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Consulter un patient en situation de perte d’emploi. Partie 1 : entrevoir le contexte et différencier les typologies des pertes d’emploi Volume 15, numéro 3, Mars 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Tableaux

Des modélisations estiment que le chômage serait responsable en France de 14 000 morts par an et de quelques centaines de suicides [1]. Pour s’emparer de ce problème de santé publique, le médecin généraliste (MG) doit percevoir le chômage comme un facteur de risque épidémiologique. Il lui faut reconnaître le caractère modifiable de ce facteur de risque et se placer dans une analyse systémique de la situation pour mobiliser les ressources du patient en direction d’un rapide retour à l’emploi.

Comprendre le chômage de masse

La France a connu, entre 1945 et 1973, une période de relative prospérité appelée les « Trente Glorieuses » pendant laquelle la croissance moyenne annuelle du PIB était de 5,3 % [2]. Cet essor économique a permis le plein-emploi, où le chômage n’est que frictionnel, c’est-à-dire lié au délai d’ajustement de la main-d’œuvre d’un emploi à l’autre. En 1973, le premier choc pétrolier a été l’élément déclencheur du déclin économique mondial et de l’éclosion du chômage structurel en France. Les réformes politiques qui en découlaient ont ouvert la voie à la financiarisation de l’économie dans les pays occidentaux.

Avec la chute du mur de Berlin en 1989 puis l’effondrement de l’URSS en 1991, les accords commerciaux permettant la diminution des tarifs douaniers ont fleuri. L’ouverture sans cesse plus grande des marchés, culminant avec les traités de libre-échange, a intensifié la concurrence entre les différents acteurs économiques mondiaux. Cette pression concurrentielle soumet les entreprises à un perpétuel processus de réorganisation. Leur cotation en Bourse facilite les investissements étrangers et la création des sociétés multinationales. C’est l’avènement de l’ère des délocalisations et de l’externalisation des services aux entreprises par la sous-traitance. Les progrès des techniques de télécommunication, de l’informatique et de la dématérialisation des données facilitent l’échange d’actifs financiers et le recours aux emprunts. La dette devient le principal moyen de financer les dépenses publiques des États, les investissements des entreprises privées et la consommation des particuliers.

Inévitablement, le système économique international est devenu instable, ajoutant une part conjoncturelle au chômage [3]. L’éclatement des bulles spéculatives du fait de la crise de l’immobilier de 2007 a abouti à la crise financière des subprimes. Des organismes de crédit dans le secteur des prêts hypothécaires à risque ont alors fait faillite, entraînant dans leur chute les banques qui les finançaient, notamment celle de Lehman Brothers en 2008. Pour éviter de propager la catastrophe aux autres banques vulnérables, les États et les banques centrales ont injecté des sommes d’argent colossales et creusé leurs dettes respectives. L’économie mondiale était alors de nouveau forcée de ralentir. Les pays développés entraient dès lors dans une période de « grande récession ». Depuis 2008, la croissance moyenne du PIB de la France a plongé à 0,6 %, avec une récession historique à -2,9 % en 2009 [1]. Or, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, la création annuelle de 150 000 emplois est nécessaire pour absorber uniquement le flux d’entrée des jeunes actifs sur le marché du travail et ainsi stabiliser le chômage, ce qui nécessite une croissance économique minimale de 1,7 % [4].

Il a fallu attendre 1965 pour que les femmes puissent travailler sans devoir attester de l’accord préalable de leur mari. La part des femmes dans la population active n’a alors cessé de croître depuis, passant de 34 % en 1960 à près de 50 % aujourd’hui [5]. L’explosion des naissances durant l’après-guerre, ou baby-boom, a fait inéluctablement grimper le nombre de jeunes actifs malgré les réformes des années 1980 permettant la massification de l’enseignement et l’allongement de la durée de la scolarité. L’immigration économique participe aussi de manière non négligeable à l’augmentation du nombre d’actifs, ceci malgré les mesures coercitives prises par les gouvernements. Le recul de l’âge du départ à la retraite à 62 ans en 2010 augmente inexorablement le chômage des travailleurs les plus âgés. Toutes ces évolutions aboutissent à une augmentation majeure de la population active insuffisamment compensée par une croissance économique en déclin [6].

