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Androcur® : cécité des prescripteurs Volume 14, numéro 8, Octobre 2018

Ce sont des neurochirurgiens qui, les premiers, ont eu l’attention attirée par la survenue de méningiomes, parfois multiples, chez des patientes traitées pendant plusieurs années par de fortes doses d’acétate de cyprotérone (Androcur® et génériques)1 et ont évoqué la possibilité d’un lien et la responsabilité de ce progestatif. C’est en 2008 qu’une équipe de Strasbourg a pour la première fois communiqué sur ce sujet à propos de neuf patientes [1].

Le témoignage du Pr Frœlich (Libération du 11 septembre) est à cet égard instructif : c’est lorsqu’il a eu à prendre en charge, dans un intervalle de temps assez court, trois patientes atteintes de méningiome et traitées par Androcur® que la force du lien lui est apparue évidente ; d’autant que, pour une de ces patientes, inopérable, ce neurochirurgien a observé une diminution de la taille du méningiome à l’arrêt de l’acétate de cyprotérone.

Un effet indésirable bien connu des neurochirurgiens depuis une dizaine d’années

Dès la fin des années 2000, une trentaine de cas de méningiomes survenus chez des patientes traitées pendant plusieurs années par de fortes doses d’acétate de cyprotérone avaient été publiés, pour l’essentiel dans des revues de neurochirurgie.

Dans les années 2010, les instances concernées de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) ont à plusieurs reprises examiné les cas présents dans la Base Nationale de Pharmacovigilance. En 2014, l’analyse de la Base avait permis d’identifier 39 cas de méningiomes avec l’acétate de cyprotérone à fortes doses [2]. En juin 2018, 100 cas figuraient dans la base.

La régression, totale ou partielle, à l’arrêt du médicament incriminé est un argument fort en faveur de l’imputabilité d’un effet indésirable, même s’il faut être attentif à la possibilité de la disparition d’un effet nocebo peu probable s’agissant de la régression d’une tumeur.

Plusieurs équipes neurochirurgicales françaises ont ainsi publié des cas isolés de régression [3, 4] ainsi qu’une série de 12 cas [5] ; 10 de ces patients étaient atteints de méningiomes multiples avec une durée moyenne de traitement de 20 ans ; pour les 2 autres patients la durée moyenne de traitement était de 10 ans ; 2 des 10 patients ont été opérés en raison d’une baisse rapide de l’acuité visuelle. L’arrêt d’Androcur® a été suivi d’une diminution du volume de la tumeur chez 11 patients et un arrêt de la croissance tumorale chez un patient.

Deux études de cohorte concordantes

En 2011, une étude de cohorte, financée par l’Agence espagnole chargée du médicament, avait inclus 2 474 utilisateurs d’acétate de cyprotérone à haute dose [6]. Cette étude avait identifié 4 cas de méningiomes chez ces utilisateurs, soit 60 cas par 100 000 personnes-années. Les auteurs ont calculé que, après ajustement pour l’âge et le sexe, le risque de méningiome était multiplié par plus de 11 (11,4 ; 4,3-30,8) par rapport aux non-utilisateurs.

Une étude de cohorte de la CNAM (Caisse Nationale de l’Assurance Maladie), de 2006 à 2015, de type « exposé/non exposé », a inclus 253 777 femmes2. Les cas étaient définis par une première hospitalisation pour méningiome avec acte invasif, surtout neurochirurgical. Ce risque d’hospitalisation était multiplié par près de 7. L’analyse montre une relation dose effet très forte : le risque de survenue de méningiome serait multiplié par plus de 20 au-delà d’une dose cumulée de 60 g, soit un traitement à la dose de 50 mg/j 20 jours par mois pendant 5 ans. Au total, plus de 500 cas de méningiomes de femmes exposées à l’acétate de cyprotérone ont été pris en charge en neurochirurgie ou neurologie entre 2007 et 2015 » [7].

Un mésusage massif

Androcur® et ses génériques ont été largement prescrits hors AMM. Rappelons les indications officielles chez la femme pour les comprimés dosés à 50 mg : « Hirsutismes féminins majeurs d’origine non tumorale (idiopathique, syndrome des ovaires polykystiques), lorsqu’ils retentissent gravement sur la vie psycho-affective et sociale »3. L’avis de la Commission de la Transparence du 22 juin 2016 faisait état des données 2015 IMS-EPPM : la contraception est mentionnée dans 15 % des cas et l’acné dans 8 % des cas ; dans 7 % des cas, la prescription a eu lieu à l’occasion d’un examen gynécologique de routine.

