seulement 22 laboratoires avaient une politique de partage des rapports d’études cliniques, la plupart sur demande ; deux s’engageaient à partager uniquement les résumés ;
  • 22 laboratoires avaient une politique de partage des données individuelles des patients ; 14 incluaient les essais de phase IV ;
  • enfin, deux firmes étaient en deçà des engagements généraux de l’industrie pharmaceutique pour l’enregistrement des essais et trois l’étaient pour la communication des résultats résumés.

Les registres : des outils indispensables

Aux États-Unis, le registre d’essais cliniques ClinicalTrials.gov a été créé en 2000. En 2007, le Food and Drug Administration Amendments Act a rendu obligatoire pour les médicaments, et autres produits de santé dont la FDA autorise la mise sur le marché, l’enregistrement des essais cliniques. Les promoteurs ont aussi l’obligation d’y rapporter les résumés des résultats. Ces obligations concernent aussi les promoteurs européens puisque pour beaucoup de nouveaux médicaments, surtout les plus novateurs, les essais cliniques multicentriques et internationaux soumis à la FDA et à l’EMA sont les mêmes.

Selon une mise au point d’une équipe de la National Library of Medicine, ClinicalTrials.gov contenait, en octobre 2016, plus de 227 000 enregistrements et pour près de 23 000 d’entre eux des résultats ont été postés sur le site [3]. ClinicalTrials.gov enregistre environ 600 nouveaux essais chaque semaine. Les auteurs estimaient que les résultats sont publiés dans la littérature pour seulement la moitié des essais.

Une méta-analyse récente qui a pris en compte 19 études, ayant elles-mêmes analysé 5 144 essais randomisés, montre une amélioration au fil des années : la proportion d’essais randomisés ayant fait l’objet d’un enregistrement a augmenté de 25 à 52 %, entre 2005 et 2015 [4].

Les registres permettent d’avoir accès au protocole des essais cliniques ce qui permet de vérifier la cohérence entre le protocole initial et les données publiées et de mettre en évidence d’éventuelles déviations par rapport au protocole. Au total, les registres sont des outils faciles d’utilisation et peu coûteux pour l’utilisateur ; ils sont indispensables pour assurer une transparence minimale à tous les essais.

Publications des essais cliniques

En matière de publication des essais cliniques, l’insuffisance de transparence revêt plusieurs aspects, bien mis en évidence par plusieurs études récentes.

Absence d’exhaustivité et délais excessifs

Selon Zarin [3], les résultats de seulement la moitié des essais présents sur ClinicalTrials.gov sont publiés dans la littérature.

Le délai entre la fin de l’essai et la soumission à une revue est parfois très long comme le montrent plusieurs études ; ainsi une équipe de chercheurs a examiné les délais de publication de 4 347 essais cliniques menés dans 51 grandes institutions universitaires des États-Unis et achevés entre octobre 2007 et septembre 2010 [5] : seulement 29 % des essais ont fait l’objet d’une publication deux ans après leur achèvement et pour seulement 13 % d’entre eux les résultats ont été publiés sur ClinicalTrials.gov. Selon les institutions, la proportion de résultats divulgués à 2 ans varie de 16 à 55 %. En juillet 2014, seuls 56,5 % des 4 347 essais cliniques avaient été publiés.

Transparence des liens d’intérêt

Dans l’étude d’Iqbal [6], le pourcentage d’articles sans mention de la présence ou de l’absence de liens d’intérêt a baissé de 94,4 % en 2000 à 34,6 % en 2014.

Partage des données individuelles

L’intérêt pour les chercheurs de disposer de ces données ne fait guère de doute ; cet accès permet par exemple d’agréger les données de plusieurs essais cliniques pour aboutir à de nouveaux résultats.

Pour l’International Committee of Medical Journal Editors (ICMJE) qui associe une vingtaine de revues médicales, en majorité anglo-saxonnes dont les Annals of Internal Medicine, le BMJ, le JAMA, le New England Journal of Medicine, le Canadian Medical Association Journal, le Lancet et PLOS Medecine, le partage des données des essais cliniques d’intervention est une obligation éthique en raison des risques auxquels sont exposés les sujets inclus dans ces essais [7]. L’ICMJE a demandé que pour tout essai clinique publié les auteurs communiquent un plan de partage des données.

Dès 2015, le BMJ et PLOS Medecine avaient élaboré une politique exigeante de partage des données.

Mais, l’analyse de 37 essais randomisés publiés dans l’une de ces deux revues entre 2013 et 2016 montre que moins de la moitié d’entre eux (17 sur 37) répond aux critères de partage [8].

Lever l’obstacle financier ?