La transformation du marché du travail

La productivité du travail s’essouffle à partir des années 1970 du fait de la crise du modèle tayloro-fordien de l’organisation du travail. Ce modèle est à l’image de son moteur économique, le capitalisme financier. Il considère le travailleur comme un simple moyen de production et dégrade toujours plus les conditions de travail et la rémunération du salarié [3]. Les entreprises favorisent les investissements financiers aux objectifs à court terme de rémunération des actionnaires par dividendes au détriment des investissements productifs et du partage salarial. Afin d’entrer en Bourse, la majorité des grandes entreprises françaises optent pour le statut juridique de société anonyme. Cette anonymisation opacifie l’origine des décisions prises au plus haut niveau de l’entreprise : le PDG a un statut de salarié, donc de subordination vis-à-vis des actionnaires qui possèdent les capitaux propres, mais joue le rôle de gestionnaire suprême de l’entreprise. C’est ainsi que s’observe le « dilemme de l’agence », un conflit d’intérêts entre le détenteur des moyens de production et l’agent qui les exploite. Lorsque le PDG doit répondre de ses choix, notamment en matière de ressources humaines, il n’est pas rare de le voir se dérober derrière les véritables décideurs qui sont insaisissables. De plus, l’anonymisation des entreprises par le capital mondialisé les déterritorialise, c’est-à-dire qu’il les éloigne de leur responsabilité sociale vis-à-vis du territoire local [7]. Quant aux petites et moyennes entreprises, elles ont pour la plupart le statut juridique de société à responsabilité limitée (SARL). Comme l’indique cet acronyme, la responsabilité des associés est limitée à la hauteur de leurs apports, et de ce fait diminue au fur et à mesure que l’entreprise grandit en volume humain. Les patrons sont alors rapidement dépassés par le nombre de salariés à leur charge et par la portée de leurs choix en matière de ressources humaines.

Les normes managériales de flexibilité et de compétitivité dictées par les politiques néolibérales sont à l’origine du développement des emplois précaires et de l’excès de rotation de la main-d’œuvre, ce qui fragilise les employés. Les entreprises sont réticentes à transformer les contrats temporaires en contrats permanents du fait du coût des ruptures de contrats de travail pérennes et des risques de poursuites judiciaires. Par conséquent, les travailleurs précaires restent un temps limité dans l’entreprise, bénéficient moins souvent de programmes de formation professionnelle et ont plus de difficulté à construire leur carrière professionnelle. Cela concerne davantage les femmes, les plus jeunes et les plus âgés, les moins qualifiés, les immigrés et les travailleurs handicapés.

De plus, le développement du numérique, de l’automatisation et de la robotique fait disparaître les emplois répétitifs et non créatifs, et le déplacement des économies vers le secteur tertiaire conduit à la bipolarisation du marché du travail, c’est-à-dire à une situation où les emplois se partagent en deux catégories opposées : les emplois très qualifiés à rémunération élevée d’un côté et les emplois peu qualifiés à rémunération faible de l’autre.

La réduction des emplois intermédiaires conduit à une diminution des perspectives d’ascension professionnelle et provoque dans la classe moyenne un sentiment de déclassement social. L’augmentation de la part des emplois peu qualifiés explique la frustration des jeunes qui ont mené de longues études sans pouvoir accéder aux débouchés professionnels correspondants. L’augmentation relative du nombre d’offres d’embauche non pourvues à Pôle emploi montre que l’ensemble du système de formation et de qualification des travailleurs ne répond pas aux besoins des employeurs [8].

La situation de perte d’emploi : une période de crise

Marquées par le sceau de l’individualisme, les sociétés modernes occidentales ne peuvent freiner le délitement des liens sociaux fondés sur l’affiliation familiale et communautaire. La précarité découle de l’abandon du modèle social de l’interdépendance, basé sur la confiance mutuelle, pour un modèle fondé sur la méfiance de l’autre et l’injonction paradoxale à l’autonomie. Le déclin des solidarités traditionnelles conduit inévitablement à une vulnérabilisation de l’individu, ceci malgré le bénéfice des prestations impersonnelles de protection sociale fournies par l’État providence.