Un certain nombre de femmes ont poursuivi Androcur® malgré la survenue d’un méningiome. Dans la cohorte de la CNAM, 19 % des patientes opérées ont repris de l’acétate de cyprotérone.

Des mesures réglementaires dès 2009

L’ANSM rappelle que « les premières discussions européennes (…) ont débuté en 2009, date à laquelle la France a lancé un signal sur la base d’une publication du Pr Frœlich mettant en évidence une association entre l’acétate de cyprotérone et la survenue de méningiomes ». Les résumés des caractéristiques du produit (RCP) ont alors été modifiés pour ajouter comme contre-indication « existence ou antécédents de méningiomes » et mentionner le fait que des cas de méningiomes ont été rapportés.

Une IRM pour quelles patientes ?

La conduite à tenir chez les patientes doit être débattue par la Société française d’endocrinologie (SFE) et la Société française d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique (SFEDP) qui ont publié, le 31 aout 2018, un communiqué où elles conseillent aux endocrinologues « de discuter avec leurs patientes traitées par l’Androcur®, de les informer de ce nouveau (sic !!) risque potentiel et de rediscuter avec elles la poursuite (ou non) du traitement ».

Si le respect des indications et contre-indications de l’AMM va de soi, la place d’un éventuel dépistage par IRM chez des patientes asymptomatiques et traitées depuis plusieurs années par acétate de cyprotérone à 50 mg ou plus par jour reste à définir : au bout de combien d’années de traitement ? ou à partir de quelle dose cumulée ? La SFE « pense légitime, à ce stade, de proposer une IRM encéphalique pour toutes les expositions de plus de 5 ans, et pour les expositions inférieures à 5 ans si une inquiétude naît chez un prescripteur ou chez un(e) patient(e) ».

Conclusion

Au-delà de l’emballement médiatique, l’histoire d’Androcur® est riche d’enseignements pour le prescripteur ; elle illustre notamment :

  • les difficultés de diffusion des connaissances hors du champ clos d’une spécialité.
  • le scotome du prescripteur s’agissant d’un effet indésirable rare. Le spécialiste qui prend en charge les patients victimes d’un effet indésirable n’est pas le prescripteur. La très grande majorité de ces prescripteurs n’ont jamais vu (ni entendu parler) d’un seul cas de méningiome, d’où une attitude possible d’incrédulité voire de déni.
  • le peu d’effet des mesures réglementaires sur le comportement de prescripteurs qui ne respectent pas les indications officielles, d’où, comme pour Mediator® (toutes choses différentes par ailleurs), la survenue d’effets indésirables graves chez des patients « hors AMM ».

Pour la pratique

  • L’association entre prise prolongée d’Androcur® et survenue d’un méningiome est statistiquement très forte avec une relation dose-effet très nette. L’étude de la CNAM corrobore les données de pharmacovigilance.
  • La prescription hors AMM d’Androcur® (ou la poursuite de ce traitement) engage la responsabilité, y compris pénale, du prescripteur. Le libellé de l’AMM n’autorise la prescription d’Androcur® que chez une petite minorité des patientes atteintes d’hirsutisme.
  • Rappelons qu’Androcur® expose aussi à des risques d’atteinte hépatique.
  • Souhaitons que les autorités sanitaires encadrent enfin efficacement la prescription de ce progestatif chez la femme.

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.


1 L’acétate de cyprotérone est aussi présent à la dose de 2 mg par comprimé en association avec un œstrogène dans les produits suivants : – Diane 35® et génériques indiqués dans le « Traitement de l’acné modérée à sévère liée à une sensibilité aux androgènes (associée ou non à une séborrhée) et/ou de l’hirsutisme, chez les femmes en âge de procréer ». – Climene® qui a les indications suivantes : « Traitement hormonal substitutif (THS) des symptômes de déficit en estrogènes chez les femmes ménopausées. Prévention de l’ostéoporose post-ménopausique chez les femmes ayant un risque accru de fracture ostéoporotique et présentant une intolérance ou une contre-indication aux autres traitements indiqués dans la prévention de l’ostéoporose ». Ces spécialités ne sont pas concernées par l’étude de la CNAM.

2 Les données de l’étude de la CNAM (non publiée à la date du 17 septembre) proviennent de l’ANSM (référence 6 et communiqué du 27/08/2018) et d’un exposé du Dr Alain Weill lors du congrès de la SFE le 13 septembre.

3 Les indications officielles des comprimés dosés à 100 mg sont les suivantes : « Traitement palliatif anti-androgénique du cancer de la prostate et réduction des pulsions sexuelles dans les paraphilies en association à une prise en charge psychothérapeutique ».

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