Les grands groupes internationaux d’édition médicale ne sont pas de purs philanthropes qui ont pour seul objectif de diffuser les données de la science. Le coût d’un seul article (le prix d’achat d’un article va d’une vingtaine à une cinquantaine d‘euros suivant les revues) est tel qu’une bibliographie exhaustive est impossible pour toute personne qui n’a ni accès à la bibliothèque d’une institution ni fortune personnelle.

Notons que, pour l’instant, l’obstacle financier ne disparait pas même lorsque la recherche a été financée par de l’argent public. On peut prendre comme exemple le caractère payant de la publication de certaines études du Programme Hospitalier de Recherche Clinique. Le citoyen qui souhaite y avoir accès doit payer l’accès aux résultats de travaux qu’il a financés comme contribuable.

Aussi faut-il saluer l’annonce, par la ministre chargée de la recherche, de l’engagement des pouvoirs publics pour que « les résultats de la recherche soient ouverts à tous (…) sans entrave, sans délai, sans paiement » (Le Monde, 05 juillet 2018). Le plan annoncé rendra obligatoire la publication en accès ouvert des articles et livres issus de recherches financées par appel d’offres sur fonds publics.

De plus, onze agences européennes de financement de la recherche ont, elles aussi, annoncé l’obligation, au 1er janvier 2020, de la publication en accès ouvert des recherches qu’elles financent. Mais les obstacles financiers n’auront pas pour autant disparu puisque les autres types de recherches ne sont pas concernés.

L’obstacle financier persiste aussi pour la plupart des synthèses de la littérature. Ainsi, la Collaboration Cochrane a informé qu’elle renonçait, faute d’autres ressources suffisantes, à offrir gratuitement dès 2020 l’accès à ses méta-analyses et autres publications [9]. En effet, malgré quelques dons substantiels (le gouvernement danois et aux États-Unis le National Institutes of Health et la Fondation Bill & Melinda Gates), la Collaboration Cochrane n’a pas pu s’assurer d’autres sources de financement régulier. Or, ses méta-analyses constituent une source d’information irremplaçable sur le rapport bénéfice/risque des médicaments. Néanmoins, il existe des revues en accès libre de qualité comme PLOS Medecine et des articles en accès libre comme les travaux de recherche dans le BMJ.

Au total, la gratuité pour le lecteur va prendre de plus en plus de place ces prochaines années.

Données de pharmacovigilance : une information parfois inadaptée ou trop tardive

Les avancées vers la transparence doivent concerner aussi les essais cliniques des dispositifs médicaux et des thérapeutiques non médicamenteuses. Beaucoup de chemin reste aussi à faire pour les données observationnelles : notamment les études de pharmaco-épidémiologie et les rapports de pharmacovigilance.

En pharmacovigilance aussi, une information insuffisante, erronée ou retardée peut être nuisible aux patients. Ainsi, dans la saga du Levothyrox®, une information d’emblée adaptée et pertinente des patients et des professionnels aurait permis de limiter l’ampleur de la crise et le désarroi de certains patients. Dans ce domaine, le devoir d’information incombe au premier chef à l’ANSM qu’il s’agisse de données propres à cette Agence ou de données en provenance de l’EMA ou d’autres Agences.

Nous avons noté, à plusieurs reprises, dans la rubrique de « Brèves de pharmacovigilance », que l’information diffusée par l’Agence a été inadaptée ou trop tardive pour certains dossiers. Relevons que les trois derniers comptes rendus (à la date du 30 juillet 2018) du Comité technique de Pharmacovigilance ont été publiés sur le site de l’ANSM avec un délai de l’ordre de 4 à 6 mois, respectivement les 25 mai, 2 juillet et 5 juillet pour les Comités techniques des 12 décembre 2017 et des 6 mars et 30 janvier 2018.

Conclusion

Au total, le chemin vers la transparence se poursuit parfois semé d’embuches. Ces dernières années, les progrès ont été lents mais ils sont substantiels dans plusieurs domaines : accès aux dossiers des Agences, publication dans les registres, divulgation des liens d’intérêt et partage des données individuelles. En outre, un accès gratuit aux publications va être obligatoire en janvier prochain pour des recherches financées en France et en Europe par de l’argent public.

Ces progrès, dans un contexte d’avancées réglementaires et de décisions de justice doivent beaucoup à la mobilisation de grands journaux médicaux anglo-saxons et au militantisme de divers collectifs.

Les bénéfices en termes de santé publique sont évidents : limiter les recherches inutiles, vérifier le respect du protocole donc la pertinence des essais cliniques, vérifier la validité des calculs et analyses, limiter les fraudes, rendre plus pertinentes les méta-analyses (puisqu’il y a moins d’essais « cachés ») et pouvoir produire de nouveaux résultats à partir des données individuelles.

Le libre accès aux données des essais thérapeutiques doit devenir la norme pour juger objectivement des essais cliniques et pour permettre des méta-analyses de qualité. Les données de pharmacovigilance doivent être disponibles pour tous sans délai de rétention injustifié.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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