Selon Hannah Arendt (La condition de l’homme moderne, 1958), le travail occupe une place centrale dans l’intégration, dans nos sociétés où les hommes ne sont jugés que par les fonctions qu’ils remplissent. Toutefois, la précarité n’est plus seulement liée à l’exclusion due au chômage, mais également aux contrats temporaires de travail (CDD, intérim…) qui créent la catégorie des « travailleurs précaires ». Même si les fins de contrats temporaires peuvent être considérées comme des mobilités professionnelles subies, elles ne feront pas l’objet de notre étude. C’est la menace de la perte d’un emploi stable, créant des travailleurs dits « précarisables », qui constitue notre population (figure 1). Cette menace latente les installe dans un état d’intranquillité permanente.

Ainsi, nous ne traiterons pas des cas suivants :

  • les travailleurs précaires qui souscrivent à des contrats temporaires dont la fin est connue et acceptée avant l’embauche ;
  • les primo-arrivants dans le dispositif du chômage, c’est-à-dire les adolescents et jeunes adultes dont la scolarité est achevée, mais qui ne sont pas encore insérés dans le marché du travail ;
  • les chômeurs de longue durée, lorsque la recherche d’emploi dure depuis plus de deux ans ;
  • les inactifs, ceux qui sont indisponibles au travail ou bien qui n’ont pas de recherche active d’emploi.

Comme toute autre rupture venant détruire l’équilibre quotidien du patient, la privation d’emploi peut provoquer une crise existentielle. Celle-ci est de durée variable selon les patients, pouvant aller de quelques mois à plusieurs années. Elle peut survenir avant même que l’événement ait lieu, l’intranquillité se transformant en anticipation anxieuse lorsque la menace latente de la perte d’emploi devient tangible : le salarié apprend que la rupture du contrat est irrévocable ou bien comprend que son départ constitue la seule issue face à une situation professionnelle dégradée (restructuration, changement de management, harcèlement, burnout…). Cette anticipation anxieuse peut aussi concerner les travailleurs indépendants dont la cessation d’activité est contrainte par le dépôt de bilan de l’entreprise (figure 2).

La crise peut aussi se déclencher durant la période qui suit immédiatement la perte d’emploi, du fait du traumatisme psychologique provoqué par la brutalité de la survenue de l’événement ou des conséquences économiques de l’inactivité ou du chômage qui en découle. Bien sûr, il est rare que le travailleur en situation de crise avant la perte de son emploi voie son état s’améliorer après. Il traversera donc la situation de menace puis celle de traumatisme formant le plus souvent une profonde crise existentielle. Or, les patients concernés sont très inégalement parés pour l’affronter.

Les différents espaces de vulnérabilité du patient en situation de crise

Vulnérabilité liée à l’emploi et à la rupture du contrat de travail

Pendant la période qui précède la perte d’emploi, on peut déjà redouter certains facteurs prédictifs de développement de la crise. Le caractère choisi, accepté ou subi de la perte d’emploi conditionne la possibilité ou non d’anticiper l’événement en préparant l’avenir professionnel [10]. Ce caractère dépend avant tout du régime juridique du travail et de la partie à l’initiative de la rupture du contrat. Lorsque la perte d’un emploi ne provient pas de l’initiative du travailleur, on parle de privation de travail. Elle n’est pas le fruit d’un choix personnel et mûri, mais la conséquence de pressions extérieures d’ordre économique ou technique lorsque le travailleur est indépendant. Chez le salarié, elle provient de la décision de l’employeur à laquelle il peut éventuellement donner son accord, auquel cas on parle de privation acceptée. Si la décision est unilatérale et sans accord, on parle alors de privation subie. Cette dernière se traduit par une rupture dans la vie professionnelle plutôt qu’une transition qui supposerait une anticipation sereine et réfléchie [11].

Par ailleurs, le contexte de la perte d’emploi conditionne tout autant le vécu de l’événement, notamment par son caractère sélectif (stigmatisation), conflictuel (harcèlement) ou encore par l’envahissement de la sphère personnelle (burnout, cas particuliers des agriculteurs et des artisans). Ce contexte dépend aussi de la partie à l’initiative de la rupture du contrat et la forme juridique de la rupture le reflète plus ou moins bien (tableau 1).

Le terrain du patient

Le MG a peu de marge de manœuvre mais il doit en tenir compte : attributs personnels assombrissant les perspectives de retour à l’emploi (femmes, travailleurs peu ou pas qualifiés, étrangers), état de santé dégradé (quinquagénaires, personnes en situation de handicap), investissement personnel important dans le travail, liens noués avec l’environnement professionnel.

L’environnement personnel du patient

Ces dernières fragilités font entrer le patient dans un cercle vicieux qui aboutit à la survenue, parfois en cascade, d’incidents concomitants aggravant la crise : paupérisation et pauvreté, surendettement, conflits conjugaux, rupture et divorce, isolement social et l’auto-exclusion (conduites d’évitement, repli sur soi).

Formes juridiques de rupture du contrat de travail

Le licenciement pour motif personnel

Le licenciement pour motif personnel (LMP) doit être justifié par une cause réelle et sérieuse inhérente au salarié dans ses capacités à s’acquitter des tâches et missions qui lui sont confiées : perte de confiance, insuffisance professionnelle et inaptitude au poste [12]. Il est par définition ultrasélectif et très stigmatisant et met un terme à une relation employeur-employé souvent très conflictuelle. Les modalités de mise en œuvre varient en fonction du rapport de force entre le salarié et l’entreprise et ont tendance à renforcer les inégalités. Toutefois, même les salariés avec les plus hauts niveaux de qualification (techniciens supérieurs, ingénieurs, cadres…) sont concernés par le LMP alors qu’ils sont souvent moins protégés par les dynamiques collectives syndicales. En cas de litige avec l’employeur, le salarié du privé peut saisir le Conseil des prud’hommes pour contester sa décision. Mais beaucoup hésitent par peur d’être ensuite stigmatisés sur le marché local du travail, ou par crainte d’être bloqués par une procédure longue et à l’issue incertaine [13]. De manière générale, cette catégorie de licenciés subit souvent la crise de la perte d’emploi de plein fouet, car ils ne peuvent ni profiter des mesures mises en place par un plan social au décours d’un licenciement collectif pour motif économique ni anticiper convenablement leur départ afin de trouver un autre emploi comme peuvent le faire les démissionnaires [14].

Le licenciement pour inaptitude au poste de travail

Dans les cas de licenciement pour inaptitude au poste de travail et à tout poste dans l’entreprise, la perte d’emploi vient sanctionner des soucis de santé bien antérieurs à la période critique. La problématique médicale est de ce fait bien intégrée par le patient. Ainsi, il aura autour de lui un réseau de soins clairement identifié. La perte d’emploi va cependant réduire la densité de ce réseau en lui supprimant l’accès à la médecine du travail. Le rôle du MG devient central, notamment par la prescription et le renouvellement des arrêts-maladies et par l’orientation la plus précoce possible vers les services de santé au travail. Ces derniers aident considérablement le patient à anticiper la perte d’emploi et à se projeter dans son avenir professionnel. Ainsi, le travail de deuil se trouve facilité.

Licenciements pour motif économique

En outre, la contractualisation et l’individualisation du management des ressources humaines rendent obsolète un Code du travail qui par ses dernières réformes permet de compter le salarié dans la mesure de la performance économique de l’entreprise. La distinction entre LMP et licenciement individuel pour motif économique devient floue. Ces modifications sapent le contrat tacite entre le salarié et l’employeur qui assurait un certain niveau d’engagement et de loyauté en contrepartie d’une relative sécurité de la relation d’emploi. Avant ces réformes, le motif économique de licenciement impliquait une suppression de poste ou une rupture avec un élément essentiel du contrat de travail à cause de la restructuration ou de la fermeture de l’entreprise qui traversait des difficultés financières ou des mutations technologiques majeures dans le domaine d’activité. Le licenciement économique collectif est vécu plus difficilement lors d’une réduction d’effectif que lors de la fermeture de l’entreprise, car même à grande échelle il reste sélectif et stigmatisant. Lorsqu’une entreprise de plus de 50 salariés doit licencier plus de dix salariés en moins de 30 jours, un plan social appelé « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) est obligatoirement mis en place. C’est un dispositif qui prévoit diverses mesures dans le but de limiter le nombre de licenciements en facilitant le reclassement interne dans l’entreprise (aménagements de postes, créations d’activités nouvelles…), ou le reclassement externe dans le bassin d’emploi par des investissements locaux ; mais aussi aider les projets de reconversions professionnelles ou encore accompagner les départs anticipés à la retraite [15].

La retraite anticipée

La retraite anticipée concerne les salariés de plus de 55 ans qui sont poussés, bon gré mal gré, vers l’inactivité professionnelle définitive [16]. Avec les problèmes de santé, le chômage déguisé est la principale cause des départs anticipés subis (préretraite contrainte). La fin d’une carrière professionnelle est toujours une étape difficile impliquant la perte d’un statut et d’un réseau socioprofessionnel. Malgré l’octroi par leur employeur d’une rente qui tombe chaque mois jusqu’au moment où la caisse de retraite leur verse la pension qui leur est due, les salariés concernés restent insatisfaits. Leurs pensions et primes de départ anticipé restent inférieures à celles des retraités volontaires. Nombre d’entre eux se trouvent dans l’obligation financière de reprendre une activité professionnelle si leur santé le leur permet [17].

Ruptures conventionnelles

La rupture conventionnelle prend une place de plus en plus importante parmi les différentes modalités de rupture de CDI depuis sa mise en application en 2008. Elle constitue une rupture à l’amiable qui permet à l’employeur et au salarié de convenir des conditions de rupture du contrat de travail qui les lie. Il n’y a pas lieu de préciser quelle est la partie à l’initiative de la rupture conventionnelle et elle n’a donc pas à être motivée [18]. Tout comme le licenciement économique, la rupture conventionnelle peut aussi bien être individuelle que collective. La rupture conventionnelle individuelle est souvent adoptée comme compromis entre les deux parties lorsque aucune autre issue n’est possible.

Quant à la rupture conventionnelle collective, malgré son encadrement strict par une procédure formelle permettant de tenir compte du caractère subordonné de la relation d’emploi et la faiblesse de la partie salariée, elle reste insuffisamment protégée d’un éventuel vice de consentement et des possibilités de contournement frauduleux du droit du licenciement économique collectif. Certains salariés peuvent subir diverses pressions afin d’accepter cette mesure et nombreux sont ceux qui déplorent un plan social au rabais. Si elle n’aboutit pas aux mesures de retour à l’emploi imposées par un PSE, elle permet toutefois au salarié de bénéficier d’une indemnité de rupture au moins équivalente à celle d’un licenciement, ainsi qu’un droit à l’allocation chômage [19].

La démission d’un employé

La démission d’un employé impose la rupture du contrat de travail sans avoir à motiver sa décision, sous réserve de respecter le délai de préavis prévu par la loi ou la convention collective. Elle doit résulter d’une volonté libre, non équivoque et sérieuse du salarié [20]. Une démission est considérée comme forcée lorsqu’elle n’est plus du tout l’expression d’une décision prise de plein gré par le salarié du fait de la dégradation des conditions de travail ou de la perte de confiance dans les dirigeants. Ces démissionnaires attendent toutefois de trouver un autre emploi avant de rompre leur contrat et la transition professionnelle est moins brutale. Elle peut aussi être demandée sous la pression d’un tiers et faire suite à des menaces plus ou moins répétées et prendre la forme du harcèlement. À bout, le salarié se voit contraint de céder à la pression. Ces démissionnaires vivent leur fin de contrat dans un environnement conflictuel qui ne leur permet pas de préparer convenablement leur avenir professionnel.

Cas des salariés de la fonction publique et des travailleurs indépendants

Les salariés titulaires de la fonction publique sont mieux protégés que leurs homologues du secteur privé. La loi régit strictement les statuts des différents fonctionnaires, alors que dans le privé le droit du travail est dicté dans le contrat par les parties. Les dirigeants des services publics, qui émanent finalement tous de l’État, ne peuvent prétexter le motif économique pour justifier un licenciement. Quant au motif personnel, il ne peut être invoqué que s’il y a faute ou insuffisance professionnelle avérée. Il reste comme motif valable de rupture de contrat l’inaptitude, les démissions forcées et parfois des préretraites contraintes. Mais avec les récentes coupes budgétaires, une forme de licenciement voit le jour : l’abandon de poste. Le nombre de fonctionnaires titulaires est drastiquement diminué par le remplacement des départs à la retraite par des contractuels. Les directions s’affranchissent de ce statut jugé excessivement protégé. En cas de litige avec la direction, le fonctionnaire peut saisir le tribunal administratif pour contester la décision [21].

Chez les travailleurs indépendants, la vulnérabilité vis-à-vis de la perte d’emploi est tout à fait différente de celle des salariés, car elle est exclusivement économique. Selon les difficultés rencontrées par l’entreprise dont ils ont la charge, ils peuvent se retrouver contraints de cesser leur activité, voire déclarer la cessation de paiements. Et ceux-ci sont particulièrement touchés par la crise à cause du caractère envahissant de l’échec professionnel sur leur vie personnelle. La vulnérabilité économique varie selon le secteur d’activité, la taille et le statut juridique de l’entreprise :

  • les travailleurs du secteur primaire (agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, bûcherons, etc.) forment un corps de métier à part. D’ailleurs, ils possèdent un organisme de Sécurité sociale particulier, la MSA. La perte de leur emploi peut avoir des conséquences lourdes chez ces professionnels, car ils nouent des liens affectifs très forts avec leurs moyens de subsistance (terres, arbres et animaux). D’ailleurs, les exploitations sont souvent familiales, se transmettant de père en fils, et le lieu de travail se confond alors avec le lieu de vie. Ce lien d’intimité entre les deux sphères professionnelle et familiale entretient pudeur, non-dit et honte exposant au risque suicidaire ;
  • les travailleurs indépendants possèdent pour la plupart de très petites entreprises. Il s’agit soit d’auto-entrepreneurs, soit de gérants de société dont le nombre d’employés ne dépasse pas la dizaine. Les artisans sont considérablement exposés du fait de la place importante qu’occupe leur savoir-faire dans la construction de leur identité. Les petits commerçants redoutent la publicité obligatoire de la liquidation judiciaire. Ces corps de métiers, avec les professions libérales, très peu enclins au repos, refusent quasi systématiquement les arrêts-maladies et les rendent particulièrement vulnérables au surmenage, au dopage, et au burnout.

Les mauvaises perspectives de retour sur le marché du travail augmentent la probabilité de développer une crise de la perte d’emploi. Les caractéristiques de l’emploi précédemment tenu influencent tout autant les trajectoires professionnelles que les attributs personnels que sont l’âge, le sexe et la nationalité, les diplômes et l’expérience professionnelle ou encore les traits de personnalité. Ainsi, la nature du travail précédent, le type de contrat ainsi que le mode de rupture déterminent considérablement la rapidité et la qualité du retour à l’emploi. Le nouvel emploi est considéré de qualité lorsqu’il n’y a ni déclassement statutaire ni déclassement salarial. Par ailleurs, à profil égal, les offres dans le bassin d’emploi et celles dans le secteur d’activité recherché jouent également sur les chances d’être recruté. Les secteurs de l’éducation, du social et de la santé sont mieux sécurisés que l’industrie et certains secteurs du tertiaire comme les services aux entreprises, les transports et le commerce [22].

Pour la pratique

  • Le MG doit percevoir la prévalence de la situation de perte d’emploi liée au chômage de masse.
  • Pour établir une analyse systémique de la situation, il lui faut comprendre :
    • les mécanismes ayant conduit à la perte d’emploi ;
    • le contexte subi ou non, conflictuel ou non du licenciement ;
    • évaluer les facteurs de risque par catégorie socioprofessionnelle.
  • Cette analyse pose les bases pour la mise en place d’une relation d’aide.

Remerciements

À Michel Tardy, Pierre Bucher, Nadine Kerveillant, Hélène Krzepisz.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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